On était curieux de voir comment le Blaiso national pouvait tenir le pari d’un «dialogue direct et franc» avec les 2 000 femmes qui étaient ses interlocutrices samedi dernier au Palais des sports de Simonville. Hélas! De «direct», on a surtout vu la retransmission de cette rencontre bien orchestrée pour mettre en valeur l’image du président. Matériellement, il était impossible que toutes les participantes interviennent. En fin de compte, le forum a accouché de résolutions et de recommandations qu’on connaissait déjà.
Ce qu’on ne savait peut-être pas, c’était qu’il y avait plus de 41% de femmes en milieu rural et plus de 10% en milieu urbain qui n’avaient pas d’acte de naissance. Mais on n’avait pas besoin d’organiser un forum pour se rendre compte de cette réalité dans ce pays où l’accès aux actes administratifs était considéré, il n’y a pas longtemps, comme un privilège, voire un luxe réservé à quelques-uns. Comme en témoignent les opérations de délivrances massives organisées à l’occasion des dernières élections, l’administration publique aurait pu simplement corriger cette injustice faite aux femmes du Burkina. Et non tenter d’imputer cette responsabilité à quelqu’un d’autre. C’est un devoir régalien de l’Etat que d’identifier toutes les personnes, hommes et femmes, qui naissent ou arrivent sur le territoire. Un point c’est tout.
On est également surpris d’apprendre que malgré tout le bruit qui est fait autour de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (Scadd), c’est seulement maintenant que l’on songe à prendre en compte les femmes dans sa mise en œuvre. C’est à croire que les concepteurs de ce document qu’on a probablement payés à des dizaines, voire à des centaines de millions, ont royalement ignoré la place et le rôle des femmes. En tout cas, tel que formulé, le thème du 2e Forum des femmes n’est ni valorisant pour la «deuxième moitié du ciel», encore moins pour le concepteur de la Scadd qu’est le gouvernement.
Cela est d’autant plus remarquable que la Scadd est supposée faire mieux et aller plus loin que le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) et tous les autres plans qui l’ont précédé. Et si l’on s’en tient à l’ambition affichée par ce plan qui était donc d’«accélérer la croissance économique», ne faut-il pas raisonnablement douter du fait qu’en un seul week-end on puisse venir à bout d’une préoccupation aussi complexe et transversale qui est de redonner aux femmes les compétences, les ressources et finalement le pouvoir économique dont on les a privés jusque-là?
Une chose est de jouer sur la quantité en brandissant le chiffre de «2000 femmes à la rencontre de Blaise Compaoré», une autre est de s’assurer de la qualité de ce débat aux interventions bien encadrées et policées qui s’est déroulée, au moins pour la partie retransmise à la télé, en français. A-t-on subitement oublié que, ici au Faso, «la pauvreté et l’analphabétisme ont un visage féminin» et que, par conséquent, l’organisation d’un «dialogue direct et franc» en français peut se révéler un leurre? Pour «prendre en compte» les multiples préoccupations des femmes que le système administratif, économique et politique a contribué à marginaliser pendant plus de 50 ans, il faut un vaste programme.
Ne jetons toutefois pas le bébé avec l’eau du bain. Surtout lorsqu’on traite d’un sujet aussi délicat et sensible que celui de la participation de la femme au développement économique. Le forum a le mérite de créer un cadre de rencontre informel, puisque c’est de cela qu’il s’agit, entre le président du Faso et la couche qui est numériquement la plus importante du Burkina. Mais si son ambition est d’oser une discussion, sans détour et sans protocole, avec le premier magistrat, force est de constater que la réalité est tout autre. Et c’est de bonne guerre. Quand l’initiative d’une rencontre vient du président et de son gouvernement, c’est nécessairement eux qui ont le dernier mot. Mieux, c’est eux qui administrent, voire «manipulent» la parole, les actrices et les images comme ils veulent. La preuve, c’est qu’à la télévision on a davantage vu le président, son épouse, les épouses des môgô-puissants que la plupart de ces femmes modestes qui s’échinent chaque jour pour que leurs enfants aient au moins un repas par jour, qu’ils puissent aller à l’école et y rester et surtout résister aux assauts du paludisme, de la tuberculose, du choléra et des autres maladies qui menacent leurs vies.
Sans vouloir pousser le bouchon jusqu’à se demander ce qu’il faut faire avec «un forum des femmes», il faut reconnaître que le spectacle qui a été donné à voir le week-end dernier était bien en deçà de ce que les femmes attendent et de ce qu’on est en droit d’attendre pour elles. La vraie rencontre entre les femmes et le président, et non un faux-rhum, ne sera possible que lorsque l’écrasante majorité des femmes du Burkina sera à la place qu’elle mérite et aura les pouvoirs économique et politique qui vont avec. En attendant, si l’on peut continuer à mobiliser les femmes pour venir admirer le président et son épouse, c’est bien parce qu’on y est pas encore.
Malheureusement, les prochaines “érections” couplées sur lesquelles on comptait pour rétablir ne serait-ce que 30% de présence des femmes au Parlement et dans les conseils municipaux semblent être mal parties. Il faut craindre qu’on ne soit pas au bout du tunnel du sempiternel folklore dans lequel on emballe si facilement les femmes, parfois avec la complicité du président.