Suite au coup d’Etat du 16 septembre 2015, qui a fait beaucoup de blessés et engendré des pertes en vies humaines, la Croix-Rouge burkinabè a joué un grand rôle dans le secours des victimes, à travers ses équipes de volontaires qui ont sillonné la ville de Ouagadougou et d’autres villes du pays. Sous les balles qui pleuvaient, ces volontaires ont dû braver toutes les difficultés pour venir en aide aux blessés du putsch. Le secrétaire général de la Croix-Rouge burkinabè, Lazare Zoungrana, que nous avons rencontré, le lundi 5 octobre 2015, à Ouagadougou, est revenu sur l’organisation de sa structure pendant la crise, les difficultés rencontrées et le bilan de l’opération de secours.
Comment la Croix-Rouge a-t-elle travaillé pendant la période de crise née du dernier putsch ?
Avant de répondre à cette question, permettez-moi de vous présenter la Croix-Rouge burkinabè qui est un organisme humanitaire intervenant dans les situations d’urgence tels les catastrophes et les conflits armés. Elle travaille également en temps de paix à mettre en œuvre des projets de développement au profit des personnes les plus vulnérables sur la majeure partie du territoire national. Pour revenir à votre question, je dirais que la Croix-Rouge burkinabè suit de près l’évolution de la situation nationale. Aussi, nous avons élaboré un plan de contingence qui est régulièrement mis à jour. Ce dispositif nous a permis d’intervenir efficacement lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 pour assister les victimes. Par la suite, nous avons maintenu la veille. Toute chose qui a facilité le déploiement rapide de nos équipes d’intervention lors des récents évènements. Nous intervenons pour sauver des vies humaines. Il n y a donc pas de tâtonnements possibles qui tiennent. De ce fait nos équipes ont été recyclées sur différents modules tels que les premiers secours et l’accès plus sûr aux victimes afin de leur permettre d’être toujours professionnelles dans ce que nous faisons. Par rapport à ce que nous avons vécu récemment, nous avons déclenché notre plan de contingence qui prévoyait un dispositif mobile et également un dispositif fixe. C’est ce que beaucoup ont constaté dans la ville de Ouagadougou et dans certaines provinces. Ce sont des équipes de volontaires dans des véhicules de la Croix-Rouge qui sillonnaient les différentes artères de la ville et qui sont amenées à porter immédiatement
secours aux blessés qu’elles rencontraient.
Combien d’équipes
avez-vous mobilisées ?
Nous avons en moyenne par jour 168 volontaires secouristes mobilisés et ce, dans 6 provinces. Une équipe est
constituée de 5 personnes. Au niveau de Ouagadougou, 4 équipes étaient en branle. Ces équipes ont eu des itinéraires prédéfinis. Et, à chaque fois, elles font des rotations de telle sorte que nous soyons le plus proche possible des victimes.
En termes de bilan, combien de blessés avez-vous secourus ?
Pour l’ensemble des provinces dans lesquelles nous sommes intervenus, il y a eu 169 blessés dont 24 que nous avons évacués dans les centres de soins. Une dizaine de blessés ont été soignée par le dispensaire de la Croix-Rouge burkinabè. Au-delà des blessés soignés sur place ou évacués dans les centres de soins, il y a eu également la problématique de l’enfance en situation d’urgence que nous avons pu prendre en charge en collaboration avec l’UNICEF. C’est important de le dire parce que le plus souvent quand il y a des situations de crises, les enfants n’arrivent pas à mesurer les risques. Pour eux, c’est un jeu dans lequel ils veulent jouer un rôle. Les parents doivent faire en sorte de mieux encadrer leurs enfants, surtout dans des situations aussi particulières. Nous avons pu apporter une assistance à ces enfants. Ceux qui étaient blessés ont été soignés sur place. A travers des communiqués et des appels sur notre numéro vert (plus de 250 appels reçus), nous avons pu retrouver au moins 20 enfants disparus et procédé à la réunification avec leurs familles. Le rétablissement des liens familiaux a également permis à des blessés de signaler leur position à leurs parents par appel téléphonique.
Peut-on avoir une estimation
financière de votre contribution ?
Ce qui est important de noter, c’est d’abord l’investissement humain. La Croix-Rouge travaille sur la base des ressources humaines, notamment les volontaires. Je profite de l’occasion pour leur adresser toutes mes félicitations pour cet engagement humanitaire qu’ils ont toujours su manifester. Cela a permis à plusieurs victimes d’être soignées. La satisfaction qu’on peut tirer de nos interventions, c’est le fait d’avoir accompli un devoir humanitaire.
Avez-vous bénéficié
de quelques soutiens ?
