Sur invitation du président sénégalais et président en exercice de la CEDEAO, les chefs d’Etat de la sous-région ouest-africaine se réuniront à Dakar le 12 septembre prochain. Au menu de ce sommet extraordinaire de l’organisation sous-régionale, il y a la crise politique en Guinée Bissau et bien sûr, les élections présidentielles prévues en octobre 2015 en Côte d’Ivoire, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso. Les sujets qui y seront débattus sont d’autant plus importants qu’ils pourraient, si on n’y prend garde, être des sources de tensions aux conséquences imprévisibles dans chacun des pays concernés, avec des risques de ramifications dans toute cette sous-région déjà mal en point sur le plan sécuritaire. Les derniers remous politiques en Guinée Bissau qui ont culminé avec la démission forcée du Premier ministre Bassiro Dja le 9 septembre dernier, constituent en effet, l’une des plus grandes sources d’inquiétude pour la CEDEAO, surtout qu’ils se passent dans un pays connu pour son instabilité institutionnelle chronique. La CEDEAO, qui est déjà intervenue à plusieurs reprises dans ce petit pays aux problèmes immenses, a certes toutes les raisons de se pencher de façon urgente sur les derniers rebondissements de cette crise politique, avant que l’armée ne s’en serve pour perpétrer un énième coup d’Etat, et donc coup de frein contre la démocratie.
Pourquoi une fixation sur le Burkina Faso ?
Mais pour ce qui constitue le deuxième plat de résistance de ce conclave des chefs d’Etat de la CEDEAO, à savoir les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso, beaucoup d’observateurs se demandent s’il mérite bien de figurer à l’ordre du jour de ce sommet dit extraordinaire, puisqu’il n’y a pas, du moins pour l’instant, de menaces sérieuses et imminentes sur ces scrutins. Certes, avec les ravages de la crise post-électorale de 2011 en Côte d’Ivoire, on peut comprendre la fébrilité des chefs d’Etat ouest-africains à l’approche de la date du scrutin du 25 octobre, mais on est tout de même fondé à se poser des questions sur l’agenda qui semble être caché derrière cette convocation en urgence du sommet de Dakar, d’autant que le point d’attraction n’est ni la Guinée Conakry, ni même la Côte d’Ivoire, mais plutôt le pays des hommes intègres où des élections couplées (présidentielle et législatives) sont prévues le 11 octobre prochain. Pourquoi une fixation sur le Burkina Faso, alors même qu’à l’intérieur de ce pays, le discours et le ton des acteurs politiques toutes tendances confondues, appellent à l’apaisement et à la décrispation afin d’éviter aux Burkinabè les affres de la déchirure et de la violence, à l’issue du processus électoral ? A moins de vouloir être plus royalistes que le roi, pourquoi Macky Sall et certains de ses pairs s’entêtent-ils à faire croire au monde entier que des menaces planent toujours sur le Burkina Faso post insurrectionnel, alors que les fils de ce pays qui ont été chassés du pouvoir ont eux-mêmes fait contre mauvaise fortune bon cœur en appelant publiquement leurs militants à accepter l’arrêt du Conseil constitutionnel qui a invalidé les candidatures de la plupart de leurs têtes d’affiche ? La CEDEAO est-elle celle des peuples ou est-ce simplement une organisation dirigée par des chefs nombrilistes, dont certains ont été frauduleusement hissés à la tête de leurs Etats respectifs ? Evidemment, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, puisque certains chefs d’Etat de la CEDEAO sont respectables à tout point de vue, mais force est de constater que cette organisation est instrumentalisée par certains amis et comparses de l’ancien président burkinabè, qui ont bien compris que le message des centaines de milliers de Burkinabè qui ont délogé Blaise Compaoré du palais présidentiel de Kosyam ne s’adressait pas seulement à ce dernier, mais aussi à tous ces «Nazarbaiev » du continent.
Les Burkinabè ne créeront pas les conditions de débarquement de troupes étrangères sur leur sol
C’est probablement pour cette raison qu’ils font feu de tout bois, en agitant le chiffon rouge du chaos pour, sinon ramener les hommes fidèles à Blaise Compaoré aux affaires, du moins parasiter la Transition et rendre le pays ingouvernable, même après les élections. Si ce scénario-catastrophe n’a pas fonctionné comme l’auraient souhaité ces pyromanes depuis le début de la Transition, le sommet de Dakar qui ressemble, à s’y méprendre, à un baroud d’honneur n’y changera rien, et le pompier de service (médiateur dans leur jargon) qu’ils ont cyniquement désigné en la personne du président béninois Yayi Boni, gagnerait plutôt à se préparer à aller cultiver son jardin dans son village natal de Tchaourou au soir du 28 février 2016, au lieu de compter sur des dividendes qu’une improbable mission de médiation au Burkina pourrait lui rapporter. Car, les Burkinabè, qui ne sont pas appelés hommes intègres pour rien, ne créeront certainement pas les conditions de débarquement de troupes étrangères sur leur sol, en cédant aux manœuvres de divisions orchestrées par des individus tapis dans l’ombre de la CEDEAO et agissant pour le compte d’un groupuscule vomi par le peuple.
En un mot comme en mille, on a le sentiment que les ennemis du Burkina et de la démocratie espèrent que Macky Sall et compagnie feront du sommet de Dakar le point de départ d’une contre révolution pour remettre en selle l’ancien système qui a régné sans discontinuer sur le pays durant 27 ans. Une sagesse bien de chez nous enseigne qu’avant de dire à ton voisin d’enlever la paille qui est dans son œil, commence par ôter la poutre qui est dans le tien. Gageons que certains chefs d’Etat de la CEDEAO qu’on soupçonne de rouler pour l’ancien régime burkinabè comme Alassane Ouattara, respecteront la lettre et l’esprit de cette sagesse populaire, lui qui a embastillé et exilé des centaines de partisans de son prédécesseur, pour ne leur laisser aucune chance de revenir aux affaires avant qu’il ne tire sa révérence. Quant à Macky Sall, il semble bien mal placé pour faire des leçons de morale politique au Burkina Faso, lui qui a fait abstraction totale des remarques et recommandations de la même CEDEAO et de l’ONU dans le jugement de l’affaire Karim Wade.