Le diable s’est-il encore emparé des Ivoiriens ou ont-ils, tout simplement, la mémoire courte ? En attendant de voir clair, les jours à venir pourront nous situer davantage. Car, l’image que les uns et les autres nous ont présentée, le 22 avril 2013, dès les premières heures de la proclamation des résultats des élections municipales et régionales, est décevante. Et pour cause ? Alors que l’on espérait que cette fois-ci, les politiques et le citoyen lambda ivoiriens avaient compris et qu’ils iraient au-delà des intérêts personnels pour mettre la survie de leur pays en avant, c’est tout à fait le contraire qu’ils ont donné à voir. En effet, le calme relatif, qui a régné le jour du vote, a été perturbé. Des supporters de certains candidats ayant tenté, le lundi, d’empêcher l’acheminement des urnes et des procès-verbaux vers la Commission électorale indépendante, provoqant des incidents qui ont causé de nombreux blessés. Et en plus, certains groupes ont eu des attitudes peu honorables en détruisant et volant des urnes, au passage, rendant problématique la publication des résultats dans certaines communes. «Une dizaine de communes ont connu des destructions ou des vols d’urnes après le dépouillement», selon une source de l’ONUCI. Aussi, il revient qu’il y a eu plusieurs blessés à Yamoussoukro, dans le Centre du pays et des bureaux de la commission électorale de Ferkéssedougou dans le Nord du pays, saccagés. Et que dire de ce qui s’est passé dans la capitale économique ivoirienne où les forces de l’ordre ont empêché, de justesse, des manifestants fidèles à un ministre-candidat, de faire une descente sur la mairie de Koumassi. Des incidents ont aussi éclaté à Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan, entraînant un blessé touché par balle, lors de l’intervention des militaires, pour barrer la route aux partisans d’un candidat indépendant. De tristes exemples dont la liste est longue. Mais, que visent de tels agissements ? N’est-ce pas pour empêcher la Commission électorale indépendante de publier les résultats des élections ? En tous les cas, il est évident que ces vandalismes vont porter un coup au délai de publication des résultats dans certaines communes. Cette «délinquance électorale» a déjà compliqué l’opération à Treichville. Le porte-parole de la Commission électorale indépendante, Inza Diomandé, l’exprime à propos : «A partir du moment où tous les documents qui contiennent les chiffres pouvant nous faire dire qui a gagné et qui n’a pas gagné, ne sont plus utilisables… On ne peut plus les retrouver. Par exemple, le cas de Treichville, où tout a été emporté, on ne peut pas déclarer quelqu’un élu ou pas... La Commission centrale va se réunir et décider en conséquence dans ces cas-là».
Il est vrai que le ciel ivoirien n’était pas encore totalement dégagé des nuages qui menacent la paix et la cohésion sociale, mais l’on s’attendait à mieux de la part des uns et des autres. Malheureusement, il se révèle que les Ivoiriens sont amnésiques. Ils ne savent pas se servir de leurs erreurs pour avancer. Sinon, après les effets de la crise politique née de l’élection présidentielle de 2010, qui ont fragilisé le pays, chacun devrait réfléchir 10 fois, avant de vouloir troubler un processus électoral, sachant les conséquences qui peuvent en découler. Mais hélas…
Ce qui est déplorable, c’est que ce sont des amis d’hier qui se livrent au ridicule, en se faisant la guerre. Sans un adversaire de taille en face, des suspicions ont fait jour entre les principales formations alliées du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) au pouvoir, le RDR (Rassemblement des républicains) et le PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire). Les plus heureux dans cette honteuse et abominable scène, ce sont les pro-Gbagbo, qui doivent rire sous-cape, au regard du théâtre auquel se livrent les héritiers du premier Président de la Côte d’Ivoire. Ils auront réussi, à tout point de vue. Car, les Ivoiriens se sont peu mobilisés, le dimanche 21 avril 2013, pour les élections municipales et régionales boycottées par le parti de l'ex-président, Laurent Gbagbo. Le fait a été confirmé par la Commission électorale indépendante qui a affirmé qu’il n'y a pas eu une «grande affluence», estimant que la participation pourrait se situer autour de 30%. En tous les cas, si les Ivoiriens ont oublié, ils doivent se rappeler les conséquences de la crise politique de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, qui a débuté après le second tour de l'élection présidentielle de 2010. Le premier scrutin depuis 10 ans, dont le résultat a causé un différend électoral, à la suite de fraudes présumées. Dans son rapport rendu le 10 août 2012, la Commission d'enquête nationale mise en place après l'investiture de Alassane Ouattara estime le nombre de morts total à 3 248 (1 452 morts imputées au camp Gbagbo, 727 au camp Ouattara et 1 069 non attribuées à un camp ou l'autre, en raison de problèmes d'identification des victimes). Il y a de quoi réfléchir et mettre balle à terre, en parcourant ces chiffres, pour éviter le retour des vieux démons.