Ceci est le résumé des conclusions de l’enquête menée par l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International sur le putsch du 16 septembre dernier au Burkina Faso, publié sur le site de l’organisation. Le document a été présenté hier 14 octobre 2015 à la presse nationale. Le voici en intégralité.
« Burkina Faso: l’impunité continue
L’ancienne garde présidentielle du Burkina Faso a tué 14 manifestants et passants non armés et blessé des centaines d’autres avec des armes automatiques à la suite du coup d’État au mois de septembre dernier. Une commission doit enquêter sur les violations des droits humains, passées et récentes.
Si le général Gilbert Diendere, à la tête du coup d’État, et le général Djibril Bassole, ancien ministre des Affaires étrangères, ont été arrêtés et inculpés de plusieurs crimes, notamment d’atteinte à la sûreté de l’État et de meurtre, les membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) sont réintégrés dans l’armée nationale.
Notre enquête sur la mort des personnes tuées dans les jours qui ont suivi le coup d’État du 16 septembre a conclu que 14 manifestants et passants avaient été tués par des tirs d’arme automatique imputables à des membres du RSP. Aucune des victimes, dont deux enfants, n’était armée ni ne représentait une menace pour les forces de sécurité.
Que des soldats ouvrent le feu sur une foule de manifestants non armés, dont des enfants, avec des armes automatiques, est une utilisation de la force qui constitue un crime de droit international, a déclaré Alioune Tine, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
Les membres du RSP jouissent depuis longtemps de l’impunité, alors qu’ils sont à l’origine de graves violations des droits humains. Il faut des enquêtes indépendantes en vue de traduire en justice les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité pénale et de les juger dans le cadre d’un procès équitable où la peine de mort ne sera pas requise.
DES MANIFESTATIONS PACIFIQUES RÉPRIMÉES DANS LE SANG
Sur les 14 personnes tuées à Ouagadougou entre les 16 et 20 septembre, six avaient participé à des manifestations pacifiques contre le coup d’État. De nombreux témoins ont confirmé qu’à plusieurs reprises, les manifestants levaient les mains en l’air. Alors qu’ils affichaient clairement leurs intentions pacifiques, les soldats ont ouvert le feu sans sommation.
Le 17 septembre, lors de la manifestation devant le palais du roi traditionnel Moogho Naaba, des membres du RSP sont arrivés et ont commencé à tirer en l’air et en direction de la foule. Deux personnes ont été abattues sur la place. Un journaliste présent sur les lieux décrit des manifestants en fuite poursuivis par les soldats :
Alors que les gens fuyaient, ils étaient pourchassés par des membres du RSP, à moto, qui se sont mis à tirer. Un manifestant est tombé, touché à la nuque. Du sang coulait de sa nuque et de sa bouche… Il est mort peu après. »
DES TIRS DANS LE DOS
Selon des éléments médicaux relatifs à un certain nombre de cas dont nos chercheurs ont eu connaissance, six victimes se sont fait tirer dans le dos. Des témoins ont confirmé qu’elles avaient été tuées alors qu’elles tentaient d’échapper aux forces de sécurité. D’autres personnes sont mortes de balles reçues à la tête, à la poitrine ou au thorax, ce qui indique que les soldats qui ont ouvert le feu n’ont pas tenté de réduire le risque de blessures mortelles.
Selon les chiffres du gouvernement, 271 personnes ont été blessées durant les violences qui ont fait suite au coup d’État. D’après les documents médicaux consultés par nos chercheurs, un grand nombre d’entre elles ont été blessées par des balles réelles, tandis que des vidéos et des témoins confirment que d’autres ont été fouettées et frappées par le RSP.
Le 18 septembre, une femme enceinte a reçu une balle dans le ventre, alors qu’elle se trouvait sur le pas de sa porte dans le quartier de Tampouy, à Ouagadougou.
La balle a percé son utérus et nous avons dû procéder à une césarienne, a raconté à Amnesty International la sage-femme qui la suivait. Le bébé est né avec une blessure par balle à la fesse gauche. »
DES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS, DES JOURNALISTES ET DES PERSONNALITÉS POLITIQUES ATTAQUÉS
Nous avons également recensé des restrictions de la liberté d’expression après le coup d’État, notamment des attaques menées par le RSP contre des journalistes, des personnalités politiques et des défenseurs des droits humains.
Le studio de Smockey, musicien et dirigeant du mouvement de la société civile Balai Citoyen, a été gravement endommagé par une roquette anti-chars. Nos chercheurs ont retrouvé l’obus de roquette et observé des impacts de balles dans le mur, tandis que des ordinateurs et divers équipements ont été dérobés.
Des chaînes de radio et de télévision et des journaux ont également été ciblés : des équipements ont été confisqués ou détruits et des employés frappés et menacés. Des réseaux de radio et de télévision nationaux et privés ont été contraints de suspendre leurs programmes.
Lors d’une attaque, des membres du RSP ont incendié les motos du personnel de Radio Omega. Une autre fois, le photographe Jean Jacques Konombo a été frappé à coups de pied et de ceinture par plus de six soldats, jusqu’à ce qu’il perde connaissance.
Par ailleurs, des membres du gouvernement de transition pris en otage ont été maltraités, privés de nourriture pendant deux jours et certains se sont vus refuser les soins médicaux dont ils avaient besoin.
DEMANDES D’ENQUÊTES
Nous appuyant sur les éléments de preuve recueillis, nous avons soumis une note aux autorités de transition demandant l’élargissement d’une Commission d’enquête prévue, afin que celle-ci enquête sur ces homicides et sur d’autres atteintes aux droits humains, notamment sur les 10 manifestants abattus lors des rassemblements d’octobre 2014, et sur les meurtres de Thomas Sankara et de Norbert Zongo.
Les autorités de transition du Burkina Faso doivent veiller à ce que toutes les violations des droits humains commises par les forces de sécurité, notamment les crimes relevant du droit international, fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales menées par une commission élargie.
C’est la condition pour que le pays engage clairement la rupture avec son passé et énonce sans détour que de telles violences ne seront pas tolérées à l’avenir.
UN MOIS DE CRISE
2 septembre : les autorités de transition avaient annoncé la création d’une commission d’enquête, avec l’intention d’enquêter sur la mort d’au moins 10 manifestants, victimes des tirs des forces de sécurité durant les rassemblements d’octobre 2014, qui ont conduit à la chute de l’ancien régime du président Blaise Compaore.
25 septembre : le gouvernement par intérim a annoncé la dissolution du RSP et la création d’une commission afin d’identifier les responsables du coup d’État.
28 septembre : les autorités ont créé une autre Commission chargée d’enquêter sur les personnes soupçonnées d’être les instigatrices du coup d’état.
30 septembre : le général Gilbert Diendere, qui en avait pris la direction, a été arrêté à Ouagadougou. Le général Djibril Bassole, ancien ministre des Affaires étrangères, a également été interpellé en lien avec le coup d’État. Les deux hommes ont été inculpés de 11 infractions chacun, notamment de menace à la sûreté de l’État et de meurtre. Ils seront jugés par un tribunal militaire. Amnesty International s’oppose à l’utilisation de tribunaux militaires dans de tels cas ; elle considère que ces procès doivent avoir lieu devant des juridictions civiles, et que les tribunaux militaires doivent être réservés aux procès de membres de l’armée pour des infractions au code militaire. »