Des experts agricoles des secteurs public et privé ont convergé du 29 septembre au 2 octobre vers Lusaka en Zambie à l’occasion du Forum 2015 pour une révolution verte en Afrique (AGRF). La préoccupation des acteurs est d’intégrer la jeunesse africaine en pleine croissance dans les efforts déjà entrepris pour faire des petits exploitants agricoles familiaux le pilier de la transformation économique de l’Afrique. Le docteur Agnès Kalibata, présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), ministre rwandaise de l’Agriculture et des Ressources animales l’exprime bien dans sa tribune ci-après.
Des centaines d’experts agricoles des secteurs public et privé ont convergé vers Lusaka en Zambie à l’occasion du Forum 2015 pour une révolution verte en Afrique (AGRF). La principale priorité de la réunion de cette année est d’agir avec vigueur pour intégrer la jeunesse africaine en pleine croissance – les 226 millions de15 à 24 ans qui font de l’Afrique le continent le plus jeune du monde – aux efforts déjà entrepris pour faire de nos petits exploitants agricoles familiaux le pilier de la transformation économique de l’Afrique.
D’après un nouveau rapport sur la jeunesse et l’agriculture africaines publié au début du forum, il est clair que nous avons encore du pain sur la planche. Selon une analyse du groupe que je dirige, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), le manque de terres, de services de vulgarisation, de crédit, d’intrants agricoles de qualité, de machines, de marchés ainsi que d’autres obstacles empêchent l’agriculture de fournir des emplois au sein et en-dehors des exploitations agricoles à une jeunesse représentant 65 % de la population africaine totale – et parmi laquelle plus de 10 millions d’individus entrent, chaque année, sur le marché du travail.
Aujourd’hui, les dix pays ayant les populations les plus jeunes du monde sont tous situés en Afrique subsaharienne, une région où l’âge moyen est de 16,5 ans, contre une moyenne mondiale de 29,6 ans. Un rajeunissement qui n’est pas prêt de s’arrêter. Notre région compte actuellement 19 % de jeunes, et cette explosion de la jeunesse va atteindre 27 % en 2030. L’agriculture peut-elle être source d’espoir pour leur futur ?
Le Rapport 2015 de l’AGRA sur la situation de l’agriculture en Afrique (AASR – Africa Agriculture Status Report) montre que, dans les zones rurales, deux tiers de la jeunesse travaillent déjà dans l’agriculture. Mais il note également qu’un grand nombre de jeunes africains considèrent assez négativement l’agriculture en tant que perspective de carrière. De fait, plus ils sont éduqués, plus ils perçoivent l’agriculture comme une corvée – à ne subir qu’en dernier recours.
Peut-on les en blâmer ? Certainement pas ! Quand j’étais petite, de nombreux parents, y compris les miens, poussaient leurs enfants à faire des études pour avoir des possibilités de carrière en dehors de l’agriculture. En fait, une des raisons pour lesquelles l’agriculture africaine ne s’est pas développée comme elle aurait dû est que la production alimentaire a été laissée aux personnes n’ayant pas d’autres moyens de survie autres que leurs terres, leur houe et leur dur labeur.
Il ne devrait pas en être ainsi.
Sur tout le continent, j’ai vu des exemples des énormes progrès que les agriculteurs africains peuvent faire lorsqu’on leur donne plus de choix dans les semences qu’ils plantent, les engrais qu’ils utilisent et les marchés agricoles où ils peuvent vendre leurs produits.
Par exemple, d’importants investissements et une attention particulière aux progrès de l’agriculture ont aidé le Rwanda à réduire la pauvreté de 20 % en moins de 10 ans. Une croissance menée par l’agriculture est en cours dans beaucoup d’autres pays, notamment le Ghana, le Malawi, l’Éthiopie et le Mozambique. Et lorsque l’agriculture est plus productive, la pauvreté diminue. Une étude a montré qu’en Afrique, la croissance dans l’agriculture est cinq fois plus efficace pour réduire la pauvreté que la croissance dans n’importe quel autre secteur.
Le pessimisme actuel de nombreux jeunes africains vis-à-vis de l’agriculture est néanmoins compréhensible. Ils voient, en Afrique, trop d’exploitants et d’entreprises agricoles luttant pour survivre. Sans compter que la nourriture proposée dans les magasins locaux vient souvent de l’étranger. Les Africains dépensent, chaque année, 40 milliards de dollars EU dans l’importation de denrées alimentaires. En particulier, quelque 80 % de ces produits de haute valeur consommés en Afrique sont cultivés, transformés et conditionnés en dehors du continent.
Mais les opportunités économiques dans l’agriculture sont bien plus grandes que la plupart des gens l’imaginent. Selon une récente évaluation de la Banque mondiale, d’ici 2030, la réponse à la demande alimentaire de la classe moyenne africaine en expansion créera un marché pesant 1 000 milliards de dollars. Les « agripreneurs » africains peuvent s’approprier ce marché si nous exploitons une combinaison imbattable de deux atouts de l’Afrique : la population de jeunes la plus grande du monde et la superficie de terres arables non cultivées la plus vaste du monde. En fait, notre étude montre que l’accès à la terre peut spectaculairement accroître la participation des jeunes à l’agriculture, des jeunes exploitantes en particulier.
Les jeunes ne travailleront toutefois pas dans l’agriculture simplement parce que leurs parents vieillissent : ils ne le feront que si nos pays investissent dans les outils et les connaissances qui permettent à ce secteur de réaliser leurs rêves d’un futur plus prospère.
Récemment, lors d’un voyage au Rwanda, j’ai rencontré deux jeunes entreprenants qui se construisaient un avenir dans l’agriculture. L’un avait obtenu des terres où il produisait des semences de maïs pour des collègues agriculteurs.
L’autre avait augmenté ses revenus en passant de la culture du maïs à celle des pommes de terre irlandaises. Chacun de ces deux parcours était lié aux vigoureux investissements consentis par l’État dans l’agriculture.
À bien des égards, l’Afrique est dans une situation enviable. Deux de ses plus grands défis – son combat pour la sécurité alimentaire et son besoin urgent de trouver de l’emploi pour ses jeunes – peuvent devenir ses plus grands atouts. Nos jeunes peuvent devenir la main-d’œuvre et le groupe d’experts qui récolte les fruits de ce marché alimentaire de 1 000 milliards de dollars. Alors seulement, nous verrons l’agriculture africaine se transformer et passer d’une activité considérée comme une corvée et une lutte pour la survie à un secteur perçu comme une chance et une entreprise florissante.
Dr Agnès Kalibata
NB : La titraille est de la rédaction