N'DJAMENA -- Le réalisateur tchadien, Mahamat Saleh Haroun, en lice pour la 66e édition du festival cinématographique de Cannes avec son dernier long métrage "Gris-gris", est très apprécié dans son pays natal où il a redonné l'amour du cinéma aux spectateurs et aux autorités.
"Gris-gris", actuellement en plein mixage à Paris, sera prêt d'ici le 10 mai, selon son réalisateur. Le film sortira en avant- première au Tchad à la mi-mai, avant d'être projeté devant le jury du festival qui sera ouverte le 16 mai. Les récompenses seront attribuées le 26 mai.
Mahamat Saleh Haroun n'a pas peur de se frotter à de grands noms de la réalisation, notamment les frères Joël et Ethan Cohen et le Danois Nicolas Winding Refn. Il a affirmé, la semaine dernière au quotidien local "Le Progrès", se présenter à nouveau à Cannes avec "toutes les ondes positives ressenties" en 2010 avec son film "Un homme qui crie".
"Je me présente avec un esprit positif, plein de sérénité", a- t-il précisé.
A l'annonce de la sélection de "Gris gris" pour la distinction suprême à Cannes, la télévision et l'ensemble des journaux tchadiens en ont longuement fait écho et souhaité "bon vent à l'artiste". Le Tchad tout entier, lui, retient déjà son souffle et prie que son fils gagne la Palme d'or. Ce qui sera le sujet d'une nouvelle et rare joie nationale.
Durant sa carrière entamée il y a deux décennies, ce cinéaste né il y a 52 ans à Abéché dans l'est du pays, a donné maintes fois des sourires et de la joie à son pays et à ses compatriotes.
Après des études au Conservatoire libre du cinéma français à Paris, au milieu des années 80, il délaisse une carrière de journaliste entamée pour entrer à l'Institut universitaire des télécommunications de Bordeaux. Titillé par ses pulsions cinématographiques, il se lance dans la réalisation en 1994 avec le court métrage "Maral Tanie", qui évoque la question des mariages arrangés et se voit couronné au Festival Vues d'Afrique la même année. En 1998, il a sorti son premier long métrage, un documentaire aux accents autobiographiques, "Bye Bye Africa". Ce film, primé à deux reprises à la Mostra de Venise, l'a propulsé sur la scène internationale et portera haut le drapeau du Tchad.
"Bye bye Africa" pose le problème du cinéma dans son ensemble: manque de structures d'aide à la production, absence de salle de cinéma, question du rôle joué par le cinéma et de sa nécessité, coupure avec le public populaire, désintérêt des autorités, etc.
En 2002, son second long-métrage, "Abouna", est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes et primé au Festival Panafricain de Ouagadougou (FESPACO).
Conjuguant régulièrement brutalité sociale et échappatoire cinématographique, Mahamat Saleh Haroun installe ses oeuvres au coeur d'un Tchad dévasté par la guerre. "Tous ses films sont des films éducatifs qui retracent la réalité de notre pays et les gens apprennent beaucoup de choses", résume Issa Serge Coelho, réalisateur et ami de Mahamat Saleh Haroun.
En 2006, "Daratt" obtient le prix spécial du jury à Venise et l'étalon de bronze au FESPACO de Ouagadougou, au Burkina Faso. Le président Déby Itno demande alors sa diffusion dans sa résidence en présence de tous les membres du gouvernement.
Les succès internationaux remportés par les films du réalisateur, ses prix dans les grands festivals comme Cannes ou Venise, encouragent la prise de conscience des autorités qui se rendent compte que le Tchad existe sur la scène cinématographique internationale grâce à un homme: Mahamat Saleh Haroun.
Son dernier long-métrage, "Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse", frappe un coup décisif grâce au Prix du jury obtenu à Cannes, en mai 2010. C'est la première fois qu'un cinéaste tchadien est distingué à Cannes. Les autorités tchadiennes se mobilisent : le ministre de la Culture de l'époque, Djibert Younous, fait le déplacement de Cannes.
