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L’Observateur N° 8354 du 16/4/2013

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Dr Mohamed Kimbiri du Haut Conseil islamique du Mali : «Les Français ont balayé la maison, à nous de nettoyer le carreau»
Publié le mardi 16 avril 2013   |  L’Observateur




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Homme de médias, le Dr Mohamed Kimbiri a séjourné au Burkina Faso du 08 au 11 avril 2013 sur invitation de Reporter du Faso dans le cadre d’un séminaire sur les enjeux de la crise malienne au profit des journalistes de la sous-région. Secrétaire à l’organisation du Haut Conseil islamique du Mali, il s’est impliqué dans les démarches de sa structure pour ramener la paix dans le pays. A la fin de son séjour à Ouagadougou, Mohamed Kimbiri nous a reçu dans sa chambre d’hôtel. Si d’emblée, il a marqué sa disponibilité à répondre à nos questions, il a cependant manifesté un regret : celui de ne pas pouvoir affirmer sa fierté d’être Malien. «Si j’avais su que vous alliez me prendre en photo, je me serais mis dans une de ces tenues propres à nous, Maliens», nous a-t-il lancé en ouvrant la porte, les yeux rivés sur ses valises, bouclées. N’empêche ! De la relation entre l’islam et les groupes au Nord du Mali à la paix dans le pays en passant par la conduite des corps militaires et paramilitaires ainsi que la stabilité du gouvernement de transition, le Dr Kimbiri juge dans le juste milieu. Entretien.


Quel rôle a joué le Haut Conseil islamique dans la recherche de la paix depuis le déclenchement de la guerre ?


• Le Haut Conseil islamique du Mali a d’abord joué un rôle d’anticipation. A la fin de chaque année, le président de la République recevait toutes les forces vives de la Nation. La première journée de ces audiences était réservée aux représentants de la société civile, aux familles fondatrices, à la communauté islamique et à la communauté chrétienne. Deux ans avant le déclenchement de la crise, on a attiré l’attention du président de la République sur la situation au nord du pays. On ne pouvait pas comprendre que quand il y avait rapt ou enlèvement dans la sous-région, ce fût cette partie du territoire qui servît de cadre pour les discussions et même pour le payement des rançons, même si on n’aime pas qu’on le dise chez nous. Nous avons d’abord joué un rôle de veille et d’alerte, mais les autorités ne nous ont pas écoutés à l’époque.

Au déclenchement de la crise, nous ne sommes pas restés les bras croisés. Des soldats maliens ont été égorgés ou éventrés. D’autres ont été faits prisonniers. En tant que structure religieuse, la première chose qui nous est venue à l’esprit était de faire libérer ces derniers. Nous avons alors entrepris des missions au Nord, où nous avons discuté avec les rebelles, notamment Ansar-Dine. Au cours des discussions, le chef du groupe, Iyad Ag Ghaly, nous a assuré qu’il n’était pas animé de velléités indépendantistes ni sécessionnistes. Il tenait cependant à l’application de la charia sur toute l’étendue du territoire malien. Et pour nous prouver sa bonne foi, il a décidé de remettre ses prisonniers au Haut Conseil islamique. C’est ainsi que nous avons pu libérer les 161 soldats qu’il détenait, et cela a donné lieu à une cérémonie officielle de restitution aux autorités politiques. Mais comme la crise empirait, les conséquences devenaient incalculables. Les exactions ont entraîné le déplacement massif des populations. Ceux qui sont restés étaient à la merci de tous les dangers. Une réflexion sur la question nous a amenés à lancer une opération de collectes de fonds dans toutes les mosquées du Mali. Les gens se sont vraiment manifestés et on a payé des vivres. Personnellement, je faisais partie de la première mission qui a ouvert le corridor humanitaire à Gao et à Kidal. Nous avons ainsi soulagé les populations dans le besoin en leur apportant des vivres.