Je peux dire que nous avons bénéficié de plusieurs soutiens. D’abord au sein de notre Mouvement. Le CICR a été prompt à nous accompagner sur le plan technique, matériel et financier. Plusieurs autres composantes de notre Mouvement nous ont manifesté leur soutien et c’est cela l’expression du principe d’Universalité du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Peut-être, certains ne savent pas comment fonctionne notre Mouvement. En fait, il ya trois composantes : le CICR, la Fédération Internationale des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le Comité international de la Croix-Rouge coordonne l’action humanitaire avec les sociétés nationales lorsque dans un pays donné, il y a des troubles d’une certaine ampleur ou un conflit armé. Dans le cas du Burkina, nous avons bénéficié du CICR d’un apport en logistique, notamment les moyens roulants. Ce qui nous a permis de déployer des véhicules à Bobo Dioulasso, à Ouahigouya et de renforcer les moyens roulants au niveau de Ouagadougou. Il y a aussi les équipements en matériels de premiers secours. Ce sont des soutiens que nous avons pu obtenir de la part du Comité international de la Croix-Rouge, mais nous pouvons également noter tous les autres soutiens que nous avons de la part des autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Enfin, nous notons la grande qualité de notre partenariat avec l’UNICEF et la facilitation de notre action par les
populations et les autres parties
Pouvez-vous revenir sur certaines difficultés auxquelles
avez vous eu à faire face ?
La situation a surpris plus d’un, mais nous nous attendions quand même à assurer la couverture sanitaire de la campagne électorale. Quand vous êtes dans une institution humanitaire comme la Croix-Rouge, vous devez quotidiennement faire l’analyse du contexte national et voir quels sont les enjeux et comment vous pouvez mieux vous préparer pour intervenir. Dans ce cas, nous pouvons dire que nous étions fin prêts pour intervenir dans la campagne électorale au cas où il y aurait un certain nombre de troubles. Comme difficultés, nous pouvons noter que malgré notre niveau de préparation, les crises se succèdent mais ne présentent pas les mêmes contraintes. Le putsch a donc anticipé notre intervention et nous avons dû, dans l’urgence, réorganiser notre plan d’actions. Ce sont souvent des situations qui se présentent à nous et qui n’épousent pas parfaitement le schéma prévisionnel. Cela nécessite des réaménagements urgents. Il y a en pareille circonstance, l’impératif
respect des principes fondamentaux par les volontaires d’une part et d’autre part, l’acceptation de l’emblème Croix-Rouge sur fond blanc par l’ensemble des parties. Notre principale difficulté est toujours l’accès sécurisé aux victimes malgré l’insécurité généralisée.
Comment jugez-vous le respect de l’emblème par les différentes parties?
Les différentes parties ont respecté l’emblème de la Croix-Rouge. Dans tous les cas, nous avons constaté que les uns et les autres ont un grand respect pour cet emblème. Nous avons souvent été témoins du passage des militaires, mais ils ont toujours eu du respect pour notre emblème. Même quand il y a des barricades, à chaque fois que les véhicules arrivaient à ce niveau, les populations elles-mêmes frayaient un passage pour permettre aux secouristes d’apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin.
Y a-t-il eu des blessés
du côté de la Croix-Rouge ?
Nous n’avons pas eu de blessés et nous rendons grâce à Dieu pour cela. Ce qui signifie que l’enseignement que nous donnons à nos volontaires par rapport à l’accès sécurisé aux victimes a été respecté. Cela veut dire aussi que les populations et les autres parties comprennent quelle est la mission de la Croix-Rouge. C’est un peu la conjugaison de toutes ces choses qui permettent aux volontaires de travailler en toute sécurité. Notre rôle est d’avoir accès aux victimes et de leur apporter notre assistance en toute impartialité, neutralité et indépendance.
Arriviez-vous à respecter l’heure du couvre-feu ? Ou bien y avait-il des dispositions particulières qui vous permettaient de travailler au-delà de 19h, quand c’était à cette heure ?
En ce qui concerne la Croix-Rouge, notre protection est basée sur l’emblème Croix-Rouge sur fond blanc. Cela doit être visible de loin pour la sécurité de ceux qui interviennent également. Quand il fait nuit, nous n’intervenons pas parce que la nuit, vous n’avez pas la possibilité d’être visible de loin. Mais si d’aventure il y avait des situations particulières qui nécessitaient une intervention de la Croix-Rouge, on allait aviser avec les autorités concernées.
Dans votre intervention, y a-t-il eu une action qui vous a particulièrement marqué ?
Il faut dire que les volontaires que nous avons mobilisés ont, par moment, été traumatisés en voyant certaines blessures. Le fait d’envoyer des corps de la « Traumato » à la morgue n’a pas été facile pour tout le monde. Amener des corps à la morgue. Cela n’a pas été facile. C’est la raison pour laquelle nous avons fait un débriefing afin que sur le plan psychologique, les volontaires puissent retrouver une certaine quiétude. Nous rendons toujours grâce à Dieu, parce que la situation aurait pu être pire.
Avez-vous un appel à lancer ?
Notre appel est qu’il y ait toujours la paix entre les hommes. Quand vous prenez le principe d’humanité de la Croix-Rouge, c’est un principe qui prône l’amitié entre les peuples, la paix dans le monde. C’est parce que justement les hommes manquent à cela que nous sommes obligés d’intervenir. Nous préférons toujours lutter pour améliorer les conditions de vie des personnes les plus vulnérables que d’intervenir dans les situations d’urgence. Dans de telles situations, les plus vulnérables sont encore plus exposés en même temps que ceux qui leur portent assistance. Enfin, nous appelons de toutes nos forces un monde de paix et de solidarité entre les hommes.
Interview réalisée par Ramatou OUEDRAOGO
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