"C'est une fierté pour le Tchad, parce que depuis 13 ans, l'Afrique n'a pas été représentée à Cannes. C'est le Tchad qui prend le devant des pays africains et c'est donc un honneur pour le Tchad. A travers ma voix, je tiens vraiment à lui dire merci. Merci encore", déclare le ministre tchadien.
Le cinéaste, lui, se définit comme "quelqu'un qui n'a pas de famille". "Je n'ai pas de soutien. Alors je cherche à créer ma propre famille et je tape le plus loin possible pour essayer de la trouver. Il faut que j'arrive à ce niveau-là pour que mon travail soit reconnu et que l'histoire me reconnaisse, à défaut d'un pays qui me soutienne", explique-t-il à des journalistes tchadiens, en juin 2010, après sa distinction à Cannes.
Alors que toutes les salles ferment sur l'ensemble du territoire tchadien, "Un homme qui crie" a le mérite de briser l'indifférence. Il rassemble les Tchadiens autour de lui et de son auteur, fédère tout un pays où l'unité n'est pas complètement achevée. "J'ai donné un coup qui a réveillé les morts", dit Mahamat Saleh Haroun.
Début janvier 2011, "le Normandie" (la première salle de N'Djaména, la capitale tchadienne, créée vers la fin de la seconde guerre mondiale entre 1945-1947 et fermée en 1990) rouvre ses portes. Mahamat Saleh Haroun se dit "très ému par ce cadeau inestimable" offert aux Tchadiens par le président Déby Itno à l'occasion de la célébration de la cinquantième année d'indépendance du pays.
D'autres projets de réouvertures sont en cours et permettront d'agrandir le parc de salles (il y en avait sept à travers tout le pays). Sont également envisagées les rénovations à court terme des salles de cinéma Rio et Shérazade à N'Djaména; ainsi que la construction d'une salle de cinéma dans chaque arrondissement de la capitale.
D'un coût global de 1,2 milliard F CFA (environ 1,7 million euros), la rénovation de cette salle est un cadeau offert par le chef de l'Etat aux Tchadiens à l'occasion de la célébration de la cinquantième année d'indépendance du pays. "Le Normandie", vaste de près de 600 places, sera administré par le cinéaste Issa Serge Coelo, un ami de Mahamat Saleh Haroun.
"Un homme qui crie" est à l'affiche durant tout le mois de janvier 2011, l'entrée est fixée à 1500 F CFA (environ 2,50 euros). Les Tchadiens de la capitale se pressent chaque soir pour voir ce film qui leur rend une rare fierté nationale; ceux qui ne peuvent pas aller dans la seule salle, se rendent à l'Institut français au Tchad, au Centre culturel Baba Moustapha ou dans les ciné-clubs. Ils se remettent à voir et à revoir les films de Mahamat Saleh Haroun.
"Je suis inspiré par la vie. Je lis beaucoup de romans, j'ai les sens ouverts et à l'écoute de tout ce qui se passe. Il y a des phrases qui peuvent m'ouvrir des portes et il y a aussi des rencontres. Par exemple, j'ai un projet pour l'année prochaine qui m'a été inspiré par un garçon que j'ai rencontré. Je l'ai vu faire un spectacle, il est handicapé et fait de la danse, il est sorti sur scène et quand je l'ai vu -- j'avais une histoire et je ne savais pas comment la commencer- il m'a inspiré", indique-t-il à la presse locale, en juin 2010.
Cette histoire-là, Mahamat Saleh Haroun la matérialise trois ans plus tard dans "Gris-gris" qui marque son retour en compétition, après avoir fait parti, en 2011, du jury du 64ème festival de Cannes, présidé par Robert de Niro. Le cinéaste tchadien tentera de hisser haut le drapeau de son pays. S'il réussit, le Tchad entier sera d'autant plus fier de lui comme il l'est déjà.