Demain 25 octobre 2015, les Ivoiriens éliront un nouveau président pour un mandat de 5 ans. Au Burkina, la campagne électorale ouverte trois semaines plus tôt n’a pas connu un engouement comme de par le passé. Selon les ressortissants ivoiriens que nous avons pu rencontrer, la morosité du jamboree politique s’explique par le fait qu’en face du président sortant, Alassane Ouattara, il n’y a pas de véritables adversaires.
A. L. A., opérateur économique ivoirien, « la campagne électorale est morose »
Comme on dit, le Burkina et la Côte d’Ivoire ont des liens ancestraux. Je viens du Sud de la Côte d’Ivoire et plus précisément de Bonoua. Je n’étais pas au Burkina quand il y a eu les élections de 2011. Donc, je ne sais pas comment elles se sont déroulées ici. En plus, je ne sais pas comment la campagne se déroule en Côte d’Ivoire puisque je n’y suis pas. Je reçois les informations à travers les appels téléphoniques. Mon épouse n’a de cesse manifesté ses inquiétudes. Elle dit souvent qu’elle va quitter le pays pour aller au Ghana ou venir au Burkina parce qu’elle ne sait pas comment les choses vont se dérouler. Mais, il faut relever qu’actuellement, la campagne électorale est morose. On ne sent même pas qu’il y a une élection. A Abidjan, il n’y a rien. J’ai mon frère qui est à Noussi. Il dit qu’il n’y a pas d’engouement là-bas aussi. Qu’est-ce qui explique cela ? Est-ce le fait qu’Alassane est le seul candidat qui vaille ? Il y a beaucoup de facteurs qui peuvent expliquer cela. Soit parce qu’il n’y a pas de candidat en face de lui, soit il est trop puissant. A Figayo , bastion du FPI, j’ai appris que les tentes du meeting de Alassane n’ont pas été défaites. Il y a donc une mainmise de Alassane Ouattara sur tout. Il devrait avoir une manifestation le 22 octobre 2015 pour dénoncer les imperfections liées aux élections. On apprend que le préfet n’a pas donné d’autorisation. Personnellement, je ne vais pas voter parce que je ne savais pas où est-ce que j’allais être. Dans tous les cas, en tant qu’être humain ne vivant pas dans mon pays, j’ai des inquiétudes. Etant à l’extérieur du pays, j’ai plus peur que ceux qui sont restés au pays. Il est vrai que c’est ceux qui sont en Côte d’ivoire qui vivent les élections, mais nous ressentons la peur plus qu’eux. On souhaite qu’il y ait des élections apaisées. Nous ne voulons pas revivre les événements de 2011 marqués par une crise post électorale. S’il n’y a pas la paix, on ne peut pas aller au travail. La famille va prendre un coup dur.
Charles Téyi, secrétaire général de l’Union des ressortissants de Côte d’Ivoire au Burkina, « les Ivoiriens vivant au Burkina n’ont pas été associés à l’élection »
Pour être franc, la campagne électorale au Burkina a été très morose. C’est vrai qu’il y a la grande union qui est l’URECIB, mais chaque membre de l’association appartient naturellement à un parti politique. Comme au sein de l’URECIB, nous sommes apolitiques, personne ne peut battre campagne au nom de l’Union. En tant que responsable, nous avons fait le même constat qu’il n’y a pas eu d’engouement lors de la campagne. Les choses n’ont pas bougé. Je peux donner l’exemple du représentant du RHDP qui n’a pas voulu que l’URECIB se mêle de la campagne électorale. Mais je dis que chacun appartient à un parti politique. On peut faire bouger les choses à sa manière. Mais, il faut relever que beaucoup de gens ne se sont pas intéressés à la campagne électorale. Les Ivoiriens vivant au Burkina sont de l’ordre de 35 000. Il fallait de mon point de vue aller vers tout ce beau monde. Les partis politiques n’ont pas pu faire ce travail comme il se devait. C’est peut-être à cause des moyens financiers. Mais je sais qu’il y a certains qui ont reçu des moyens financiers pour battre campagne ici. Au niveau de la Commission électorale indépendante, il n’y a pas eu de travail pour enrôler les électeurs. Beaucoup se sont plaints après. Pourquoi en 2010, tout le monde était informé et cette année non ? Le président de la communauté ivoirienne, Mamadou Koné, vit le même cas à Bobo-Dioulasso. Nous avons l’impression que les Ivoiriens vivant au Burkina n’ont pas été associés à l’élection. Le fond du problème est que les représentants des partis politiques ne connaissent pas la population. Par contre, l’URECIB est en contact avec elle à tout moment. Nous avons d’ailleurs exprimé des inquiétudes à la CEI lorsqu’elle est venue au Burkina. Il y a des endroits où nous allons que la CEI ne connaît pas. Pourquoi ne pas collaborer pour que la mission de la CEI réussisse et pour que le maximum d’Ivoiriens soit enrôlé ? Je ne saurai donner le nombre exact de ceux qui se sont inscrits. Mais je suis sûr et certain que beaucoup n’ont pas été enrôlés. Ce sera un fiasco pour le Burkina. En tant que responsable de l’URECIB, je peux dire que la CEI n’a pas fait un bon boulot. Mon vœu le plus ardent est que les élections se déroulent dans la paix. Sans la paix, il n’y a pas de projet. Sans elle, rien n’est possible. Je demande à tous les Ivoiriens qui se sont enrôlés d’aller voter le dimanche et d’éviter les paroles et les actes qui peuvent blesser les uns et les autres. Il ne faudrait pas réveiller les vieux démons surtout en Côte d’Ivoire parce qu’au Burkina la situation semble être maîtrisée.
