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An I de l’insurrection populaire : Le jugement de Burkinabè
Publié le vendredi 30 octobre 2015  |  Sidwaya




Cela fait un an, qu’a eu lieu l’insurrection populaire qui a conduit à la chute du régime de Blaise Compaoré. Douze mois après, quel bilan peut-on en tirer ? Des Burkinabè des différentes couches sociales s’expriment .


1-Marcel Tankoano, président du Mouvement du 21 avril ( M21) : «L’insurrection n’est pas arrivée à son terme…»


Ce premier anniversaire présente une victoire pour le Burkina qui revient de loin, qui a longtemps espéré un grand changement. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes satisfaits de ce que nous avons engrangé jusque-là. Parce que quoiqu’on dise, l’insurrection a entraîné des morts, on a des camarades qui sont tombés que nous pleurons toujours. Il n’y a pas eu de justice jusque-là pour leurs familles. A l’époque, nous avons fait des discours, des conférences de presse pour demander que ces familles soient prises en charge et qu’on organise une grande journée dédiée en leur mémoire. Cela a été fait, même si ce n’est pas comme le peuple l’aurait voulu. Le premier anniversaire est là, mais hélas les choses n’ont pas fonctionné comme on l’aurait souhaité tout simplement parce que nous pensons que l’insurrection n’est pas arrivée à son terme. Je le dis avec regret et amertume. Après une insurrection, on ne peut pas permettre à ceux qui ont mis le pays dans cette situation de nous narguer, comme si de rien n’était. On ne peut pas croire que cela va marcher en se disant que c’est Blaise Compaoré qui était l’ennemi commun, il est parti, donc on va s’entendre. A l’époque, on avait dit qu’il faut les arrêter, les enfermer et on va se parler en Burkinabè pour se comprendre. Malheureusement, cela n’a été pas été le cas, et voilà les résultats. Chaque fois que la Transition a voulu aller de l’avant, il y a eu des évènements qui l’ont poussée à faire marche arrière. C’est comme si l’on vous fait porter un boubou et on vous le piétine. Jusque-là, on ne peut pas dire voilà ce que la Transition a fait comme travail. De toute façon, la Transition n’était pas venue pour faire un travail qui sera apprécié de tous, mais c’était pour baliser le terrain qui va nous amener à des élections crédibles et apaisées. C’est cela le rôle de la Transition. Le président Kafando et son premier ministre Zida ne sont pas arrivés avec un programme politique. Mais aujourd’hui, nous sommes arrivés à la conclusion qu’au lendemain de l’insurrection, on devait poser des actes forts qui vont dans le sens des aspirations du peuple. On n’aurait pas vécu les évènements du 16 septembre (le putsch). Sinon que la Transition a travaillé ; mais hélas ! tout est prioritaire, tout est urgent. Le panier de la ménagère ne s’est pas enrichi. Economiquement, ça n’avance pas. C’est ce qui fait qu’on ne voit pas les résultats. Je souhaite que les élections du 29 novembre soient crédibles, paisibles, apaisées, transparentes pour conduire notre pays vers des lendemains meilleurs. Qu’elles offrent à tout Burkinabè la chance de se réaliser. Que ces élections soient de nouvelles portes qui s’ouvrent aux Burkinabè, que ce ne soit plus la souffrance, l’amertume. On était habitué à avoir un repas par jour, mais que maintenant on ait au minimum trois repas par jour, la santé et l’éducation pour tous. Surtout qu’il y ait la lumière, la justice pour ceux qui sont tombés lors de l’insurrection et du putsch.


2-Tiga Souleymane Yaméogo du Balai citoyen : « On est encore loin de transformer le Burkinabè»


