Sitôt rétabli, sitôt à pied d’œuvre. C’est au grand complet à l’exception du ministre délégué en charge de la sécurité, Sidi Paré, que le gouvernement de la Transition a tenu son premier conseil des ministres postcoup d’Etat ce vendredi 25 septembre 2015. Situation oblige, c’est plutôt à la Primature et non au palais de Kosyam que les « ex-otages » du RSP se sont réunis sous haute sécurité. Au regard des mesures prises contre les auteurs du coup de force du jeudi 17 septembre dernier, c’est plutôt à un conseil de guerre que le chef de l’Etat, Michel Kafando, a convié la troupe du Premier ministre, Isaac Zida. Ambiance et compte-rendu !
Primature du Faso. Côté ouest des quartiers du lieutenant-colonel Isaac Zida à 300 mètres environ et juste à hauteur du Trésor public, un barrage est érigé. Il est tenu par des forces mixtes : des soldats de l’armée de terre et des éléments de la Gendarmerie nationale. Kalachnikov en bandoulière pour certains, pistolet automatique sur le flanc pour d’autres, tous endossant un gilet pare-balles. Contrairement aux jours précédents, ils ont l’air plus détendus sinon plus avenants. Ils filtrent l’accès avec quelque fois le sourire et un ton nettement plus placide ou conciliant loin des « foutez le camp, dégagez ou circulez » d’il y a à peine une semaine.
200 mètres plus loin à 100 mètres donc de la Primature, deux ou trois escouades sont encore en position : il s’agit des forces spéciales de la Gendarmerie nationale, lourdement armées. Elles sont installées à l’arrière de Pick-up surmontés de mitrailleuses. Côté nord de la bâtisse, on a déployé l’artillerie lourde, et un blindé est positionné à environ 200 mètres juste devant le ministère de l’Economie et des Finances. Il en est de même pour les côtés est et sud. Nous voilà maintenant dans une enclave. A l’intérieur, des agents de sécurité en costume l’air grave, le visage fermé, font d’incessants va-et-vient à donner le tournis aux nombreux journalistes qui attendent dans le hall. « Eh ! vous, avez-vous été contrôlé ? » s’est écrié l’un d’entre eux (appareils de détection de métaux et d’objets contondants en main) à un confrère. « Ils étaient où même le 16 septembre dernier ?» murmure ce dernier un peu irrité.
Eviter le coup de la chevrotine
Il faut rappeler qu’officiellement le Conseil commençait à 8 heures mais qu’avant l’heure indiquée, le Président Kafando et quelques ministres étaient déjà sur les lieux. Stratégie sécuritaire, diversion ou mauvaise coordination ? Nous misons en tout cas une pièce sur la première hypothèse.
9h 45. Un visiteur pour le moins inattendu fait irruption dans « l’enclave » : il s’agit de l’intrépide président du Conseil national de la Transition, le « shérif » En ce vendredi qui coïncide avec le lendemain de l’Aïd el kébir, il est vêtu d’un basin blanc et porte des babouches de même couleur. Certains confrères estiment qu’avec la semaine de folie que le Faso a vécue, le président du CNT aurait confondu la Primature à la grande mosquée. Peu importe, il y a de quoi avoir des troubles de la vision après tous ces événements. Et tout compte fait, musulmans, chrétiens et animistes, les Burkinabè ne seraient-ils pas bien inspirés de rendre grâce au Tout-Puissant parce que sans l’intervention divine l’effusion de sang aurait pu être plus importante ?
45 minutes pus tard, le président du CNT se retire. Et le ballet des ministres commence. Ces derniers sont plutôt détendus, décontractés et ne présentent pas de stigmates ou de séquelles apparentes de la prise d’otage. Ils affichent pour la plupart un sourire et sont littéralement mitraillés par les flashs. Visiblement, Isaac Zida, celui-là même qui a battu le record de durée dans la détention (une semaine), et son équipe n’ont manifestement pas besoin de psychothérapeutes.
10 heures, le Conseil peut enfin commencer.
C’est la pause, le chef d’état-major général des armées, le général de brigade Pingrenoma Zagré, et les différents chefs d’état-major font leur entrée. Ils sont escortés jusqu’à l’entrée de la Primature par une escouade de soldats armés et à bord d’une pick-up équipée de mitrailleuse. Ils sont reçus par le chef de l’Etat dans une salle attenante durant une trentaine de minutes. Pendant ce temps les commentaires vont bon train sur le parvis et dans le jardin. Ils sont peut-être venus faire le point de l’inventaire de l’armement en cours au camp Naba Koom II. Et peut-être aussi de l’état d’avancement des dernières tractations avec le général Diendéré, estiment ceux qui prétendent être dans le secret des dieux.
