D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Et où allons-nous ? Ces trois questions, en apparence, métaphysiques taraudent l’esprit de chaque Français, au moment où leur pays commémore le premier anniversaire de l’arrivée à l’Elysée de François Hollande. Bref, c’est une France qui doute, une France inquiète, installée dans une crise économique durable, nourrissant elle-même une crise morale que le président Hollande devra tenter de déchiffrer. Durant sa campagne électorale victorieuse, le candidat Hollande avait mis l’accent, dans son programme, sur les questions économiques et sociales, donc sur des thématiques de politique intérieure. Ils entendait lutter contre le chômage, créer des emplois et relancer la croissance économique. Rappelons que depuis le règne « socialiste » de François Mitterrand, la gauche n’avait plus exercé le pouvoir suprême en France. La victoire de Hollande fut accueillie par le peuple de gauche comme la réalisation d’un rêve politique fantastique. N’est-ce pas que le rêve, dit-on , embellit la réalité ? A la place de la Bastille, le 6 mai 2012, le peuple de gauche baignait dans une joie délirante. Et, on a coutume de dire qu’en matière politique, les Français sont dominés par la passion et le goût du panache. Et parfois, cela les conduit à nier de simples évidences. Dans les sondages, Hollande reste le Président le plus impopulaire, depuis son installation à l’Elysée. Il n’a bénéficié d’aucun état de grâce. Mais tout de même, comment expliquer une telle impopularité ? Au fond , que reproche-t-on à Hollande ? En vérité, l’impopularité de Hollande se cristallise principalement autour de la question de l’emploi, et du pouvoir d’achat, souci majeur des Français. L’impuissance du gouvernement, dirigé par Jean-Marc Ayrault, à sortir le pays de la nuit noire du chômage suscite, chez les Français, une inquiétude très vive au sujet de leur avenir, quand elle ne les installe pas tout simplement dans une sorte de dépression mélancolique collective. Le pays est atteint par cette maladie que Bergson nommait la psychasthénie, c’est-à-dire la fatigue d’être soi-même un trouble de la volonté, entraînant un pessimisme intégral, alimenté par la perte du sens du réel. Mais soyons clairs : Hollande n’est pas un docteur en magie, un enchanteur. Car, dans une économie mondialisée, la fameuse distinction entre l’ « intérieur » et l’ « extérieur », s’est érodée. Le bien-être des Français dépend en partie de la situation économique et financière internationale. Certes, Hollande semble avoir déçu les Français. Mais avait-il prévu lui-même une telle situation aussi calamiteuse sur la question de l’emploi ? Et bien, non ! Et ceux et celles qui ont voté pour lui et qui ont voulu croire que le candidat Hollande, devenu président, réaliserait intégralement toutes ses promesses électorales n’ont qu’à s’en prendre un peu à leur propre naïveté. A l’heure actuelle, malgré une volonté de fer, Hollande découvre la solitude du pouvoir. De même, cette loi controversée, politiquement inopportune sur le mariage entre personnes du même sexe, est et reste une profonde source de divisions entre Français. Elle reste, quoiqu’en disent ses défenseurs, une lame à double tranchant. Franchement, dans un pays confronté à l’une de ses pires crises économiques et sociales, on peut bien se demander, avec juste raison, quel est l’intérêt politique d’une telle loi. La France a besoin d’une cohésion sociale forte pour vaincre le chômage. Or, cette loi est venue la briser , par une sorte de dilapidation inutile des énergies. Pendant ce temps, les citoyens des autres pays de l’Union européenne s’organisent et mènent des luttes salutaires contre les politiques d’austérité dans leurs différents Etats.
Mais si en France, Hollande peine à se faire aimer par ses compatriotes, en Afrique subsaharienne, disons-le net : ici, il est admiré, apprécié et estimé. Ici, il est perçu non comme un président « normal », mais comme un président modeste aux ambitions modestes, un président raisonnable. Avec l’opération Serval au Mali, Hollande a suscité l’admiration de tous sur le continent, par son courage politique et la profondeur de sa vision stratégique. Grâce à cette opération, l’Etat souverain du Mali a été sauvé. Les barbares moyenâgeux du Djihad ont été mis hors d’état de nuire. Pour les Africains, la réussite de Serval conserve une primauté sur les soucis domestiques des Français. Et ici, Hollande est perçu comme un dirigeant politique sincère. La jeunesse estudiantine a beaucoup apprécié la suppression de la circulaire Guéant par son gouvernement. Rappelons que cette circulaire mise en chantier par l’ex-ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, rendait kafkaïennes les conditions de séjour et d’études en France des étudiants africains.
Cela dit, en Afrique subsaharienne, notamment dans les Etats dits francophones, la rupture prônée avec force, et avec les réseaux françafricains, n’a pas eu lieu. Si l’Afrique lui est reconnaissante dans sa gestion de la crise malienne, sa composante jeune, démocratique, juge que le président Hollande a déroulé, trop facilement le tapis rouge à quelques dictateurs débonnaires, souvent gérontocrates, symbolisant la Françafrique. Hollande sait très bien que de tels dirigeants africains ne croient pas du tout à la démocratie, donc, en aucun cas, ils ne peuvent l’instaurer dans leurs pays respectifs. En Afrique subsaharienne, la démocratie n’est pas encore une forme courante de gouvernement. Ici, certains souhaiteraient même qu’on élise à vie nos présidents. Et, malheureusement, sur notre continent, comme l’a si bien relevé Achille Mbembé, la vision dominante est que la vie, le pouvoir, l’argent sont gouvernés par « la loi du hasard ». C’est cette vision qui engendre ici, des Etats prédateurs, instables, gouvernés par des régimes souvent irresponsables. Tous les maux qui ruinent les sociétés africaines contemporaines sont de nature politique. Hollande devra faire preuve de fermeté, à l’instar de Barack Obama, vis-à-vis de dirigeants politiques qui considèrent que la démocratie n’est que la manifestation arbitraire de leur volonté, une conception débile de la politique, et qui les conduit à n’avoir aucun respect pour la Constitution et les lois de leurs pays. Bien sûr, en Centrafrique, Hollande, en refusant de sauver le « soldat » Bozizé, a voulu signifier à certains potentats qu’ils n’ont aucun salut à attendre du côté de Paris. Il a véritablement décomplexé les relations franco-africaines, en mettant en avant les relations d’Etat à Etat plus que de prétendues affinités personnelles fondées sur le tutoiement. Malgré sa conception pragmatique des intérêts économiques et stratégiques de la France sur le continent, on ne peut nier qu’il existe une dimension éthique dans sa politique africaine. Son soutien aux organisations de la société civile, ainsi qu’aux opposants politiques, tout cela indique son attachement à la démocratisation en marche sur le continent.
Certes, la rupture avec la Françafrique n’était qu’un souhait qui n’est pas près de se réaliser. Mais Hollande, par rapport à tous ses prédécesseurs, est, sans conteste, le président français le plus populaire sur le continent africain. A lui de se dire que la patience demeure la grande vertu de la politique. En tous les cas, Hollande n’a pas déçu les Africains. Mais comme on le dit, nul n’est prophète en son pays.