Après le putsch manqué du Général Diendéré et le concert de réprobations qui s’en est suivi, la voix du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), accusé à tort ou à raison d’être derrière cette action est pratiquement inaudible. Nous avons rencontré l’un des rares militants de ce parti qui s’exprime encore à travers les médias. Mais Boubacar Bouda, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a lancé à l’entame de l’entretien : «Le professeur Serge Théophile Balima (NDLR du département de journalisme et communication de l’université de Ouagadougou) nous a dit d’être clairs et concis avec les journalistes, car dans les développements, ils vous feront dire ce que vous n’aviez pas voulu dire ». Dans les lignes qui suivent vous verrez que la leçon a été bien assimilée pour éviter le diable qui peut se cacher dans les détails, même si l’intéressé ne tourne pas le dos aux questions.
Ça fait pratiquement un an que vous êtes au CNT au titre de l’ex-majorité ; comment se passe la cohabitation avec la « majorité » actuelle ?
La collaboration entre les députés du groupe « l’Alliance pour la république et la démocratie » représentant l’ex-majorité et les autres composantes est celle qui doit exister entre des filles et des fils d’une même nation ; des contradictions parfois, certes, mais avec un seul leitmotiv : l’intérêt supérieur de la nation.
Mais avec seulement dix députés, pouvez-vous vraiment faire entendre votre voix sinon votre différence ?
En signant la Charte nous savions bien que la loi de la majorité mécanique ne nous était pas favorable puisque le CNT compte en tout 90 députés, mais nous avons accepté jouer notre partition pour que le processus de transition aboutisse à des élections transparentes. Nous avons la conviction que ce n’est pas forcément la majorité qui fait la vérité, mais c’est la vérité qui doit rallier la majorité. Au demeurant, le fait d’être en minorité n’enlève en rien la qualité de notre contribution à l’enrichissement des débats. Si nos points de vue ne passent pas, nous les aurions cependant exprimés et l’histoire retient toujours.
N’est-ce pas quelque part l’apprentissage de l’opposition pour vous puisque les autres sous la 4e République subissaient la toute-puissance du CDP et de ses convives ?
Nous n’appréhendons pas notre mission actuelle en termes de mission d’opposant, mais nous la voyons comme une contribution au retour de notre pays à la normalité avec de nouvelles autorités élues.
L’actualité, c’est le putsch avorté du général Gilbert Diendéré. Comment l’avez-vous appris et où étiez-vous ?
J’étais ici à Ouagadougou précisément au Conseil national de la Transition lorsque que nous avons appris que le gouvernement est pris en otage par les éléments de l’ex-RSP. En pareille circonstance, les proches vous appellent, vous enjoignant de rejoindre, sans tarder, le domicile. C’est ce qu’a fait notamment mon épouse aux environs de 17 heures. J’ai dû lui dire que nous avions une réunion au siège du CDP à 18h et que je pensais que ce qui ce passe à Kosyam pourrait effectivement être la énième saute d’humeur du RSP. A l’heure indiquée, je me suis effectivement rendu au siège du parti où on devait délibérer sur les remplacements des personnes recalées aux législatives. Quelque temps après nous avons appris que les choses se compliquaient et qu’il y avait un couvre-feu. Je me suis rendu chez moi et le lendemain j’ai appris la proclamation du coup d’Etat.
Quand les choses se sont précisées, êtes-vous resté chez vous ou avez-vous trouvé un autre lieu pour vous planquer comme bon nombre de responsables de partis politiques et d’OSC ?
Comme je n’appréhendais pas la gravité future des choses et surtout que je ne me reprochais rien, je suis resté chez moi ; en tout cas durant les premiers jours.
Certains responsables du CDP ont applaudi le putsch des deux mains pendant que d’autres le condamnaient, même si c’était du bout des lèvres, quelle était la position officielle du parti ?
Je crois avoir répondu à une telle question, posée par vos confrères de RFI au temps chaud de l’évènement. Face à des situations du genre, il y a des positions individuelles qui relèvent de la liberté de chacun mais vous conviendrez avec moi que devant un fait d’une telle gravité, seule une instance délibérante du parti pourrait officiellement se prononcer. Le deuxième vice-président (Ndlr : Achille Tapsoba) avait du reste souligné que le parti en tant que social-démocrate n’inscrit dans sa démarche de conquête du pouvoir que la voie des urnes.
Le président Eddie Komboïgo hors du territoire, est-ce que la sortie de Léonce Koné, premier vice-président, n’était pas officielle ?