Jean Stéphane Ouédraogo
Chérif Sy, président du CNT: Secret défense
Je ne peux pas vous parler de ce dont nous avons discuté, mais nous avons échangé sur la gouvernance de la Nation relative à la récente crise.
Avez-vous demandé la dissolution du RSP ?
Le Gouvernement est par là (NDLR il est sur le perron de la Primature et indique du pouce) et le CNT est de l’autre côté. S’il vous plaît, laissez-moi continuer au CNT.
Isaac Zida Premier ministre: « La justice décidera du sort des putschistes »
Quel était l’ordre du jour ?
Ce conseil a été une occasion de nous retrouver après les évènements du 16 septembre. Ce fut aussi l’occasion pour nous d’observer une minute de silence à la mémoire des morts et d’avoir une pensée à l’endroit des familles éplorées. Nous avons naturellement parlé de la crise que traverse le pays. Je peux d’ores et déjà vous dire que des décisions importantes ont été prises pour résoudre définitivement cette crise et assurer la continuité de l’administration, qui est paralysée depuis une dizaine de jours, et donner un nouvel élan au processus de transition.
Il n’y a pas encore de date pour les élections, c’est trop tôt pour fixer une date précise. Des concertations seront incessamment engagées avec tous les acteurs à cet effet. Le plus urgent pour nous, c’est la remise en marche de l’administration.
Le RSP sera-t-il dissout ou désarmé ?
Peut-être même les deux à la fois.
Le ministre délégué à la Sécurité n’était pas présent à ce conseil ; est-ce que son absence a été justifiée ?
Son absence n’a pas été justifiée. Je vous invite tout simplement à suivre le compte rendu du conseil ce soir (NDLR nous sommes le vendredi 25 septembre). Par ailleurs, je tiens à préciser que le couvre-feu est toujours en vigueur et le restera probablement encore pour deux ou trois jours.
Est-ce que vous avez été violenté ? Et pourquoi le conseil se tient ici à la Primature ?
Non je n’ai pas été violenté. Le conseil s’est déroulé ici parce que c’est un endroit tranquille et plus serein en attendant des précisions. Ce qui est sûr plus que jamais tout le monde connaît les aspirations du peuple burkinabè. Il est désormais clair que le peuple n’acceptera jamais d’être gouverné par des putschistes.
Quel sort sera réservé au général Diendéré et à ses hommes ?
Une commission d’enquête sera mise en place. Elle travaillera de façon très professionnelle sur le dossier et elle situera les responsabilités. Elle nous dira qui a fait quoi et précisera le degré d’implication de chacun. La justice décidera. Ceux qui auront à répondre répondront. Si certains poursuivront une carrière militaire dans un autre contexte elle décidera.
Où se trouve actuellement le général Diendéré ?
Il est au camp Naba Koom II. Il ne représente plus un danger parce que des dispositions ont été prises pour sécuriser le peuple. L’inventaire des armes du RSP s’y déroule normalement.
Augustin Loada, ministre de la Fonction publique et du Travail: « Le Machiavel de la Transition »
Vous êtes l’un des ministres qui a été kidnappé le 16 septembre dernier. Que s’est-il passé exactement ?
Je n’ai pas eu l’occasion d’échanger avec mes ravisseurs parce que c’était véritablement un enlèvement de ministres de la République. Mais j’ai pu imaginer à travers les vociférations des ravisseurs que j’étais, avec le collègue de l’Habitat et de l’Urbanisme, un des ministres juristes qui donneraient de mauvais conseils au gouvernement et aux plus hautes autorités de l’Etat. Ils considèrent que nous sommes à la base des dispositions juridiques qui excluraient leurs partisans du jeu électoral. Ils disaient en particulier : vous, levez-vous ! Vous donnez de mauvais conseils aux autorités. Je considère qu’il s’adressait à moi en ma qualité de juriste.
Avez-vous subi des violences ?
Non je n’ai pas subi de violence physique mais imaginez que vous rester enfermé durant 72 heures dont 48 sans manger et sans explication. C’est une violence intolérable dans un état de droit.
Y a-t-il des procédures en cours pour séquestration contre vos ravisseurs ?
Nous avons envisagé une telle procédure mais, vous savez, nous sommes membres d’un gouvernement et le gouvernement avisera.
Quel message avez-vous à livrer au mouvement syndical ?
Je suis ministre en charge du Travail et vous savez aussi que le mouvement syndical a joué un rôle important dans la résistance. Nous avons demandé à nos collaborateurs de prendre contact avec ces mouvements pour que nous puissions nous rencontrer demain. C’est d’abord un message de gratitude du gouvernement envers le mouvement syndical et de coordonner avec eux par rapport à un certain nombre de décisions. Le gouvernement va respecter sa parole même si certains engagements seront reportés compte tenu du contexte qui s’impose.