La Sirba, fleuve traversant toute la province de la Gnagna, région de l’Est, est l’un des plus importants cours d’eau du Burkina Faso. Prenant sa source dans le Ganzourgou (région du Plateau central), il traverse la route nationale n°18 (Fada N’gourma – Bogandé-Taparko). La traversée de ce cours d’eau, en saison hivernale, relève d’un parcours du combattant pour les usagers de la RN18. Chaque année, au moins une personne perdrait la vie sur ce fleuve. Randonnée au bord du fleuve Sirba.
Le temps est glacial ce mardi 18 août 2015 à Bogandé, chef-lieu de la province de la Gnagna. La veille, une grosse pluie s’est abattue sur le territoire provincial. Le ciel encore couvert de nuages, témoigne de la survenue à tout instant, d’un orage. Malgré cela, les habitants n’entendent pas rester cloîtrés chez eux. A charrettes, à motos, à vélos ou à pieds, chacun s’attelle à rejoindre son champ, son service...
Nous décidons, quant à nous, de nous rendre à Sirba, village situé à environ 40 kilomètres de Bogandé. Sirba est traversée par le fleuve qui porte son nom ou encore celui de la province (Gnagna), l’un des affluents du fleuve Niger. Là, un radier de 320 mètres y est construit pour faciliter le passage. L’utilité publique de ce moyen de transport de fortune contraste malheureusement avec sa mauvaise renommée. Sa triste réputation a franchi les frontières de la province, voire de la région de l’Est. Traverser ce radier en saison pluvieuse, «c’est risquer sa vie». Mais cela ne nous dissuade guère. La grande affluence au guichet d’une compagnie de transport «GUNTER», qui fait la liaison Bogandé-Fada N’Gourma, laisse entrevoir que la pluie diluvienne tombée la veille n’entame en rien la détermination des voyageurs à vaquer à leurs occupations habituelles. Plus loin, une dame, la quarantaine bien sonnée, un enfant au dos, une valise et un petit sac en main, nous devance au guichet. Elle souhaite se rassurer avant de prendre son billet. «C’est cette voie qui est compliquée à emprunter pendant la saison pluvieuse avec les radiers ? », questionne-t-elle, inquiète, auprès du guichetier, l’air hésitant. « Non madame, nous allons pouvoir traverser », répond ce dernier. Les apprentis s’occupent à charger les bagages dans le véhicule. « Nous allons démarrer dans une dizaine de minutes », crie l’un d’eux, en invitant ses « collègues » à pousser le car pour le démarrer. Ce geste, loin d’être anodin, a plutôt exacerbé les craintes des passagers. Les plus sceptiques imaginent déjà le calvaire sur le radier. «Ce car pourra-t-il nous mener à bon port ? Et s’il s’éteint en plein milieu du fleuve, comment allons-nous faire ?», se demandent-ils sans doute. Tiraillée entre la peur et l’inquiétude, la vingtaine de passagers prend néanmoins place dans le véhicule: direction Fada N’Gourma. Il est 7 heures 15 minutes. A 8 heures 30 minutes, nous voici au nez du fleuve Sirba après une escale de 20 minutes à Piéla. La peur se lit sur les visages. Un silence de plomb règne dans le véhicule. Des riverains tentent plus ou moins de nous rassurer: «vous allez pouvoir traverser sans difficulté». Le courant d’eau, à vue d’œil, ne semble pas aussi fort. Des cyclomoteurs et des cyclistes traversent sans difficulté. Des marchands installés au bord de la nationale n°18 devisent. Quelques jeunes gens assis sous de petits hangars observent les mouvements de ce beau monde. La plupart d’entre eux sont des secouristes ou des guides. Ils s’occupent le plus souvent à aider les usagers à franchir le radier ou à transporter leurs engins.
Au moins un décès par an
« C’est parce que le courant n’est pas assez fort, sinon généralement, ils sont plus nombreux. Ils aident les passagers à traverser, moyennant des sommes d’argent », nous chuchote un passager qui semble être un habitué de l’axe. A l’en croire: « C’est un véritable business ». Avec prudence, sérénité et concentration totale, le conducteur s’engage. Sous les directives d’un guide, il parvient à éviter les points dangereux de la dalle marqués, quelques-uns, par des tonneaux peints en rouge et blanc. En l’espace de quelques minutes, nous abordons enfin, sans encombre, l’autre rive du fleuve. Des soupirs de soulagement sont lâchés ici et là. « Aujourd’hui nous avons eu énormément de la chance. La dernière fois, nous avons dû attendre deux jours avant de pouvoir traverser », confie un passager.
