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Rapport sur la fraude fiscale : un manque à gagner de plusieurs centaines de milliards de fcfa
Publié le lundi 19 octobre 2015  |  L`Observateur Paalga




La commission d’enquête parlementaire « sur la fraude fiscale, l’impunité fiscale, les restes à recouvrer des régies de recettes ainsi que les chèques revenus impayés du Trésor (2012, 2013 et 2014) » a présenté officiellement son rapport à la presse, vendredi 16 octobre dans l’hémicycle du Conseil national de la Transition (CNT). Plus de trois mois de travail et plusieurs dizaines d’heures d’audition ont permis d’identifier bon nombre de dysfonctionnements, et de dégager certaines responsabilités au sein des administrations et des entreprises. Au cours des trois dernières années, les députés estiment ainsi à plusieurs centaines de milliards de FCFA le manque à gagner de la fraude fiscale pour les finances publiques.

Peu après 9h, le ministre de l’Agriculture pénètre dans le bâtiment circulaire qui abrite depuis près d’un an le Conseil national de la Transition (CNT). Tout sourire, François Lompo répond aux questions des journalistes, avant de remettre aux députés le très volumineux rapport que vient d’examiner le gouvernement.

Quelques minutes plus tard, le président de l’assemblée de Transition, comme à son habitude tout de blanc vêtu, fait une entrée remarquée dans l’hémicycle. Les parlementaires se lèvent puis se rassoient. Le secrétaire de séance commence l’appel : 46 présents, 44 absents, mais parmi eux 27 « excusés » et cinq qui ont pris le soin d’établir une procuration. 51 votants au total, quorum atteint pour valider la publication du rapport -après tout de même près d’une heure de débats à huis clos.

Les journalistes sont alors invités à reprendre place dans la salle du Conseil, pour écouter le vice-président de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) expliquer comment celle-ci a travaillé. Instituée le 30 juin par une résolution du CNT, elle a procédé la semaine du 27 juillet à quelque 300 auditions, du ministre de l’Economie à celui de la Justice, en passant par plusieurs hauts magistrats, représentants d’autorités indépendantes, banquiers, organisations socio-professionnelles et politiques, sans oublier bien sûr certains responsables des entreprises et des administrations publiques mis en cause. Du 3 au 15 août, les membres de la commission se sont ensuite rendus sur le terrain, dans différentes régions du pays, pour auditionner de nouveau près de 300 personnes.

« De manière générale, l’enquête s’est déroulée dans de bonnes conditions. (…) La Commission exprime le souhait que les résultats de ses travaux puissent être la part contributive du Conseil national de la Transition au renforcement d’une bonne gouvernance, et aider à une gestion saine des finances publiques », assure le vice-président de la CEP, Alexandre Sankara.

Inefficacité et complicité des agents, indélicatesse des fraudeurs

Le rapporteur général du texte prend la parole pour en dévoiler petit à petit le contenu. « La fraude fiscale est un phénomène lié à la structure de notre économie, principalement caractérisée par la prédominance du secteur informel », débute Adama Ilboudo en lisant les premières lignes du rapport. « Cette fraude se manifeste sous différentes formes. Les plus fréquemment rencontrées sont : le non-reversement de la TVA, perçue par les commerçants comme un bénéfice, la tenue d’une double comptabilité, les certifications de faux bilans par des experts-comptables, etc…»

Le député s’attaque alors à la question des chèques impayés, pointant la responsabilité des banques, mais aussi une certaine lenteur administrative : près de 11% des chèques seraient reçus déjà hors délai légal de présentation en compensation (8 jours), le Trésor public outrepassant presque systématiquement cette échéance. En cause : le manque de compétences, mais souvent aussi une certaine complicité des agents avec les fraudeurs, notent les parlementaires.

Le document consacre également une longue partie aux restes à recouvrer (RAR) - «la différence entre les émissions de recettes et les recettes effectivement recouvrées». Ces sommes correspondent tout simplement aux impôts, aux taxes ou aux remboursements de prêts non versés, pour lesquels les mauvais payeurs font rarement l’objet de «redressements» longs et fastidieux. Le texte cible particulièrement certains députés de la Cinquième législature, et dénonce des arrangements sur les taux des redevances minières.

Il pointe également des dysfonctionnements au niveau de certaines entreprises ou administrations, de même qu’une fréquente impunité fiscale due à l’ingérence du politique dans le travail des agents -parfois impunément agressés par des fraudeurs considérés, en revanche, comme des modèles « dès lors qu’ils font des dons et sont médiatisés ».

« L’important, c’est de retenir que la lutte contre la fraude est inefficace »

Le rapport de la CEP se hasarde même à quelques estimations du manque à gagner qu’ont représenté pour l’Etat certaines fraudes commises entre 2012 et 2014 (voir encadré). Ainsi, rien que les pertes fiscales annuelles liées à la contrebande des motos seraient comprises entre 2 et 23 milliards de FCFA, et s’élèveraient à près de 22 milliards de FCFA en ce qui concerne l’importation illicite de carburant. «Nous avons voulu cibler les secteurs les plus marquants», commente M. Ilboudo. «Bien sûr, nous ne pouvons pas évaluer exactement ce que nous avons perdu. L’important, c’est simplement de retenir que la lutte contre la fraude est inefficace.»

La commission termine en formulant un certain nombre de recommandations et de propositions, parmi lesquelles :

-l’ouverture d’une période d’allègement ou d’abandon des pénalités pour favoriser le recouvrement de l’impôt,

-la création d’un service spécial dédié au recouvrement des créances fiscales et des chèques impayés, et d’une commission ad hoc chargée de l’apurement de portefeuilles,

-la poursuite administrative ou pénale, pour l’exemple, des agents publics, des banques et des «émetteurs indélicats» mis en cause par l’analyse du portefeuille des chèques impayés du Trésor.

«Ce travail fait œuvre de salubrité publique, préconisant d’assainir les comptes pour renforcer la bonne gouvernance du pays», conclut l’un des auteurs. «Nous espérons que le président du CNT et le gouvernement prendront les mesures qui s’imposent. Il appartient désormais à chacun de nous de constituer une cellule de veille et de pression, afin que vraiment plus rien ne soit jamais comme avant!»

Thibault Bluy

Estimations des pertes liées à la fraude fiscale (2012-2014)

- Contrebande de motos : entre 2 268 000 000 et 22 680 000 000 FCFA.

- Contrebande de carburant : 21 807 134 875 FCFA.

- Restes à recouvrer de la Direction des grandes entreprises (DGE) : 112 785 497 181 FCFA.

- Restes à recouvrer de la Direction générale des douanes (DGD) : 29 218 338 165 FCFA.

- Restes à recouvrer des prêts contractés par les membres du gouvernement, présidents d’institutions, députés et personnes morales : 49 036 399 561 FCFA.

- Chèques impayés au Trésor public : 29 876 366 935 FCFA.

A noter que certaines personnes mises en cause, y compris le vice-président de la commission d’enquête lui-même, ont prouvé leur bonne foi en venant régler leurs arriérés dès qu’ils en ont reçu notification
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