Agnès Nyamike Ama, « Nous n’avons pas assisté à une seule activité de campagne électorale »
Par rapport aux élections, on ne ressent rien à Ouagadougou. Nous n’avons pas assisté à une seule activité de campagne électorale. Nous avons été délaissés. Pour aller voter, j’ai dit qu’il faut que l’on paye mon déplacement sinon je ne le ferai pas. Mon vœu le plus ardent est que l’élection se déroule dans la paix et la transparence. Que le meilleur gagne.
Koffi Kouadio, vice-président de l’URECIB chargé des relations avec l’ambassade et la communauté ivoirienne, « le Burkina ne constitue pas un enjeu »
Effectivement, il n’y a pas eu d’engouement en ce sens que nous avons l’impression qu’il s’agit d’une candidature unique et que nous sommes sur une scène de théâtre. Après le président Laurent Gbagbo, il n’y a plus de candidat valable en Côte d’Ivoire. Il n’y a pas d’engouement en ce sens que le Burkina ne constitue pas un enjeu. Chaque fois qu’il y a des échéances électorales, le Burkina n’est pas considéré à cause du faible nombre des Ivoiriens qui y vivent. Actuellement sur la liste électorale, nous sommes à 2 000 inscrits. Cela ne représente pas un enjeu face à Yopougou ou à Port-Bouët. Les candidats ont compris que la véritable bataille était sur le terrain le plus volumineux. C’est selon moi ce qui explique le peu d’engouement au Burkina. Je voudrais relever que la plupart des Ivoiriens qui sont à l’extérieur sont des Ivoiriens de gauche, de l’opposition et donc des pro-Gbagbo. Pour eux, s’il n’est pas là, il n’y a pas élection. C’est dire qu’ils ne se sentent pas concernés par ces élections contrairement à nous autres qui pensons que c’est un devoir citoyen. Nous allons voter. C’est une grande première en Côte d’Ivoire de savoir que les Ivoiriens ne se préoccupent pas de la magistrature suprême. Après Gbagbo, il n’y a pas de candidats valables. Tous ceux qui sont venus c’est peut-être pour des raisons personnelles. Face à Alassane Ouattara, beaucoup de candidats ont su qu’ils ne faisaient pas le poids. Donc autant se retirer. Nous souhaitons que les élections soient vraiment apaisées. Nous nous rappelons de cette grosse plaie qui nous a fait souffrir pendant plus de 10 ans. Aujourd’hui, comme le dit notre grand footballeur, élection ce n’est pas « gnaga » (NDLR : bagarre). Il faut que les Ivoiriens comprennent que les élections, c’est juste 5 ans. Après 5 ans, la Côte d’Ivoire demeure. Ce n’est pas pour cet élément passager que nous allons nous entretuer. La vraie bagarre c’est dans les urnes. Il faut que les Ivoiriens prennent leurs cartes d’électeurs et qu’ils aillent voter massivement. Il ne faut pas que quelqu’un décide à leur place.
Ahmed Sissoko, opérateur économique ivoirien, « Les candidats qui se sont retirés étaient convaincus eux-mêmes qui ne pesaient »
Il n’y a pas d’engouement parce que nous sommes tous convaincus qu’il n’y a qu’un seul candidat qui est Alassane Ouattara. Les autres candidats ne sont pas à la hauteur. Ils vont faire ce qu’ils peuvent, mais eux-mêmes savent qu’ils ne pourront pas passer. Tous les Ivoiriens savent qu’il n’y a pas match et que Alassane Ouattara passera au 1er tour. Je pense aussi qu’il faut lui accorder un second mandat pour qu’il termine ce qu’il a commencé. Après cela, nous allons choisir un autre candidat. A Ouagadougou, il n’y a pas eu d’engouement parce que nous avons tous compris qu’il n’y a pas d’adversaires. Nous sommes convaincus que Alassane Ouattara sera élu président. Avec le RHDP, Alassane a 80% de chance de passer. Les candidats qui se sont retirés étaient convaincus eux-mêmes qui ne pesaient pas. Avant d’annoncer leur candidature, ils savaient qu’il y avait une mascarade électorale. Il ne fallait pas qu’ils s’engagent.
Propos recueillis par Raogo Hermann OUEDRAOGO