Le très attendu procès des présumés fraudeurs aux concours de la fonction publique a donc eu lieu ce vendredi 9 octobre. Les 23 prévenus (dont 7 femmes) dans ce dossier ont comparu au tribunal de grande instance de Ouagadougou. Au bout de plus de 12 heures de procès, le dossier a été mis en délibéré et le verdict est attendu pour le 23 octobre prochain.
Le procès a démarré vers 8h40 mn. Mais les débats dans ce procès n’ont pu véritablement commencer qu’à 11h. Les avocats des prévenus ayant mentionné un vice de procédure qui a été rejeté par le tribunal. Ce procès aura été l’un des procès aux multiples rebondissements. Des prévenus qui avouent leur faute avec détails et demandent pardon, certains qui reconnaissent les faits en partie, d’autres qui nient en bloc, ou qui changent de version à chaque étape de la procédure en chargeant parfois leurs co-prévenus…
Les 23 prévenus, dont sept femmes, sont appelés à la barre par vagues. Le premier appelé, celui par qui tout serait parti, dit ne pas reconnaître les faits qui lui sont reprochés. Il s’agit d’Issouf Tou, le directeur du cabinet chargé de la confection des épreuves des concours directs de la fonction publique depuis 2000. M. Tou reconnait avoir communiqué avec des candidats et d’autres personnes mises en cause dans cette affaire de fraude. Mais, il affirme avoir simplement donné des explications, des orientations, souvent des exemples à ces derniers, mais jamais les corrigés d’une quelconque épreuve.
Pourtant, devant le parquet, il aurait reconnu les faits tout comme à la police. « J’étais dans autre état d’esprit », fait remarquer M. Tou au procureur. Six autres prévenus vont nier les faits à eux reprochés au nombre desquels notre confrère Ouezzen Louis Oulon. Son petit frère et sa petite sœur qu’il soupçonné d’avoir aidé en feront de même.
Les autres prévenus, eux reconnaissent les faits qui leur sont reprochés. Seydou Compaoré est contrôleur des impôts, reconnait avoir reçu les sujets et leurs corrigés de Hyppolite Kabré et d’Issouf Tou par téléphone, contre une enveloppe de trois millions de francs CFA. Les trois personnes suscitées appartiennent à la même formation politique. Seydou Compaoré reconnait également avoir transmis les sujets reçus et leurs corrigés à son ami Ousmana Ouédraogo, un contrôleur du Trésor (qui voulait aider ses frères et amis), mais aussi à Saïdou Birba, directeur du cabinet Birba formation.
M. Birba quant à lui, dit avoir remis les épreuves reçues à Lassané Ilboudo, Karim Birba, Safiatou Tamboura, Habibou Ouédraogo, Issouf Birba, Léonie Kapioko contre 2,5 millions FCFA et à Louis Ouezzen Oulon, directeur de la télévision nationale.
« Encore une affaire de sexe et de famille! »
C’est ce qui est ressorti de la plaidoirie de chacun des 23 prévenus à l’ouverture du procès des accusés. Ce que Mme le procureur a qualifié de « déplorable » n’est en réalité qu’une histoire de famille et d’ami(e)s qui s’est retrouvée devant les juges du TGI de Ouagadougou. Appelé à la barre pour répondre des faits reprochés, chacun a dû expliquer comment et pourquoi il s’est retrouvé lié à cette histoire de fraude. « C’est mon frère », « c’est ma nièce », « c’est mon neveu », « c’est ma copine », « c’est ma femme », « c’est mon ami(e)… .
« Je connais M. Birba comme formateur, pas comme dealer. Je suis embarqué dans un tourbillon que je ne comprends pas. Nos échanges se sont limités au rapport formateur et quelqu’un qui cherchait à faire former ses petits frères », soutient Ouezin Louis Oulon qui ne comprend pas le fait que M. Birba vende lesdits corrigés à 2,5 millions FCFA aux autres, et qu’à lui, il ne réclame aucun franc. M. Oulon se dit même étonné d’apprendre à la barre que M. Birba connait chez lui.
La seule preuve matérielle, c’est la copie d’un chèque de 100 000 FCFA émis par Ouezzen Louis Oulon au nom de Saïdou Birba. Ce montant correspondrait aux frais de formation de ses filleules. Seulement, Alimata Blandine Oulon révèle à la barre que c’est grâce à elle que M. Birba a connu la maison familiale. Ce dernier s’y serait rendu à plusieurs reprises pour des rendez-vous « galants ».
Elle profite d’ailleurs de l’occasion pour faire son mea-culpa à son frère Ouezzen Louis Oulon. Que d’éléments troublants dans cette affaire! Mais, il y a eu très peu de preuves matérielles. Tout ou presque se serait passé via le téléphone ou par courriel dans cette affaire. Et généralement entre minuit et 6h du matin, le jour de composition de l’épreuve concernée. Certains soutiennent qu’on leur a dicté des réponses au téléphone. La plupart des présumés coupables ou leurs complices disent également avoir reçu gratuitement les épreuves. Seulement trois personnes auraient payé le concours de l’ENAREF cycle B à 2,5 millions et l’ENAREF cycle C à 1,5 million. C’est cet argent qui aurait permis à Seydou Compaoré de se mettre en règle vis-à-vis d’Issouf Tou, selon ses propos.
Un dossier vide ?
Après les débats, place au réquisitoire du procureur et la plaidoirie des avocats. Mais, d’abord, la parole est à la partie civile, représentée par l’Agent judiciaire du trésor. Ce dernier retiendra que certains prévenus sont restés constants dans leurs déclarations, d’autres par contre ont voulu se prêter à un jeu de dupes. « Sont de ceux-là Issouf Tou qui a reçu de mirobolantes sommes d’argent de l’Etat pour ce travail. Il a voulu passer outre pour se faire davantage d’argent, illicitement », regrette Urbain Somé. « Certes, il y a des préjudices énormes causés par cette situation dont la violation du principe de l’égal accès aux emplois de l’Etat. Mais, l’Etat ne se constituera pas partie civile dans ce dossier », soutient l’Agent judiciaire du trésor.
Au cours des plaidoiries des différents conseils des prévenus, tous évoquent le manque d’éléments matériels ou intentionnels et parlent « d’infraction non établie ou non constituée ». Certains diront même que ceux qui ont reçu les sujets ou leurs corrigés ne sont pas punissables puisque la loi dit que « celui qui communique, transmet, diffuse ou vend des épreuves, leurs corrigés ou les solutions », pas celui qui reçoit.
En tous les cas, les différents avocats se sont évertués pendant plusieurs heures à démontrer que le dossier est vide. Les éléments constitutifs de fraude manqueraient au dossier d’où l’infraction impossible, selon certains. Ainsi, ils demandent la relaxe de leurs clients au bénéfice du doute. Au pire des cas, certains avocats demandent la condamnation avec sursis de leur client.
Le procureur, lui, dans son réquisitoire, a demandé l’application de la peine maximale pour l’ensemble des prévenus, soit un an de prison ferme et une amende de un million de FCFA comme le prévoit l’article 308 du code pénal. Une peine qui pourrait, malgré tout, s’avérer légère aux yeux de l’opinion publique. En attendant, le dossier est mis en délibéré pour le 23 octobre prochain.
Abel AZONHANDE