Depuis le 7 septembre dernier, Kinshasa vit au rythme des Francofolies de La Rochelle qui vont se poursuivre jusqu’au 12 septembre prochain. Ce Festival vieux de trente ans, né en France, à La Rochelle, a déposé ses valises pour la première fois en Afrique, précisément à Kinshasa, considérée par ses organisateurs comme la capitale de la musique en Afrique. De ce point de vue, l’on pourrait dire que dans le souci de promouvoir la culture, c’est un juste retour d’ascenseur à ce pays qui s’est illustré à la face du monde par son bouillonnement culturel depuis les indépendances, avec de grands orchestres et des artistes au talent tout aussi immense tels Tabou Ley Rochereau, Tshala Muana, Koffi Olomidé, Fally Ipupa, entre autres, qui ont tenu en haleine l’Afrique et le monde, et continuent de figurer au hit-parade des meilleurs du continent.
Au moment où ce célèbre festival expérimente la scène africaine pour la première fois, l’actualité politique du pays hôte est marquée par un fait majeur
Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Car dans la forme, l’on peut trouver à redire sur le choix de la RDC pour abriter ce festival qui est né sur les bords de la Seine, dans la patrie des droits de l’Homme. D’autant plus qu’entre le culturel et le politique, il est difficile de de mettre une barrière car l’un n’est jamais vraiment loin de l’autre. En témoigne le refoulement, il y a quelques mois de cela, du reggae man ivoirien Tiken Jah Fakoli par ces mêmes autorités de Kinshasa, alors qu’il y était invité pour un festival. Au-delà, l’on ne comprend pas le mutisme de la Francophonie devant les violations flagrantes des droits de l’Homme dont se rendent régulièrement coupables les autorités de la RDC, notamment l’incarcération, récemment encore, sans raison valable, de militants de la société civile africaine.
Aujourd’hui, dans une Afrique en pleine mutation plus que jamais avide d’alternance et de démocratie, la RDC brille plus par la mauvaise posture de ses gouvernants qui s’affichent aux antipodes de ces valeurs, que par son rayonnement culturel dont la suprématie est en voie d’être remise en cause par des pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Mali, le Nigeria pour ne citer que ceux-là. D’ailleurs, le président Joseph Kabila, qui achève son deuxième et en principe dernier mandat constitutionnel, fait de moins en moins mystère de sa volonté de prolonger son bail à la tête de l’Etat.
Au moment où ce célèbre festival expérimente la scène africaine pour la première fois, l’actualité politique du pays hôte, comme par hasard, est marquée par un fait majeur : un arrêt de la Cour constitutionnelle qui va immanquablement impacter le calendrier électoral qui risque de connaître un glissement, avec la possibilité de remettre en cause la tenue de l’élection présidentielle à bonne date. Quand on sait que constitutionnellement, le président Kabila est disqualifié pour le prochain scrutin présidentiel, l’on se demande si l’on n’a pas affaire à des calculs politiciens sur fond de sonorités musicales, pour gagner du temps, afin de peaufiner la stratégie du maintien de Kabila à la tête de l’Etat.
C’est Kabila qui peut se réjouir
Quoi qu’il en soit, encouragé par le cas burundais, Kabila est de plus en plus à l’aise pour agir à sa guise et modifier les choses dans le sens de ses souhaits, par le truchement d’institutions dont l’indépendance vis-à-vis de l’Exécutif est sujette à caution. D’autant plus que comme dans bien des républiques bananières, les président des institutions sont généralement à la solde du prince régnant. Aussi, cette décision de la Cour constitutionnelle est-elle loin d’être anodine. Surtout que dans le même temps, elle ne fixe aucun délai pour le nouveau calendrier électoral qui doit déboucher sur la présidentielle de 2016, avec pas moins de dix scrutins à tenir dans ce laps de temps. Dans ces conditions, le report de la présidentielle semble garanti. Et si cela devait arriver, la question que l’on se poserait serait de savoir quelle sera la durée de ce report ? Pendant ce temps, que préparerait le pouvoir congolais dans ses officines ? Autant de questions qui laissent à penser que pendant que le peuple est à la fête, Kabila s’active à mettre en branle sa machine pour la confiscation du pouvoir. Et ces moments agréables de réjouissances populaires servent sa cause, car ils contribuent à renforcer sa sérénité.
Au demeurant, rien ne dit que le pouvoir congolais ne profitera pas d’un clash pour renvoyer l’élection présidentielle aux calendes congolaises en prétextant de la gravité de la situation pour justifier le maintien de Kabila au pouvoir après la fin de son mandat. Il continuerait ainsi d’assurer la continuité de l’Etat, comme ce fut le cas d’un certain Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire.
En tout état de cause, au-delà de ces réjouissances qui, d’un certain point de vue, infantilisent quelque peu les Africains, l’attitude de la France vis-à-vis de Kabila laisse quelque peu songeur. En effet, l’on a le sentiment qu’après avoir brandi le bâton aux lendemains de la prise de pouvoir de François Hollande, Paris utilise à présent la carotte à l’endroit du maître de Kinshasa. Entre la visite de François Hollande en RDC à l’occasion du 14e sommet de la Francophonie en octobre 2012, au cours duquel le premier des Français avait froidement serré la main de son hôte Kabila, et la visite du même Kabila en France en mai 2014 où il a été reçu à bras ouverts par le locataire de l’Elysée, la realpolitik a fini par prendre le dessus. La France, qui n’est pas économiquement au mieux de sa forme, ne peut se payer le luxe de perdre un partenaire stratégique comme la RDC. Et cela, Kabila le sait, surtout que dans le même temps, la Chine et la Russie sont en embuscade. Ceci pourrait alors expliquer que Paris laisse Washington mener le combat de la démocratie et de l’alternance en RDC en se prononçant ouvertement contre un troisième mandat de Kabila.
Cela dit, avec la tenue des Francofolies en ce moment dans son pays, c’est Kabila qui peut se réjouir. Car, au-delà de la vitrine que ce festival constitue pour son pays, cela lui permet de passer en douceur une pilule amère qui aurait pu s’avérer bien plus difficile à faire avaler à son opposition et au peuple congolais.