Alors que la Transition court inexorablement vers son terme, à l’heure du bilan, on ne pourra pas dire que les médias n’auront pas engrangé des acquis appréciables durant cette période ouverte par l’insurrection populaire qui a envoyé dans les poubelles de l’histoire le régime vermoulu de Blais Compaoré.
A titre d’exemples, citons le Fonds d’appui à la presse qui est presque une réalité, la revue à la hausse de la subvention directe aux entreprises de presse privées même si la part revenant à chacune ne s’en trouvera pas forcément bonifiée parce que, dans le même temps, le nombre d’organes a pris l’ascenseur, le soutien structurel institué par la loi de finances 2015 qui a prévu un dégrèvement fiscal et douanier sur le matériel importé. Des efforts d’autant plus louables que l’état des finances publiques n’est pas des plus reluisantes par ces temps de « transmission ».
Et que dire de la mère de toutes les batailles qui vient d’être formellement gagnée, puisque le Conseil national de transition (CNT) a voté vendredi dernier la loi consacrant le principe de la dépénalisation des délits de presse, entendez au sens strict la suppression des peines privatives de liberté au profit des journalistes pour les délits commis dans l’exercice de leur fonction ?
Depuis tout le temps qu’elle est sur le tapis, cette revendication matricielle de la confrérie et des associations de défense de la liberté de presse avait fini par devenir un véritable serpent de mer. Avec l’installation d’un journaliste au premier ministère à la faveur de la crise sociopolitique de 2011 qui avait sonné comme une répétition générale avant le grand soir d’octobre 2014, beaucoup avaient cru que Luc Adolphe Tiao mettrait un point d’honneur à réaliser le vœu. C’était sans compter avec les forces d’inertie qui ne voulaient pas en entendre parler. C’est finalement un autre confrère qui y sera parvenu, Sy Moumina Chérif pour ne pas le nommer même si le texte a été adopté en son absence, laissant libre court à tous les commentaires. Qu’importe, on ne peut que saluer à sa juste valeur cette avancée notable.
Mais…Mais…Car il y a un grand MAIS, ce qui a été donné d’une main semble avoir été retiré de l’autre, puisqu’à défaut d’aller goûter aux délices de nos prisons, les pisse-copies qui seront dorénavant convaincus de diffamation, de calomnie, d’atteinte à la vie privée, d’outrage et nous en passons seront frappés d’amendes comprises entre 1 et 5 millions de franc CFA (compte non tenu des dommages et intérêts) et du double en cas de récidive.
Autant dire la mise à mort, car dans le paysage médiatique actuel du Faso, ils ne sont pas nombreux, les médias qui pourront supporter de telles peines sans courir le risque de mettre la clé sous le paillasson. Pour avoir été directeur de publication (de Bendré) et président de la Société des éditeurs de la presse privée (SEP) dans une autre vie, l’occupant du Perchoir transitionnel est bien payé pour le savoir. « Puisqu’on ne peut plus vous tuer moralement et à petit feu en vous envoyant derrière les barreaux, eh bien, on vous tuera autrement en tapant là où ça fait mal, le portefeuille », semble dire le législateur burkinabé avec cette épée de Chérif suspendue à la tête de ses confrères.
Il faut certes relativiser, car le texte définitif a somme toute été adouci dans la mesure où le projet gouvernemental prévoyait une fourchette de 10 à 15 millions de franc CFA, bien loin des propositions faites lors des travaux préliminaires de la corporation tenus à Koudougou, lesquelles avaient suggéré un plafond d’un million, ce qui aurait au moins été conforme aux actuelles dispositions du Code de la presse.
De ce point de vue donc, il y a comme un grave recul et la dépénalisation ne saurait être un prétexte pour augmenter le quantum de façon exponentielle quand bien même pour les CNTistes , les tarifs proposés sont mutatis mutandis les mêmes que ceux pratiqués dans la sous-région. Avec ces peines dissuasives, on est tombé donc de Charybde en Scylla, jadis tels ces marins englués dans le détroit de Messine entre l’Italie et la Sicile et qui, voulant éviter le premier (un tourbillon) allaient s’écraser contre le second (un écueil) dont ils ne réchappaient pas.
Et cela montre bien, hélas, la haute estime dans laquelle la puissance publique, les hommes politiques, les OSC et les simples citoyens tiennent ces empêcheurs de gouverner rond. Et tant pis pour eux si, sans leur précieux concours, nombre de ces élus transitoires, même dans leurs rêves les plus fous, n’auraient jamais imaginé se retrouver là où ils sont.
LA REDACTION