Depuis dimanche, Tripoli est le cadre de manifestations antiKadhafi. Des miliciens à bord de véhicules équipés de canons antiaériens ont tour à tour assiégé le ministère des Affaires étrangères et celui de la Justice pour réclamer ni plus ni moins que l’exclusion des anciens collaborateurs du régime déchu. Pire.
Ces manifestants exigent le vote par la plus haute instance politique du pays, le Congrès général national, d’un projet de loi visant l’exclusion pure et simple des anciens caciques, seconds couteaux ou subalternes du régime Kadhafi. Ainsi, presque deux ans après sa mort et malgré le retour à une vie civile plus ou moins apaisée, voilà que l’ex-dirigeant de la Jamahiriya continue de cristalliser l’hostilité de ses compatriotes.
On peut très bien comprendre le ressentiment que peuvent avoir bon nombre de Libyens envers le Guide et tous ceux qui, un jour ou l’autre, l’ont servi. Mais il faut aussi se dire que tous serviteurs qu’ils aient pu être, ces pestiférés d’aujourd’hui ne doivent pas pour autant être considérés comme les seuls comptables des péchés de l’ancien régime. Car quoi que l’on en dise, et quelles que soient les démonstrations venues de la rue, même frappés d’anathème, les cibles d’aujourd’hui ont été et sont toujours des Libyens appelés, à l’instar de leurs concitoyens en colère, à servir la nation.
A cela s’ajoute le fait que parmi les chefs rebelles beaucoup avaient compté au sein de la Jamahiriya avant de basculer, par simple opportunisme ou par la force de leurs convictions révolutionnaires, dans le camp de Bengazi. Absouts, ces ex-kadhafistes n’ont plus rien à craindre de la vindicte populaire, qui menace désormais leurs semblables. La purge brutale se poursuit donc, illustrant une fois de plus l’incapacité des nouvelles autorités à rétablir un semblant d’ordre et de paix sociale. On s’entête à poursuivre une chasse aux sorcières contreproductive et dangereuse, alors que la Libye a bien d’autres préoccupations. Et si les nouveaux maîtres du pays, au lieu de s’attaquer aux problèmes de sécurité, de relance de l’activité économique et de raccommodage du tissu social, préfèrent laisser le soin aux milices de dicter leur propre loi, ils risquent de faire du Kadhafi sans Kadhafi. Il y aurait alors de quoi désespérer de la révolution libyenne.