C’est un an avec un bilan qui est plus ou moins mitigé. Au moin, ce qui est sûr c’est que nous avons eu un changement, notamment au plan politico-militaire. Déjà, nous savons que nous avons mis fin au pouvoir à vie de Blaise Compaoré. Nous savons aussi que le RSP qui était une force militaire plus ou moins nuisible n’existe plus. On peut dire que quelque part nous sommes dans un Etat en phase de démocratisation, où tout est encore possible au Burkina Faso. Ce sont des choses à saluer. Par contre, quand on analyse globalement la situation post-insurrectionnelle, on n’est pas totalement satisfait. Construire un pays, ce n’est pas posé des actions de façon disparate. Nous avons fait le tour de certaines villes comme Bobo-Dioulasso, Ouagadougou, Ouahigouya, Koudougou où nous avons été dans des « grins » de thé, pour échanger avec les jeunes. Les gens sont toujours là à conter ce qu’ils ont fait, l’esprit de révolte qu’ils ont eu, la résistance du 30 octobre passé. Il y a très peu qui discutent des réformes, du changement. Nous disons qu’il y a un problème, parce qu’après la lutte révolutionnaire lors de l’insurrection qui a renversé le système oppresseur, il fallait passer à une éducation citoyenne du peuple. Un an après, nous n’avons toujours pas posé un débat franc sur ce qui a permis au système Compaoré de durer 27 ans ou comment faire pour éviter qu’un système Compaoré ne revienne encore au pays. Le 2e élément fondamental est que nous avons réfléchi aux reformes (constitutionnelles, économiques, culturelles…). Mais il fallait au moins des débats. On ne parle de ces réformes dans les médias, on ne mène pas de débats à la radio, à la télévision. Finalement, les gens ne savent rien. On dit qu’il y a une loi qui a été prise sur les OSC, pourtant ces OSC même ne le savent pas. C’est pour dire qu’on ne peut pas faire un changement, si tous les acteurs de ce changement ne sont pas impliqués dans le processus. Il faut une éducation citoyenne. On se rend compte qu’aujourd’hui les gens sont préoccupés par les élections, mais pas la construction d’un nouveau Burkina sur la base des réformes. C’est dommage qu’on ne comprenne pas jusqu’à présent que le plus important, c’est de mettre l’accent sur ces éléments. Troisièmement, au plan de la justice, cela fait bientôt un an et rien n’est fait pour nos camarades qui sont morts sur le champ de bataille. Nous n’avons pas d’informations sur une quelconque évolution du dossier. C’est dommage qu’on ne sache pas où est-ce qu’on en est avec les victimes des 30 et 31 octobre 2014 et du putsch du 16 septembre 2015. Il y a un flou. Le quatrième élément qui est décevant, ce sont les OSC et partis politiques. On a le sentiment qu’ils n’ont pas réellement tiré profit de l’insurrection. En octobre 2014, lorsque nous avons fini l’insurrection, dès le 1er novembre, on a commencé à se déchirer dans les partis, le CFOP a cessé d’exister, on a eu des luttes de positionnement au CNT. Finalement, on s’est dispersé, ce qui a permis à l’armée d’avoir du poids et au CDP, à un moment, de parler comme il voulait. Quand le RSP s’est positionné le 16 septembre 2015, tout le monde s’est remis ensemble pour le chasser. Mais lorsque le RSP a été chassé et le président rétabli, dès le lendemain, c’est encore reparti sur des questions de deuil national. C’est-à-dire qu’on n’a même pas tiré leçon que c’est dans l’union qu’on a la force et que la volonté du peuple passe par son union à lutter pour son intérêt. Nous avons l’impression qu’on n’a pas encore capitalisé tout cela. Objectivement, nous pensons qu’on est encore loin de transformer le Burkinabè pour le Burkina Faso meilleur.

3-Norbert Wangré, SG adjoint de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) : « La Transition n’a pas été à la hauteur des attentes des populations »


C’est un anniversaire qui représente un fait historique majeur, l’insurrection intervenue dans notre pays les 30 et 31 octobre 2014, un fait assez inédit. C’est vrai qu’il y a eu le 3 janvier 1966, mais on convient que c’est un événement qui va marquer l’histoire de notre pays. Quant à la Transition qui s’en est suivie jusqu’à ce jour, nous ne pouvons que signifier notre insatisfaction. Parce que l’insurrection a nourri beaucoup d’attentes au niveau des populations en général, des jeunes en particulier. Ce qu’il faut aussi rappeler c’est que l’insurrection n’était pas simplement destinée à chasser Blaise Compaoré. Au-delà du régime qui était décrié, c’est toute sa politique antisociale qui était aussi rejetée par la population. En chassant Blaise Compaoré, les populations avaient vraiment beaucoup d’attentes par rapport à un certain nombre de maux, de préoccupations qu’elles vivaient. Si on doit faire le bilan aujourd’hui, il faut convenir qu’il est très mitigé, sinon qu’il n’est pas du tout satisfaisant. On pourra évoquer les grands chapitres de ces préoccupations, notamment les nôtres. Si vous prenez notre plateforme revendicative, au niveau du comité de lutte contre l’impunité, vous verrez que la question de l’impunité occupe une grande place et c’est également une préoccupation au sein des populations. Au moment où survenait l’insurrection, il y avait au niveau de la justice un certain nombre de dossiers de crimes de sang, de crimes économiques. On espérait avoir un traitement diligent de ces dossiers, mais quand on regarde à ce niveau il n’y a pas grand-chose. Hormis le procès Guiro avec toutes ses limites, la Transition n’a pas fait avancer le reste des dossiers de crimes. Des gens ont donné de leur vie lors de l’insurrection, logiquement cela devait être une priorité pour les autorités. D’abord, en leur rendant justice, situer les responsabilités, sanctionner ceux qui devaient l’être et prendre en charge les blessés et les familles des victimes. Si on prend le volet de la vie chère, il n’y a pas grand-chose. On ne voit pas ce que la Transition a fait au niveau des salaires des travailleurs du public comme du privé. Rien n’est également fait pour la réduction du prix des produits de grande consommation, notamment les hydrocarbures. L’autre aspect est la question des loyers. C’est une préoccupation pour beaucoup de Burkinabè dans les grandes villes où il y a véritablement une spéculation autour des loyers. Le ministre de l’Habitat (René Bagoro, ndlr) avait annoncé que c’est un dossier auquel il allait s’attaquer. Nous sommes pratiquement à la fin de la Transition, on ne voit rien, on annonce encore des études, des projets de loi. Un autre volet de la préoccupation était la question des libertés, notamment les libertés syndicales. Là aussi, le bilan n’est pas reluisant. On se souvient des menaces proférées par les plus hautes autorités par rapport aux luttes légitimes des travailleurs. Quand on prend la question de la corruption, rien n’a changé. Le dossier de la fraude aux concours est là. On a demandé au gouvernement lors de notre rencontre de reprendre ces concours (NDLR : ce qui est finalement annoncé au Conseil des ministres du 28 octobre dernier). Il a tergiversé en disant qu’il attendait le procès. Voilà un ensemble de situations qui montre que la Transition n’a pas été à la hauteur des attentes que les populations nourrissaient. Nous demandons au nouveau pouvoir qui viendra de prendre en compte les préoccupations insatisfaites par la Transition et de les traiter. Il ne s’agira pas de venir dire qu’on est nouveau, de toute façon ceux qui seront élus sont dans ce pays, ils ont tout suivi et suivent tout. Ils connaissent les problèmes, il s’agit de s’y attaquer. Ce qui est important, c’est que les populations maintiennent leurs structures de lutte, il faut renforcer nos syndicats à tous les niveaux, parce que rien ne nous sera donné en cadeau. Il va falloir interpeller les nouvelles autorités et au besoin les obliger à prendre en compte nos préoccupations.