Pendant plusieurs décennies, les usagers de la Route nationale n°18 traversent, en saison hivernale, le radier de la Sirba avec la peur au ventre. En dépit des initiatives entreprises par les autorités, aucune solution idoine n’a été trouvée. Selon des sources rencontrées sur les lieux, plusieurs personnes, au cours des années précédentes, auraient péri en tentant la traversée. De nombreux véhicules, motocyclettes ont été également emportés par les eaux. En 2010, 13 personnes ont perdus la vie (NDLR : selon le bilan des autorités nationales). «Même cette année, un de nos amis a disparu, entraîné par le fort courant du fleuve», nous apprend Kiri Haro, un habitant du village, le doigt pointé en direction du versant du cours d’eau. A ses dires, une personne au moins décède, chaque année, des suites de noyade. Pour la présente saison, le gouvernorat de la région de l’Est a dû inviter les usagers de l’axe à observer « la plus grande prudence sur l’ouvrage de la Sirba et à se conformer aux mesures de sécurité actuellement en cours, réglementant la circulation sur ledit ouvrage ». Pendant la période de crue du fleuve, pour rejoindre Fada N’Gourma situé à moins de 100 kilomètres de la Sirba, un détour par l’axe Boulsa-Koupéla-Fada N’Gourma est indispensable. « Il nous est maintes fois arrivé de patienter plus de trois jours avant de voir la crue du fleuve baisser», raconte Joël Madiéga, un transporteur routier à Bogandé. Pour traverser, il faut être guidé par les riverains afin de ne pas s’embourber à quelques endroits du fleuve, dit-il. Et Jérémie Mano, professeur de lycée à Piéla d’ironiser: « Tu peux quitter Ouagadougou ou Fada N’Gourma mais à quelques kilomètres de chez toi tu ne peux pas rentrer ». Ces désagréments donnent aussi du fil à retordre au district sanitaire de Bogandé pour les évacuations ou les approvisionnements. Selon le représentant du Médecin-chef de district (MCD), Dr Palamanga Ouoba, son établissement vit ce calvaire depuis des années. « Nous avons d’énormes difficultés en saison pluvieuse. Pour une évacuation sur l’axe Fada N’Gourma, nous sommes obligés de traverser deux ou trois radiers. Et quand il y a un débordement, l’ambulance ne peut pas passer. Il faut procéder à un grand détour. Ce qui coûte encore plus cher au district », dit-il. Pour lui, il est déplorable de ne pas pouvoir évacuer un malade, qui est entre la vie et la mort, à temps, alors que la distance n’est pas aussi grande.
La pirogue-ambulance
«Je me souviens une fois où nous devions évacuer un malade sur Fada N’Gourma. Il a fallu mobiliser l’ambulance de Bogandé pour qu’elle s’arrête à la rentrée du radier et rejoindre celle de Bilanga à la sortie à bord d’une pirogue. Ce sont des gymnastiques malheureuses auxquelles nous nous adonnions régulièrement. C’est vraiment difficile », se lamente Dr Ouoba. L’autre difficulté, ajoute-t-il, survient également lorsque des agents de santé doivent rejoindre le district pour une rencontre. Ces derniers sont obligés de verser au moins 2 000 F CFA aux « secouristes » pour pouvoir traverser ! Même si jusqu’à présent le district n’a pas encore déploré une perte en vie humaine due à un problème d’évacuation, Palamanga Ouoba estime que cela pourrait arriver à tout moment.