Après la libération des prisonniers et l’aide humanitaire, nous sommes passés à la négociation, avec comme préalable : pas un seul coup de feu au Nord. Entre nous Maliens, nous avons des mécanismes de dialogue qui nous permettent de surmonter beaucoup de choses comme cela a toujours été le cas. Toutes les crises ont connu des dénouements pacifiques grâce à la médiation de nos structures, dont la vocation est la négociation. On a donc fait des démarches dans ce sens. Malheureusement, on n’a pas été entendu. On ne savait pas que, malgré les accords de Ouaga et les implications de la communauté internationale, l’intention des rebelles était d’annexer tout le territoire du Mali. C’est en pleines négociations que nous avons appris qu’après avoir occupé les 2/3 du territoire, leurs troupes avaient encore envahi une région jusque-là considérée comme la frontière entre la rébellion et le pouvoir de Bamako : Konan. Ils ont donc franchi le Rubicon, car après cette ville, c’était Mopti, Sevaré et Bamako, puisqu’il n'y avait plus d’obstacles. Le président par intérim, Diocounda Traoré, a été obligé de faire appel à la France parce que nos moyens à l’époque ne permettaient pas de faire face à l’ennemi.



Pourquoi le Haut Conseil islamique a désavoué les groupes qui étaient au nord du pays, lesquels se prévalent pourtant de l’islam pour agir ?


• Nous avons désavoué la démarche, pas le principe islamique. Pour pouvoir appliquer la charia dans un pays, il y a une méthodologie à appliquer. C’est la sensibilisation d’abord, et c’est la population elle-même qui va la réclamer par la suite. On ne laisse pas la porte pour passer par la fenêtre. Ils l’ont fait, et cela a été une erreur. Nous n’avons jamais désavoué la charia, mais leur démarche pour l’appliquer. Le Haut Conseil islamique a mené une étude qui a abouti à la conclusion que ceux qui sont venus avec des armes pour appliquer la charia sont des envahisseurs et non des djihadistes. Il a été pourtant dit que : «Point de contrainte dans la religion». Ils sont donc en porte-à-faux avec certains versets du Coran.



Mais ils sont des musulmans ou pas ?



• (Hésitations). Ce sont des musulmans. La première chose qui peut faire sortir une personne des rangs des musulmans est l’adoration d’une divinité en plus d’Allah. Ces gens-là, lors de nos déplacements, priaient avec nous. De quel droit peux-tu dire qu’une personne n’est pas musulmane alors que tu l’as vu prier et elle t’a fait prier ? On peut dire qu’ils ne sont pas de bons musulmans, je suis d’accord sur ça. Mais je n’ai aucune connaissance théologique qui me permettrait de dire qu’ils ne sont pas musulmans.



Les Français ont depuis annoncé qu’ils se retireraient et on note déjà le depart de 100 hommes. Avez-vous foi aux troupes africaines qui vont prendre le relais ?



• Les troupes françaises sont venues uniquement nous aider à faire l’essentiel. Je n’ai pas connaissance que des pays de l’Afrique de l’Ouest disposent de drones, d’avions de combat ou de chasse. Les Français devaient faire un travail de ratissage, notamment en bombardant les grottes qui servaient à détenir les otages. Ils ont balayé la maison, et nous n’avons qu’à nettoyer les carreaux et autres. Je n’ai pas la même vision que le Pentagone qui pense que les troupes de la CEDEAO ne vont pas assurer la sécurité du pays après le départ de la France. Je sais que les forces africaines feront le reste du travail.



Vous avez applaudi l’arrivée des Français, soutenus par la suite par des militaires africains. Pendant que ces soldats, venus d’ailleurs, étaient au front, les frères d’armes maliens se donnaient en spectacle en se tirant dessus. Qu’est-ce qui explique cette situation ?


• En tant que religieux, je mets cela sur le compte de l’implication de Satan, car partout où il y a la facilité, il vient s’ingérer pour compliquer la situation. Moi, en tant que Malien, je ne peux pas comprendre que pendant que des gens viennent de continents différents pour se sacrifier pour nous, nos hommes de tenue choisissent ce moment également pour se tirer dessus. Quand Dieu nous guide vers la lueur, Satan redouble d’efforts pour nous enfoncer. Mais avec les bénédictions, les hommes vont s’en défaire.


