Le rôle du journaliste est-il seulement de provoquer, de critiquer, de mettre seulement le doigt là où ça fait mal ? On peut bien dire oui car, à l’analyse, sans être contre le pouvoir, il est un contre-pouvoir. Le journaliste doit voir autrement les choses que les citoyens ordinaires. C’est d’ailleurs cela, entre autres, qui caractérise sa profession et lui permet de donner son point de vue, soit-il contraire et non opposé forcément à ce qui existe. Non sans apporter des suggestions et des contributions à même de redresser la barre. Ne dit-on pas que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent pas le journaliste ? Mais, à contrario, le seul train qui arrive en retard fait l’événement.
C’est sans doute, dans cette rubrique qu’il faut inscrire la publication des caricatures du prophète Mohamet par Charlie Hebdo. Qui n’en est pas à sa première « provocation ». En effet, de pure provocation, il ne s’agit que de cela. Mais une provocation liée à l’actualité. Car le journaliste, c’est aussi l’actualité.
L’hebdomadaire satirique français n’avait pas en réalité besoin de prendre un tel risque de provocation pour caricaturer celui dont la représentation par une simple photo, un simple dessin ou encore par une caricature apparaît pour les croyants musulmans comme un péché impardonnable. Et de ce fait, soulève les plus irréductibles des musulmans, ou du moins ceux qui se considèrent comme tels. Et pourtant, à l’analyse et au regard de l’actualité, ce ne sont pas toujours les plus croyants d’entre les fidèles de Mohamet qui réagissent de la sorte. Mohamet, vivant ou mort, n’aurait jamais souhaité qu’on tue en son nom ; il n’aurait jamais souhaité non plus qu’on brûle en son nom.
Les vrais croyants musulmans le savent très bien et l’enseignent aux fidèles ; ceux qui méritent ce nom. C’est dire donc que ceux qui terrorisent, kidnappent, coupent les bras et les jambes, lapident, ne sont que des représentants sadiques et indignes de Mohamet et de la religion musulmane qui est faite de paix et de dialogue. De telle sorte qu’à travers leur comportement, ils créent la polémique, suscitent aussi la provocation, dont s’est servi Charlie Hebdo contre eux. Car, on aurait bien voulu savoir ce que le prophète Mohamet pense de leurs agissements, de leurs comportements qui en réalité sont aux antipodes des valeurs de la religion musulmane. En publiant pour la deuxième fois des caricatures de Mohamet, Charlie Hebdo cherche à briser un tabou longtemps entretenu et qui, en réalité ne profite à personne.
Mais dans un autre sens, Charlie Hebdo, dans le contexte actuel marqué par les tueries à Benghazi en Libye et les menaces de toutes sortes qui pèsent sur les Américains d’une façon générale à travers le monde, avait-il besoin de publier un tel brûlot ? Ici il s’agit d’opposer la liberté d’expression, de provocation à la responsabilité du journaliste. En effet, après la publication des caricatures, la France, par précaution, a fermé une vingtaine de ses représentations diplomatiques dans des pays musulmans.
Des écoles françaises ont été fermées, notamment à Tunis pour sécuriser les enfants. Quel est le plaisir qu’un journaliste peut bien avoir si d’aventure des terroristes venaient à s’attaquer à une école et font des blessés, voire des morts de sa propre famille ? De quel plaisir un journaliste, au nom de la liberté d’expression et de provocation, peut-il bien se satisfaire si pour la publication de ses écrits, des otages étaient tués ?
Comme on peut bien le voir, Charlie Hebdo a sans aucun doute fait la part des choses, pesé le pour et le contre des deux aspects et pris toutes ses responsabilités. Car, si au prix de la vie, il faut dénoncer un comportement indigne (tout comme la corruption, la fraude, le mensonge, etc), et chercher à y mettre fin, le journaliste doit avoir le courage de trancher, l’hebdo français a tranché. A chacun d’assumer ses responsabilités.