Je répète que pour une question aussi importante, seuls les organes du parti peuvent donner la position officielle du parti et ce, au terme d’une délibération ; du reste il en est ainsi pour tout parti structuré.
Sans forcément soutenir cette action de l’ex-RSP, le moins qu’on puisse dire c’est que ça arrangeait les affaires du parti qui luttait pour l’inclusion, l’un des prétextes des putschistes.
Si vous voulez raisonner en termes policiers « à qui profite le crime ? », vous allez conclure qu’à partir du moment où l’inclusion était une des revendications des putschistes cela arrangeait le parti. Mais nous pensons que dans le processus de la construction de la démocratie, personne ne peut penser qu’un coup de force ferait son affaire. La preuve tout le monde a souffert de cette action. J’aimerais bien qu’on creuse davantage pour éviter les conclusions faciles.
Le président du parti est hors du pays comme indiqué plus haut et bien d’autres leaders du parti sont dans la clandestinité ; qui dirige aujourd’hui le CDP ?
Le président du parti est effectivement absent et les autres responsables pour des raisons de sécurité ne sont pas très visibles actuellement. Mais j’ose espérer qu’en tant que citoyens non déchus de leurs droits fondamentaux, l’Etat veillera sur leur sécurité afin qu’ils puissent se mouvoir librement, se réunir en vue d’apporter notre contribution à la restauration de la démocratie tant souhaitée.
Seriez-vous prêt à prendre les rênes du parti à travers un congrès extraordinaire si vos camarades vous le proposaient ?
On ne décide pas soi-même de prendre les rênes d’un parti ; c’est une question qui relève de la volonté des militants. Cela dit, aucun militant n’a le droit de refuser une mission à lui confiée par les militants de son parti. C’est un des principes que nous avons appris dans notre formation militante. Du reste, nous n’en sommes pas là.
Finalement cette prise du pouvoir par les armes a échoué et le RSP par la même occasion a été dissous ; quelle commentaire faites-vous sur ce dénouement ?
Je voudrais vous inviter, vous qui m’interviewer et tous ceux qui me liront, d’observer une minute de silence pour honorer la mémoire des victimes de ces événements (ndlr nous avons aussitôt observé la minute de silence). Je présente mes condoléances aux familles éplorées et souhaite prompt rétablissement aux blessés et que justice soit rendue. Je souhaite que ceux qui ont subi des dégâts matériels soient indemnisés. Je souhaite enfin que la sagesse habite les autorités pour qu’elles conduisent un processus de réconciliation nationale afin que le pays retrouve ses repères.
Vous n’avez pas répondu à la question.
J’en viens pour dire que quand dans la construction d’une nation, les questions d’armes s’en mêlent avec comme acteurs les fils d’un même pays, cela est déplorable ; c’est dire que c’est regrettable ce qui arrive au Burkina Faso. Cela dit, la situation est là, il faut trouver des voies et moyens pour y faire face. C’est en cela que nous disons, certes il faut en toute circonstance situer les responsabilités, mais il nous appartient de nous asseoir autour d’une même table pour dialoguer. Comme le dit si bien une sagesse africaine : «Il vaut mieux convaincre que vaincre, car celui qui est convaincu est d’office vaincu ; par contre celui qui est vaincu ; il n’est pas toujours évident qu’il soit convaincu». Il n’y a d’issue pour construire un pays que la concorde nationale, l’unité d’action et la synergie de toutes les forces des fils du même pays. A partir du moment où nous sommes les enfants d’une même nation, il nous appartient de nous asseoir pour dialoguer.
Que signifie exactement situer les responsabilités ? Cela veut dire que la justice, le moment venu, devra sanctionner aussi bien les auteurs, les complices que les commanditaires du putsch?
Le premier responsable du putsch a lui-même dit qu’il est prêt à se mettre à la disposition de la Justice. Cela dit, quand nous parlons de situer les responsabilités, nous envisageons l’expression sous son acception holistique. Autant nous voulons tous savoir ce qui s’est passé, autant on ne doit pas dissocier ce processus du besoin de sursaut et de pardon qui sied et qui sont nécessaires pour relancer la dynamique de la cohésion nationale.
Quand je dis que j’appréhende la situation dans une vision holistique c’est pour dire qu’il faut prendre en compte les causes lointaines et immédiates de cette crise. Il s’agit de faire une catharsis profonde et pas un saupoudrage parce que la crise, de mon point de vue, paraît plus profonde que ça. Et on court le risque d’appliquer une thérapie de façade.
