Le mot renvoie à la tradition monarchique : « régal » est en effet un doublet de « royal » et l’adjectif dérive directement du latin regem, le roi. Alors quelle est la différence entre un privilège « régalien » et un privilège « royal » ?
Le privilège « régalien » fait rêver de façon différente : contrairement au privilège « royal », il ne renvoie pas uniquement à l’institution monarchique mais à toute l’échappée qu’elle peut avoir hors de l’ordre humain. On s’évertue à inventer un modèle de pouvoir et de contre-pouvoir. Ce modèle repose sur une sociologie, sur des rapports de force, sur un équilibre des pouvoirs et dans un coin de cet échafaudage, se ménage un point de fuite : quelque chose qui est en contrepoint de toute la logique politique, et quand on a un roi, ce point de fuite peut s’appeler « le bon plaisir ».
Cette formule ancienne et presque provocante est réellement associée au pouvoir du roi. Il prend soin de son peuple, le gouverne au mieux, et pourtant, il a le droit de s’échapper de ses règles contraignantes : il a le droit au caprice, à un caprice provocant qui n’a pas à s’expliquer, à se justifier. « Car tel est notre bon plaisir… », c’était la formule utilisée pour terminer les anciens édits royaux, et marquer par là qu’ils étaient irrévocables, que rien ne pouvait les ébranler. Qu’est ce qui peut donc aller contre cet illogisme ? Qu’est-ce qui peut en remontrer à cette injuste insouciance ? Cette image du bon plaisir, qui renvoie à la Renaissance, fait penser à François Ier et aux premiers frémissements de la monarchie absolue.
Le mot régalien, aujourd’hui, fait penser aux vestiges du pouvoir absolu, à un pouvoir qui ne repose pas sur un pacte social – un peu comme le joker aux cartes, ou le zéro à la roulette – à côté de la mécanique bien huilée des probabilités : la part du hasard, ce qui échappe.
Le mot même de « grâce » appartient à cet ordre de langage : une grâce ne se commande pas, ne se comptabilise pas. Le mot se démarque totalement du vocabulaire juridique et descend tout droit du religieux : la grâce, si elle frôle parfois la vie des hommes, ne se calcule pas. La grâce désigne donc la faveur, celle qui choisit, sans qu’on sache trop pourquoi, de se poser sur la tête ce celui-ci ou celui-là.
Yvan Amar