Le président Muhammadu Buhari, après ses sorties dans certains pays limitrophes du Nigeria et aux USA, a de nouveau pris son bâton de pèlerin pour, cette fois-ci, installer ses pénates au bord de la Seine. Le nouvel homme fort de la fédération nigériane, accompagné d’une délégation forte de cinq de ses ministres, a, en effet, entamé une visite officielle de trois jours à Paris, ce lundi 14 septembre, sur invitation de son homologue français, François Hollande. Il met progressivement fin à l’inertie des premières heures de son mandat et rompt avec l’incurie et la léthargie qui semblaient caractériser son prédécesseur. Le tapis rouge que lui déroule à l’occasion la France, confirme la rapidité de son positionnement international en raison du caractère clean de son élection.
La guerre contre Shekau et ses sbires sera le plat de résistance des discussions entre les deux chefs d’Etat
Il serait superfétatoire de se demander ce qui fait courir le nouveau locataire de la présidence nigériane, tant la réponse semble évidente. La sagesse populaire africaine dit que lorsqu’on voit une vieille femme courir sous le soleil au zénith, si elle n’est pas poursuivie par quelque chose, c’est qu’elle poursuit quelque chose. Buhari cumule à lui seul les deux causes de la course.
L’insécurité liée à Boko Haram ne lui permet pas de se prélasser dans les canapés feutrés de la présidence et ce d’autant plus que face à l’hécatombe et au désarroi des Nigérians du fait des exactions de la ténébreuse secte islamiste, il avait, pendant la campagne, fait de la lutte contre elle une de ses priorités. Nul doute donc que la guerre contre Shekau et ses sbires sera le plat de résistance des discussions entre les deux chefs d’Etat. Paris, en effet, est devenu la tête de pont dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, après les succès de l’opération Serval au Mali et surtout en raison des forces en action du dispositif Barkhane. Mieux, la logistique militaire et technologique dont dispose la France rend Paris incontournable sur les sentiers de la victoire sur Boko Haram. Paris dispose aussi et surtout d’une grande force d’influence auprès des alliés nigérians de la coalition anti-Boko Haram qui font partie tous du pré-carré français : Tchad, Cameroun, Niger et Bénin. C’est donc à la bonne porte que frappe Buhari qui devrait, en toute logique, demander à François Hollande de lui apporter un soutien logistique, mais aussi une coopération en matière d’intelligence, les renseignements étant importants dans cette guerre asymétrique contre les fous d’Allah. Et selon toute vraisemblance, il ne devrait pas être déçu, Hollande ayant exprimé depuis Août sa «solidarité sans faille » avec les pays affectés par Boko Haram. Depuis lors, cette solidarité s’est manifestée en termes d’appui en renseignements et de formations militaires, notamment dans l’analyse des données. La France avait même pris les devants en organisant un Sommet à l’Elysée en mai 2014 afin de coordonner les efforts du Niger, du Tchad, du Cameroun et du Nigeria pour repousser le groupe djihadiste qui a fait allégeance à l’organisation Etat islamique.
L’autre raison de l’insomnie de Buhari et qui l’amène sur les champs-Elysées, est qu’il a été élu dans un contexte économique difficile, caractérisé par la raréfaction des revenus liés à la manne pétrolière. Les cours du pétrole sont au plus bas, la monnaie nationale, le naira, est en chute libre. Buhari a d’urgence besoin de donner un second souffle à l’économie nationale pour non seulement trouver le nerf de la guerre contre Boko Haram, mais aussi pour délivrer sa jeunesse des affres du chômage. Il va vanter auprès de Hollande les forces du plus grand marché d’Afrique. Le Nigeria pèse en effet plus de 170 millions de consommateurs. Et la France, pour faire face au marasme économique qui la secoue et en raison de ses intérêts déjà bien présents au Nigeria qui est le « royaume » de Total, ne pourra pas se payer le luxe de jouer au difficile.
Au-delà de contraintes, Buhari s’offre une tribune pour réaffirmer les ambitions nigérianes
Le renforcement de la coopération culturelle prévu dans l’agenda (le français étant devenu la 1ère langue après l’anglais au Nigeria) est sans doute destiné à appuyer cette dynamique. Dans la même visée, Buhari qui s’est aussi engagé dans une âpre lutte contre la corruption et les fraudes fiscales, ne manquera pas l’opportunité de demander l’aide de la France pour récupérer les colossales fortunes déposées dans les coffres forts européens par les régimes prédateurs passés. Les OSC françaises étant très actives dans la lutte contre les biens mal acquis des dirigeants africains et la France à la pointe de la lutte contre l’évasion financière et les paradis fiscaux, cette requête pourrait avoir tout au moins un écho favorable.
Au-delà de ces contraintes qui ont poussé Muhammadu Buhari à faire le déplacement de Paris, le maître d’Abuja s’offre une tribune pour réaffirmer les ambitions nigérianes, notamment la quête d’une place plus prépondérante sur l’échiquier international en tant que puissance régionale et africaine. Le Nigeria ne fait pas mystère en effet de son intention d’intégrer le Conseil de Sécurité de l’ONU.
L’escale de Paris était donc indispensable à la stature que Buhari entend se donner et donner à son pays. En somme, cette visite vaut son pesant d’or.