Est-ce que l’exclusion à elle seule pourrait justifier ce putsch ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit en tout cas. Des raisons pour justifier un coup d’Etat ? J’en cherche. Le coup d’Etat est au 21e siècle ce qu’est l’exclusion en démocratie.
Votre parti, le CDP, à l’instar d’autres, a vu ses avoirs gelés. Dans ces conditions comment allez-vous battre campagne ?
L’équation est difficile à résoudre. Rappelez-vous que le Conseil national de la Transition (CNT) a adopté une loi sur la répression de la corruption avec des dispositions relatives au financement occulte des partis politiques et des associations ; ce qui veut dire que nous voulons tendre vers une traçabilité du financement des campagnes. Si notre canal officiel à travers lequel nous pouvons engager des dépenses est fermé, comprenez qu’il sera difficile au CDP de mener sereinement sa campagne. On peut avoir des soutiens individuels parce que certains portent le CDP dans leur cœur, mais reconnaissez que dans le principe, c’est difficile.
Si d’ici le lancement de la campagne les avoirs du parti ne sont pas dégelés, est-ce que le parti participera aux élections ?
Je ne veux pas me prononcer à la place de l’organe délibérant du parti qui aura toute la latitude pour indiquer la conduite à tenir. Je ne puis que souhaiter une évolution positive des choses.
Avec l’hostilité croissante contre votre parti dans les provinces, est-ce que toutes les conditions sont réunies pour que vous participiez sereinement aux élections ?
Il est évident que dans ces conditions la campagne sera difficile à battre mais nous estimons, nous espérons, nous rêvons que dans le cadre d’un processus de dialogue chacun jouera son second pendant de leadership. Un leader c’est celui qui sait détecter la volonté du peuple et la traduire en actions concrètes pour des résultats concrets. Le leadership c’est aussi savoir faire partager une vision à ceux qui portent leur confiance en vous. Si les autorités de la Transition se créditent d’avoir, à ce jour, su porter les aspirations du peuple, nous souhaitons que ce leadership puisse s’exprimer dans son second volet qui consiste à travailler à faire partager la vision d’un Burkina réconcilié avec lui-même à travers l’apaisement des cœurs. Autrement il sera difficile de faire campagne dans ces conditions, et tant qu’à faire, il vaut mieux pour les militants de se retirer du processus. Personnellement, je souhaite que la sagesse prévale.
Au cas où les élections ne se tiendraient pas à bonne date qu’est-ce que vous proposez en tant que juriste pour que la Transition ne se retrouve pas dans l’illégalité ?
Je crois que sur la question la charte a prévu des mécanismes pour qu’en cas de difficultés, on puisse trouver des voies de sortie. Il s’agit notamment de l’article 19 qui dispose que par dérogation aux dispositions prévues par le Titre XV de la Constitution, l’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de la transition.
Le projet ou la proposition de révision est adoptée à la majorité des 4/5 des membres du Conseil national de la transition. Le Président de la transition procède à la promulgation de l’acte de révision conformément à l’article 48 de la Constitution du 2 juin 1991. L’exploitation de l’article 21 de la charte pourrait être également d’un secours certain car en matière constitutionnelle et de science politique, une institution perd ses plénitudes soit du fait d’une dissolution expresse par autorité habilitée ou par l’entrée en fonction effective de sa remplaçante. En l’espèce le conseil constitutionnel pourrait être sollicité pour acter de ce que les nouvelles institutions, au regard des circonstances, n’étaient pas mises en place, les anciennes existent toujours jusqu’à ordre nouveau. Mais je dois avouer ma réserve pour cette solution car elle comporte l’inconvénient de conférer un blanc-seing en termes de «dead line » à je ne sais qui, alors que c’est ce que redoute le peuple actuellement. En tout état de cause, il appartient aux signataires de la charte de s’entende sur la question de la prorogation du mandat de la Transition avec un «dead line » qui canalise les actions des uns et des autres.
Nous pensons qu’avec la magnanimité légendaire du peuple burkinabè, nous saurons ensemble trouver les voies et moyens de nous parler, d’ouvrir nos cœurs et d’enterrer nos rancœurs. Et nous dire que désormais, toute action doit intégrer la réflexion sur comment conjurer le scénario dougoumatos dans notre pays.
Entretien réalisé par
Abdou Karim Sawadogo