« En 2010 les autorités sont venues voir le radier, mais depuis lors, il n’y a aucune initiative qui est faite pour améliorer la vie de la population par rapport à cette infrastructure », déplore Jérémie Mano. Et Joël Madiéga de renchérir : « On nous avait même promis un pont ». De son avis, cela pourrait soulager un tant soit peu la population en attendant le bitume. La dalle du radier est aujourd’hui sérieusement menacée. Son côté versant est rongé par les eaux. Des tas de terre et de sable sont perceptibles de part et d’autre côté de la voie. « Il y a une entreprise qui est venue cette année pour l’entretien de la dalle. Mais, nous n’avons plus de ses nouvelles depuis lors», nous confie Yombo Haro, un riverain, l’air dépité. Le mur de béton à peine construit et les fers de béton pliés par les eaux au bord de la dalle confirment ses propos. Selon le directeur provincial des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports, Rasmané Gango, les travaux d’entretien du radier de la Sirba font partie intégrante d’un marché public : « Travaux d’urgence d’entretien du radier sur la Sirba, RN 18 et du pont Nazino sur la RN 5 ». Le marché attribué à l’entreprise BECO pour un montant global de 289 552 442 F CFA TTC, les travaux devaient démarrer le 18 juin dernier et consistaient à enfouir la dalle. « Mais cette année, la crue du fleuve s’est signalée plutôt que prévu», fait-il remarquer. Les usagers, pour leur part, pointent du doigt les entreprises chargées d’exécuter les travaux. Ceux-ci estiment qu’elles ne viennent pas à temps. « Ces entreprises commencent toujours leurs travaux à l’approche de la saison pluvieuse. Quelques temps après, elles peinent à les poursuivre», souligne Kiri Haro, un jeune homme qui emprunte régulièrement l’axe depuis plusieurs années. La cinquantaine bien sonnée, Yombo Haro a, lui, sa petite idée. Le pont non construit est le résultat d’une négligence ou d’une discrimination. « Nous voyons des localités qui ne valent pas la nôtre, mais qui ont des infrastructures adéquates», explique-t-il la mine déconfite. La directrice générale de l’entreprise BECO que nous avons contactée par téléphone, n’a pas souhaité s’exprimer sur le dossier.
Le vœu des Gnagnalais
Furieux, Jérémie Mano dénonce la démagogie des politiques, notamment ceux originaires de la province. «Pendant les campagnes électorales, ils ne se gênent pas de nous proposer monts et merveilles. Après, plus rien. Ils ne réapparaissent qu’à l’approche du prochain scrutin», fulmine-t-il. Le directeur provincial des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports est d’avis avec M. Mano.
En effet, souligne-t-il, le gouvernement avait donné des instructions fermes pour la réalisation du pont. Le marché avait été attribué. « Mais on a l’impression que les ressortissants de la province ne suivent pas, il n’y a pas quelqu’un qui va pousser les choses pour qu’elles avancent », avoue M. Gango.
Une chose est sûre, les populations de la Gnagna appellent de tout leur vœu, la construction d’un pont non seulement sur la Sirba mais aussi au niveau des autres cours d’eau de la RN 18 (Kongaye, Sorga et Manni). « Notre souhait est que les autorités nationales voient le cas de ce radier pour le bonheur des populations », plaide Kiri Haro. Salif Cissé, élève en classe de 3e, s’adonne au secourisme pendant les vacances aux bords du fleuve. Selon lui, la situation de la route ralentit le développement de la province. A cela s’ajoute, croit savoir Jérémie Mano, la passivité des populations face aux problèmes infrastructurels qui minent ladite province. En attendant une prompte réaction des autorités, la Sirba continue allègrement de faire des victimes chaque année en saison pluvieuse.
Joseph HARO
josephharo4@gmail.com
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Témoignage de Sibidi Mathias Tindano, fils d’une des 13 victimes du sinistre de 2010 :
Mon père, Diagnoagou Tindano, revenait de Ouagadougou et quand ils sont arrivés à la Gnagna (Sirba), il y avait un débordement des eaux. Il a dit qu’il allait attendre jusqu’à ce que le niveau de l’eau baisse. Mais, sur l’insistance d’un de ses amis, ils ont emprunté un tracteur pour traverser. En plein milieu du radier, le conducteur a perdu le contrôle. Et l’irréparable s’est produit. Ce fut une grande douleur pour tous les membres de la famille. A l’époque, le gouvernement avait fait la promesse qu’une solution serait trouvée. Mais jusqu’à présent, aucune action n’a été entreprise dans ce sens. Nous souffrons beaucoup du manque de cette infrastructure. Des familles sont endeuillées chaque année. Nous souhaitons qu’une solution définitive soit trouvée.
Propos recueillis pas J. H.