Après les effets accélérateurs de la grève de la faim et autres tentatives d’immolation par l’essence, voici venu le temps de la grève des caisses vides. Administrée en quelques jours seulement dans les hôpitaux et centres de santé publics, ses résultats auront été au-delà des attentes du Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (Syntsha). Lucky Luc et son gouvernement ont littéralement jeté l’éponge devant ce remède de cheval. C’était plus fort qu’eux. A quelques jours de la commémoration de la Fête du travail, le monde syndical burkinabè a de quoi jubiler. Le gouvernement a-t-il perdu la face?
En effet, l’option de la consultation gratuite est une «potion extrême» que le Syntsha a faite pour amener le gouvernement à revenir sur la révocation de l’anesthésiste Nonguezanga Kaboré en service à Séguénéga, dans la province du Yatenga, dans une affaire de «non-assistance à une parturiente» alors que celui-ci observait une grève légale. Dans un premier temps, «les blouses blanches» ont tenté un premier débrayage de 96 heures qui n’a fait que braquer les autorités et les populations contre eux. Le Premier ministre, alors de passage à l’Assemblée nationale pour présenter son discours sur l’état de la nation, n’était pas allé par quatre chemins pour marteler que son gouvernement ne reculerait pas devant sa décision. C’est alors que le Syntsha a décidé de rééditer sa grève, mais avec une nouvelle tactique. Cette fois-ci, il ne s’est plus agi de déserter les hôpitaux et centres de santé, mais d’administrer les soins sans encaisser le moindre kopeck. L’opération a séduit les patients qui, pour la première fois, ne devaient pas payer de frais de consultation. Le mouvement était prévu pour durer une dizaine de jours.
Mais les pertes enregistrées ici et là par les responsables des centres hospitaliers des grandes villes et des campagnes ont visiblement contraint le gouvernement à mettre «balle à terre». Il ne pouvait pas supporter plus longtemps de voir s’évaporer des ressources qui n’étaient déjà pas suffisante. Le Syntsha a donc frappé là où ça fait mal. Et les autorités sanitaires ont évité le K.-O de justesse. Le Premier ministre et son gouvernement ont simplement abdiqué leur intransigeance de départ. Ils ont fait une mauvaise appréciation du pouvoir de nuisance de ce syndicat, habitué jusque-là à demander à leurs militants d’arrêter de travailler. Cette fois, il a compris que l’essentiel n’était pas de déserter les postes, mais de faire en sorte que les pouvoirs publics n’aient pas d’autre choix que de les écouter.
Cette stratégie a tellement bien marché que le gouvernement a courbé l’échine. Il est revenu à la table des négociations, non plus pour faire le dilatoire habituel, mais pour conclure un accord en un temps record. Lorsqu’il a accepté de revenir sur le licenciement de l’anesthésiste Nonguezanga Kaboré, il n’y avait logiquement plus de raison pour le Syntsha de poursuivre cette grève ruineuse pour les caisses de l’Administration hospitalière. Pour le gouvernement, il s’agit là d’une décision réaliste et responsable certes, mais qu’il a dû prendre dans une position où le bras de fer engagé ne lui était plus favorable.
Dans un Burkina où les syndicats sont convaincus que le gouvernement ne plie que lorsqu’il est contraint de le faire, il est bien difficile de croire que, cette fois, il a agi «pour l’intérêt de la paix sociale». C’est là où le bât blesse, parce que le Premier ministre en personne s’était engagé, dans cette affaire, à ne rien céder au Syntsha. Maintenant que son gouvernement reconnaît explicitement que les arguments qui ont prévalu au licenciement de l’anesthésiste Kaboré ne tiennent pas la route, il y a lieu de situer les responsabilités.
Car au-delà du respect de la liberté syndicale qui fait l’objet de la principale revendication du Syntsha, il reste qu’il y a eu pertes en vie humaine à Séguénégua. Si l’on reconnaît aujourd’hui que Nonguezanga Kaboré n’est pas responsable du décès, le 17 décembre 2012, de cette dame qui a perdu la vie en voulant donner la vie, il faut maintenant que le gouvernement désigne le véritable auteur de cette situation inacceptable pour toutes les femmes et mères du Burkina. C’est une question d’honneur pour les pouvoirs publics, qui ont ratifié plusieurs conventions internationales en matière de protection de la vie des femmes enceintes et de leurs enfants. Pour le Syntsha, le vrai coupable du drame de Séguénégua n’est autre que «l’insuffisance du plateau technique du bloc opératoire». Et ça fait cinq ans que dure l’incapacité de la structure médicale à prendre en charge une «crise d’éclampsie». Pourquoi donc le gouvernement n’a rien fait pour relever le plateau technique de cette localité? A quelque chose la grève du Syntsha aura permis de lever le voile sur une situation sanitaire qui n’est pas elle-même reluisante.
Le remède de cheval, ça fait vraiment courir Lucky Luc. Mais dans combien de secteurs d’activité les syndicats ont-ils le pouvoir d’user des mêmes armes? En ces temps de vie chère, Monsieur Goama aimerait bien profiter d’une grève «caisses vides» des pompistes, des agents de la Sonabel, de l’Onatel, des enseignants et des barmans.