Pour Drissa Sanou, la décision du Conseil constitutionnel sur l’inéligibilité de candidats de l’ex majorité, «viole des dispositions constitutionnelles, manifeste son refus de protéger les libertés constitutionnelles» et constitue «un déni de droit».
«Le 27 août 2015, le Service d’Information du Gouvernement a publié un communiqué à l’effet de justifier le bienfondé de la décision n°2015-021/CC/EL du 25 août 2015 du Conseil constitutionnel, ce qui dénote du manque de sérénité au sommet de l’Etat sur les motivations qui y ont prévalu.
En effet, une décision judiciaire doit se suffire. C’est parce que celle du Conseil a suscité un malaise que le Gouvernement s’en est mêlé, ce qui a eu pour effet d’augmenter la confusion.
Ainsi, faute d’arguments convaincants, le Gouvernement a cru bon de justifier la décision du Conseil constitutionnel par des phrases tirées des motivations de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, qui, on le sait, n’ont pas de valeur exécutoire.
En revanche, il a occulté le dispositif de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO qui ne souffre pourtant d’aucune ambigüité. Il est libellé comme suit :
« Au fond :
– Dit que le Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n°005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ;
– Ordonne en conséquence à l’Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification ;
– Condamne l’Etat du Burkina aux entiers dépens. »
Il n’est pas nécessaire d’être un juriste pour comprendre que cette décision de justice condamne sans équivoque l’Etat du Burkina.
La volonté délibérée des autorités de la transition de passer outre cette décision de la juridiction supranationale dénote de leur refus de se soumettre aux engagements de l’Etat du Burkina.
Ensuite, le Gouvernement soutient textuellement dans son communiqué que « Cette décision qui constitue une application de nos textes électoraux est également conforme à l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO rendu le 13 juillet 2015 ». Pourtant, le Conseil constitutionnel justifie sa décision par le fait que « l’Etat du Burkina Faso n’a pas mis en œuvre la décision du 13 juillet 2015 de la Cour de justice de la CEDEAO ; que par conséquent, l’article 166 du Code électoral est une disposition qui reste en vigueur ; ».
Ce double langage est le signe manifeste d’une tentative maladroite de donner une base légale à une décision politique. Qui croire ?
Du point de vue du droit, la décision du Conseil est critiquable parce qu’elle est effectivement politique et non juridique pour les raisons suivantes :
• La décision du Conseil viole des dispositions constitutionnelles
Les personnes déclarées inéligibles ont été sanctionnées, pour la grande majorité, en raison de leur statut d’ex députés. Pourtant, l’article 95 de la Constitution dispose que « Aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. »
Cette disposition constitutionnelle suffisait pour déclarer irrecevable les recours en inéligibilité engagé contre les ex députés. Les Avocats conseils l’ont invoquée dans leurs moyens de défense. Le Conseil constitutionnel, pour n’y pas faire droit l’a tout simplement ignorée dans les motivations de sa décision.
Pourtant, les défenseurs des ex députés n’avaient nullement besoin de soulever ce moyen de droit constitutionnel : le Conseil devait l’opposer de sa propre initiative aux recourants, ce qui ne fut pas le cas.
N’est-il pas l’institution chargée de l’interprétation des dispositions de la Constitution, celle chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances, ainsi que la conformité constitutionnelle des traités et accords internationaux, en application de l’article 152 de la Constitution ?
En décidant de passer outre la disposition constitutionnelle protectrice des représentants de la Nation pour appliquer l’article 166 du Code électoral, le Conseil constitutionnel a violé la Constitution au profit d’une loi.
Dans un Etat de droit, une disposition législative ne peut pas être supérieure à une disposition constitutionnelle.
• La décision du Conseil manifeste son refus de protéger les libertés constitutionnelles
L’article 125 de la Constitution du 11 juin 1991 dispose que : « Le pouvoir judiciaire est gardien des libertés individuelles et collectives. Il veille au respect des droits et libertés définis dans la présente Constitution. »
C’est au Conseil constitutionnel qu’il revenait d’appliquer la décision de la Cour de la CEDEAO, parce que la Constitution lui permet en son article 157, de se saisir de toute question relevant de sa compétence, de se prononcer et d’abroger toute disposition législative portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Le 2ème paragraphe de cet article 157 de la Constitution dispose à ce propos que : « …… Si, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai déterminé par la loi.
Une loi organique détermine les conditions d’application de cette disposition. »
Ce paragraphe fonde le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance, d’obtenir du Conseil constitutionnel l’abrogation d’une disposition législative portant atteinte aux droits et libertés constitutionnelles ou celle que le législatif traîne à retirer des textes positifs.
Dans le cas d’espèce, le Conseil constitutionnel, saisi des recours en inéligibilité devait relever et sanctionner l’inconstitutionnalité des articles 135 et 166 du Code électoral.
En se couvrant derrière les insuffisances de l’Etat au lieu d’adopter la démarche inverse, le Conseil se refuse d’exercer ses compétences en matière de protection des droits des citoyens garantis par la Constitution.
Dans un système démocratique, le contrôle du Juge évite la « tyrannie de la majorité » légitimée par le Parlement (ici le CNT), instaure une réelle supériorité de la Constitution et assure le respect de l’Etat de droit.
• La décision du Conseil constitue un déni de l’Etat de droit
Le principe de la hiérarchie des normes garantit le bon fonctionnement de l’Etat de droit.
De par ce principe, les normes communautaires sont supérieures aux lois nationales qui leurs sont contraires ; elles s’imposent aux juridictions des Etats membres du groupe communautaire et s’appliquent directement dans l’ordre interne.
C’est au Conseil constitutionnel, placé au même sommet de la hiérarchie judiciaire interne, d’assurer cette unité de l’Etat de droit.
Corrélativement, le Conseil devait se soumettre à la décision de la Cour de justice de la CEDEAO du 13 juillet 2015 qui a ordonné à l’Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à la n°005-2015/CNT du 07 avril 2015 portant violation du droit d’une libre participation.
En ignorant cette décision juridictionnelle, le Conseil constitutionnel exprime son mépris de l’autorité de la chose jugée, de la suprématie de la Constitution et de l’Etat de droit.
En démocratie, la Liberté Humaine fait partie des grandes questions du Droit. L’article XVI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ne stipule t-il pas que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »?
Des interrogations s’imposent en effet, parce que tout semble avoir été mis en œuvre de façon concertée à un niveau de décision élevé pour empêcher les partis de l’ex Front Républicain et alliés, majoritaires au sein de l’électorat, de conquérir le pouvoir d’Etat par la voie des urnes en leur opposant une décision insusceptible de recours sur le plan interne, celle du Conseil constitutionnel.
Au regard de ce qui précède, le communiqué du Service d’Information du Gouvernement n’est qu’une fuite en avant qui ne saurait camoufler la partialité de la décision du Conseil, ni le fait que le Président Kafando a manqué à sa parole de premier magistrat de la République lorsqu’il s’est engagé solennellement le 16 juillet 2015 à exécuter la décision de la Cour de justice de la CEDEAO.
Peut-on prétendre être préoccupé par le devenir d’un pays et en même temps organiser l’exclusion des portes flambeaux d‘une frange importante de la population des élections de sortie de crise? Tel ne devrait pas être le rôle des autorités de la transition.
A ce jour, les dés sont jetés ; la campagne électorale s’ouvrira dans les jours prochains. Mais nul doute, les lendemains du 11 octobre 2015 nous convaincront que l’inclusion est la condition de la paix sociale et du développement durable».
Ouagadougou, le 8 septembre 2015
Drissa SANOU