4-Tahirou Barry, président du PAREN : « Des efforts ont été faits par la Transition dans le DOMAINE de la gouvernance démocratique »


Le premier anniversaire de l’insurrection est pour nous une grande période de recueillement, d’introspection, de réflexion et surtout d’hommage à nos martyrs. Ces martyrs qui se sont sacrifiés pour la cause de leur patrie, pour la cause de la démocratie, de la liberté et de la justice. Ils n’ont attendu ni récompense ni reconnaissance. C’est une grande leçon d’humanité qui a été servie au monde entier.
Des efforts ont été faits par la Transition dans le DOMAINE de la gouvernance démocratique et il faut les saluer. Mais des attentes demeurent très fortes dans la brûlante question de la justice aux martyrs et c’est un peu la tache noire de la Transition. On s’attendait également à de grandes réformes institutionnelles, à la manifestation de la vérité sur certaines affaires sombres du régime défunt. Mais hélas ! Avec le temps qui reste, on restera sur notre faim.
Comme aspect à améliorer, je ne m’attends plus à grand-chose. Les autorités de la Transition se sont saignées de bonne foi avec les résultats qu’on connaît. Ils sont en fin de course et ne peuvent qu’aspirer maintenant à un repos réparateur.


5-Kadissa Sankara, enseignante : « Aucune transition politique n’est facile »


Ce 1er anniversaire est la commémoration de la victoire du peuple burkinabè sur la dictature du clan Compaoré. Cela nous permet de nous souvenir de notre lutte héroïque, des marches contre la modification de l’article 37 et l’instauration du Sénat. Il marque aussi, pour nous les jeunes, le 1er anniversaire de notre expérience politique sans Blaise Compaoré, parce que nous n’avions connu que lui. A travers moi, c’est plusieurs générations de Burkinabè qui vivent cette expérience. Mais aujourd’hui, nous avons cette chance de vivre un autre régime, d’écrire le nom d’un autre président. Demain, nous pourrons dire à nos enfants ce qu’a été le règne Compaoré, comment Michel Kafando a conduit la Transition, comment cette Transition a mis fin au diktat du RSP, la soldatesque à la solde de Blaise Compaoré. C’est vrai que la Transition a commis des erreurs qui ont failli lui être fatales, mais il faut voir le bon côté des choses. Aucune transition politique n’est facile, aucun de ces dirigeants n’avaient planifié un projet de gouvernance, d’exercice du pouvoir d’Etat, donc il faut qu’on soit tolérant. Les exemples de Transitions courtes et réussies ne courent pas les rues. La Transition burkinabè est citée en exemple partout en Afrique, dans le monde. On a vu que des jeunes des autres pays cherchent à s’en inspirer, on a le Balai citoyen au Togo à l’image de celui d’ici, cela veut dire que tout le monde veut nous ressembler, faire comme nous, chasser les dictateurs. Aujourd’hui, je suis plus que fière d’être Burkinabè.


Propos recueillis par Djakaridia SIRIBIE
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