Est-ce que Satan n’est pas passé par un homme pour semer le désordre ?


• Justement, Il passe toujours par une voie.



Le capitaine Hamadou Aya Sanogo ne serait-il pas cette voie-là ?


• Un musulman ne se fie jamais aux rumeurs, il parle avec des preuves à l’appui. En toute sincérité, je n’ai aucune preuve pour dire que c’est le capitaine Sanogo qui est à la base de ce mouvement.


Au niveau des politiques, les soubresauts ne manquent pas non plus. Après Modibo Diarra, son remplaçant, Djongo Cissoko, menace de quitter la primature. C’est à croire que la paix est la dernière préoccupation des Maliens ?


• Faites un tour à Bamako, vous verrez que la principale préoccupation des Maliens n’est pas ce que les autorités sont en train de faire maintenant. Ils veulent la paix, rien que la paix. Au niveau de la communauté musulmane, nous avons organisé des cérémonies de lecture du Coran et de concertation. C’est la même chose chez les autres communautés religieuses et coutumières, et même au niveau des jeunes. Je devais même faire partie d’une mission à Kaye pour sensibiliser et exhorter les gens à enterrer la hache de guerre et faire face au vrai défi du développement.



Le mois de juillet est avancé pour la tenue de l’élection présidentielle. Peut-on tenir un scrutin à cette date au Mali ?


• J’ai foi en cette date, mais j’ai aussi des inquiétudes : d’abord, quand le président français dit : «Il y aura des élections en juillet au Mali et nous serons intraitable là-dessus», il y a problème. La souveraineté du Mali est foulée aux pieds, et c’est comme si nous n’existions pas ; ensuite, le mois de juillet, c’est en plein hivernage chez nous, et cela n’est pas favorable à une campagne politique. Le Mali est composé à 95% de musulmans, et la période coïncide aussi avec le ramadan. Durant ce mois, les tam-tams sont bannis alors que la campagne ne se fait pas sans tambours ni trompette. On nous a fait savoir que le fichier était prêt et qu’il n’y aurait pas de tripatouillage. Nous accordons du crédit à la déclaration des autorités, mais au cas où il y aurait des problèmes, nous la dénoncerions publiquement.



Au regard de vos inquiétudes, quelle date serait indiquée ?


• Les Maliens ne bénéficieront pas d’aide extérieure tant qu’il n’y aura pas de pouvoir légal. Le pays restera également sur une liste rouge ou noire, avec son lot d’inconvénients. Nous avons donc intérêt à organiser des élections au lieu de perdurer dans une transition qui n’en finirait pas. Si ceux qui financent ont la certitude que ça peut se faire, même s’ils sont prêts pour demain, cela ne me cause aucun problème. Mais si vous regardez le comportement des pouvoirs publics actuels, même si les élections ont lieu dans une décennie, cela n’est pas leur préoccupation.



Si les politiques ne donnent pas l’exemple, la société civile n’est-elle pas interpellée ?


• La société civile va s’assumer. Si les hommes politiques traînent les pieds parce ce qu’ils vont perdre des privilèges avec les élections, ils doivent savoir que le peuple souffre actuellement. Allez faire un tour à Bamako, rien ne marche. Les touristes ne viennent plus, le commerce ne marche plus… rien ne va. Vous pensez qu’un pays peut vivre longtemps dans cette situation ? Pour museler la société civile, il y a actuellement l’état d’urgence, qui interdit toute manifestation dans le pays. Mais il sera levé à la veille des élections pour favoriser les activités politiques. Quand cela va se faire, nous allons sensibiliser la population. Par la détermination dans nos manifestations, nous avons déjà fait rejeter le code de la famille par le président de la République alors qu’il avait été adopté par les députés il y a quelques années. Aujourd’hui, nous avons les mêmes armes.



Entretien réalisé par

Moumouni Simporé

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