Celui qui était à peine il y a un an le tout-puissant ministre du "ciel et de la terre" au Sénégal va-t-il s'enfoncer dans les abîmes ? En tout cas, depuis ce 15 avril 2013, Karim Wade est entre les mains de la gendarmerie. Et à l'heure où nous bouclions ces lignes, il était auditionné par la division des investigations de la CREI.
Celui qui était à peine il y a un an le tout-puissant ministre du "ciel et de la terre" au Sénégal va-t-il s'enfoncer dans les abîmes ?
En tout cas, depuis ce 15 avril 2013, Karim Wade est entre les mains de la gendarmerie. Et à l'heure où nous bouclions ces lignes, il était auditionné par la division des investigations de la CREI.
Selon ses avocats, d'ici 24 heures, c'est-à-dire demain 18 avril, après échéance du temps légal de la garde à vue, le mis en cause pourrait rejoindre la prison de Rebeuss. Comme quoi entre le Capitole et la roche Tarpéienne, il n'y a pas place pour du simple papier à cigare.
La roue de l'histoire tourne inexorablement, car c'est dans ces mêmes geôles de Rebeuss que le père de Karim avait envoyé son ex-Premier ministre Idrissa Seck pour une affaire relative aux chantiers de Thiès.
Le patron du Rewmi était accusé à l'époque d'avoir détourné 70 milliards de F CFA, délit qu'il n'a pas nié avec son sens de la formule et de la provoc., l'intéressé s'étant contenté de dire que : "Jusqu'à l'extinction du système solaire, personne ne pourra prouver que j'ai volé".
Si donc l'éventualité de la case prison se confirmait pour Karim, ce serait la descente aux enfers de celui dont l'ascension politique fut des plus fulgurantes. Ce qui n'est pas en soi mauvais si tant est qu'il arrive par la suite à se disculper. Ça pourrait toujours épaissir son CV politique. Car la prison pour un homme politique peut être un marche-pied pour un futur prometteur. CQFD pour Karim Wade !
On peut quitter le pouvoir pour la taule, comme on peut emprunter le sens inverse. Son père, ex-président de la République, en sait quelque chose, puisqu'il a goûté à maintes reprises aux "délices" de l'embastillement à la Maison d'arrêt de Reubeuss dans les années 80.
Au sujet de ce dernier, on nage en pleine tragédie grecque, pour ne pas dire sénégalaise, car depuis qu'il a appris que son rejeton est tombé dans le filet de la maréchaussée, le chauve le plus célèbre du Sénégal frétille d'impatience de fouler le sol dakarois pour laver l'affront qu'on lui fait via son fils.
En effet, depuis sa retraite versaillaise, "Ablaye" Wade n'arrête pas d'enrager toutes les fois que son fils multiplie les allers et venues entre son domicile et la gendarmerie de Colobane.
A l'heure ou vous lirez cet éditorial, peut-être que Gorgui aura débarqué dans la capitale sénégalaise. A moins qu'il se soit ravisé in extremis. Car ce n'est pas la première fois qu'il menace de déboîter au quart de tour. Au demeurant s'il venait à atterrir à Dakar, l'octogénaire à la démarche de Dalaï-Lama noir contribuerait à plomber une atmosphère déjà lourde à couper au couteau. A moins que Wade père ne vienne pour négocier ou plutôt suggérer le scénario qu'il avait appliqué en 2000 : il y a 12 ans, le même Wade avait lancé une opération "Mains propres" conduite d'ailleurs par... Idrissa Seck.
C'est le même Wade qui y a mis fin pour de multiples raisons selon son entourage : par respect pour son prédécesseur, Abdou Diouf, par volonté de tourner la page, et sans doute aussi conscient que le PS déconfit n'était plus une menace pour lui.
Depuis quelques années d'ailleurs, son cœur a cessé de balancer entre son fils de sang (Karim), qui l'a rejoint au lendemain de sa victoire du 19 mars 2000, et le jeune homme (Macky) qui s'est présenté à son domicile du point E un jour de mars 1989 pour prendre la carte du PDS.
Il faut reconnaître que, dans la situation du Sénégal, la tentation de règlements de comptes est grande. Car n'ayons pas peur de le dire, le dossier Karim Wade, certes judiciaire, est éminemment politique naturellement. Et pour le fondateur du PDS, Macky Sall aurait voulu faire le procès de son régime qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Les avocats de Karim Wade en sont convaincus, il s'agit d'un acharnement politique.
Pour eux, le kidnapping est flagrant et n'a d'autre objectif que de neutraliser un adversaire qui, sur le terrain pourtant, ne représente pas de danger. Déjà le test des élections locales de 2009 avait montré que Karim avait encore du chemin à faire, puisqu'il a essuyé une berezina mémorable.
En réalité donc, et ils sont nombreux qui le subodorent, c'est faute d'atteindre le père, protégé par son parapluie immunitaire et son âge canonique, que le pouvoir de Benoo Book Yaakar (BBY) veut faire rendre gorge au fils.
Disons-le tout net : quoiqu'il advienne, et même si la CREI a montré une célérité suspecte en interpellant Karim, sans visiblement avoir pris le temps nécessaire pour compulser le draft justificatif, épais de 3 000 pages, il ne faut pas exonérer les Wade à bon compte.
Ils ont montré une certaine goinfrerie à l'égard du pouvoir, en atteste le poste d'hyperministre concocté spécialement pour Karim. Ou encore l'ANOCI, qui fut, en dépit du tunel de Soumbedioune, de la corniche Ouest et des multiples échangeurs, un véritable tonneau des Danaïdes.
Cependant Macky Sall a atteint, avec l'interpellation de son désormais ennemi intime, la porte du non-retour de Gorée. Sa croisade contre les biens mal acquis (BMA) devra être transversale et éclectique, c'est-à-dire qu'elle doit frapper et le camp de l'ex-pouvoir, et le sien propre. A commencer par lui-même, dont la fortune déclarée est estimée entre 2 et 4 milliards, comprenant, entre autres, des villas et des terrains au Sénégal, un appartement à Houston aux Etats-Unis, 35 véhicules... Des biens amassés entre 2 000 et 2012, c'est-à-dire durant ses passages comme ministre des Mines et de l'Energie, de l'Equipement et des Transports, puis ministre d'Etat chargé de l'Intérieur et des Collectivités, Premier ministre, président de l'Assemblée nationale.
Les bouches fendues au mauvais endroit prétendent qu'avant 2000, Macky Sall avait du mal à payer son loyer de 90 000 F CFA/mensuel...
En convoquant à la gendarmerie, pour la première fois le 8 novembre 2012, sept caciques du régime libéral parmi lesquels Karim, le procureur spécial de la CREI, Alassane N'Dao, a déclenché, sans le savoir, ce qu'on pourrait appeler l'effet papillon, cette chaîne d'événements qui transforme le simple battement d'ailes d'un insecte au Japon en Ouragan au cœur du pacifique. Bonjour les déballages et les peaux de banane. Bienvenue dans la Toundra de la politique sénégalaise.