Le volcan endormi se réveillera-t-il ?
La Côte d’Ivoire est entrée de plain-pied dans la campagne électorale pour la présidentielle du 25 octobre prochain. Et à coup sûr, le goût pimenté des campagnes à l’ivoirienne devrait détendre le rictus de bon nombre d’Africains. On a encore en mémoire les pas de danse de l’ex-président, Laurent Gbagbo, devant une foule surchauffée. Malheureusement aussi, les élections en RCI portent le spectre de la violence et la question qui taraude les esprits est celle de savoir si le pays pourra relever le défi d’une campagne apaisée. Les facteurs confligènes rendent très élevé le taux d’explosivité de la scène politique ivoirienne qui se présente comme une véritable poudrière. La légitimité de Alassane Dramane Ouattara (ADO) continue d’occuper l’esprit de ses opposants dont certains ont appelé au boycott des élections après les vains appels à la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI). D’autres comme Mamadou Koulibaly ou Amara Essy ont tout simplement jeté l’éponge pour, disent-ils, «ne pas se rendre complices d’une mascarade électorale».
ADO dispose d’une nette longueur d’avance sur ses adversaires
Au regard des incidents de 2010 et « les anciens tisons s’allumant vite » comme le dit l’adage, les risques de turbulences sont accrus et l’inquiétude est d’autant plus grande que seuls quatre candidats se sont pliés au principe du gentleman agreement du code de bonne conduite. Pour peu donc, le cocktail molotov ivoirien peut exploser. On comprend donc l’importance du dispositif sécuritaire mis en place pour le scrutin à venir : quelque 34 000 soldats dont 6 000 Casques bleus veilleront à sécuriser le vote.
Le président sortant, Alassane Dramane Ouattara, part grand favori. Porté par une coalition comprenant son parti, le Rassemblement des Républicains (RDR) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il surfera sans aucun doute sur son bilan économique. Usant de ce qu’il savait faire le mieux, la finance, et soucieux de renvoyer l’ascenseur à ses soutiens étrangers intéressés qui l’ont aidé à conquérir et asseoir son pouvoir, il a réussi le pari d’une embellie économique qui se matérialise par sa croissance à 2 chiffres et les bailleurs qui se bousculent aux portillons. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est sur l’économique qu’il fonde sa campagne, promettant aux Ivoiriens un «programme 2016-2020 encore plus ambitieux», avec des «infrastructures modernes, des centres de santé et des écoles» pour toutes les régions. Disposant de l’atout supplémentaire de l’appareil étatique dont certaines institutions comme la télévision ivoirienne qui ont été instrumentalisées à son profit, il dispose d’une nette longueur d’avance sur ses adversaires et ne fait pas mystère de sa volonté «de gagner dès le premier tour sur un score sans appel». En face de lui, ses 9 autres adversaires désunis et désemparés et souvent à court d’arguments, agitent le spectre de l’ivoirité et de la crise post-électorale de 2010, quand ils n’ironisent pas avec les boutades du genre «on ne mange pas les ponts».
Sur ce plan, cependant, ADO semble avoir prêté le flanc à ses contempteurs car il n’a pas affiché de ferme volonté de résoudre les problèmes de fond de la RCI. Les plaies de la guerre et de la violence post-électorale peinent à cicatriser du fait que les questions de justice et de réconciliation nationale ont été volontairement éludées.
Le métissage du peuple ivoirien est né de la volonté de ses pères fondateurs
Sur ces questions, ADO est resté au milieu du gué, englué par les intérêts de ses soutiens armés et par peur de scier la branche sur laquelle il est assis. Ce parti pris du chef de l’Etat pourtant garant de l’unité nationale et premier magistrat du pays, a parfois viré à l’acharnement contre ses adversaires politiques dont beaucoup croupissent derrière les murs moisis de la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan). Du coup, le lustre de sa probable victoire se trouvera terni par ces morceaux qui refusent de recoller du fait que la nation ivoirienne n’a pas encore accédé à la véritable morale, à la renonciation à la vengeance, à l’empathie et à la volonté de réparer la relation humaine et sociale brisée de par le passé. A quoi serviront donc toutes ces infrastructures dont se vante ADO, si elles doivent faire à nouveau l’objet de destruction dans des guerres nées du refus des Ivoiriens de vivre ensemble ?
Il reste à espérer donc que les Ivoiriens ne continuent pas comme ils l’ont longtemps fait, de mettre plus l’accent sur ce qui les divise plutôt que sur ce qui les unit. Ils connaissent plus que tout autre le prix de la paix pour l’avoir payé de leur sang et de leurs larmes. De ce fait, les politiques doivent mettre sous le boisseau les arguments des égouts et élever le niveau du débat au risque d’entraîner à nouveau l’implosion du pays. La question de l’ivoirité doit être enterrée car les peuples biologiquement purs n’existent pas. Mieux, l’histoire récente nous rappelle à souhait que les grandes nations contemporaines sont nées du brassage des peuples qui ont pu transcender leurs différences et unir leurs forces au service du devenir collectif. Le métissage du peuple ivoirien est né de la volonté de ses pères fondateurs. Mais à écouter certains leaders politiques, on ne peut être que d’accord avec Aldous Huxley quand il dit que « le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous enseigne." C’est pourquoi, pour ADO, super favori du scrutin, le plus grand chantier de son nouveau quinquennat devra être celui de la consolidation de la paix et du vivre-ensemble. Il y va aussi de la qualité de son legs pour les générations futures.