"L'homme acquiert sa plus grande liberté en prison".
L’auteur de cette pensée, c’est Alexandre Soljenitsyne, qui, après des années de goulag, décrira dans Une journée d'Ivan Denissovitch les 24 heures de la vie d'un condamné aux travaux forcés, c’est-à-dire un "Zek", pour emprunter le jargon soljenitsynien.
Pour ce prix Nobel de littérature, la prison rend encore plus crapule ou fait éclore à la limite une âme de saint. En tout cas on en ressort toujours transformé.
Le cas Pascal Bodjona, ex-tout-puissant ministre de l'Administration territoriale et de la Sécurité du Togo, semble corroborer cette assertion de l’illustre bagnard des geôles russes des années 50. Emprisonné le 12 septembre 2012 avec l’ex-PDG d’ELF, Loïk Le Flock-Prigent, par suite d'une ténébreuse affaire d'escroquerie au détriment du milliardaire Emirati Abass El Youssef, cet ancien cacique du pouvoir togolais a recouvré la liberté le 9 avril 2013, soit après 7 mois d'embastillement.
Très loquace pendant ses années de gloire, héritage de son activisme estudiantin, ce qui lui a d'ailleurs servi d'ascenseur social, l'homme s'est encore montré volubile, lorsqu'il a été libéré, cette semaine.
Morceaux choisis distillés chez notre confrère RFI : "On ne s'improvise pas homme politique ... Quand on l'est, on s'y attache. Mais il faut s'y attacher avec des options ... Je peux me permettre de continuer à croire que le dialogue a été l'option du président de la République... C'est pourquoi je lui demande, face à cette grogne sociale et politique, de faire attention... qu'il s'élève en bon père de famille et qu'il puisse engager cette nation dans la voie d'un dialogue sincère...".
Il est amer et fâché dans ses propos, on ne le serait pas moins après 7 mois de taule, et surtout après des années de bons et loyaux services envers un système.
En effet avec Gilbert Bawara, qui l'a d'ailleurs remplacé au département de l’Administration, il formait le duo des fidèles de leur ami d'enfance, le président Faure. Au premier mandat de ce dernier, Bodjona a guerroyé pour asseoir le régime du fils d'Eyadéma. Véritable poil à gratter des opposants, juste avant son arrestation, Dame. Rumeur faisait pourtant état d'une probable accointance avec certains d'entre eux.
En tout cas à l'écouter après ses 7 mois de golgotha, il ne serait pas loin de battre un jour le macadam avec la Coalition Sauvons le Togo (CST). On imagine pourtant qu'il mettra du temps à franchir ce Rubicon, car il est aussi comptable des faits et méfaits de ce pouvoir. Et le bedonnant Bodjona est bien placé pour savoir qu'on ne gouverne pas innocemment.
En réalité, cet élargissement s'imposait, car le principal accusé, l'ancien patron d’Elf, Loik-Le Flock-Prigent, a été exfiltré vers la France pour, officiellement, des raisons médicales. Pouvait-on laisser Bodjona languir en prison ?
On peut voir également dans cette libération une main tendue du régime dans le sens de la décrispation.
Le Togo semble à la croisée des chemins au regard des derniers évènements :
- adoption de lois liberticides contre la presse ;
- arrestations d'opposants ;
- incendies des marchés de Lomé et de Kara ;
- législatives renvoyées aux calandres togolaises ;
- un CST qui reprend chaque jour du poil de la bête ;
- des grèves perlées.
Assurément ça sent le soufre dans l’ancienne «Suisse de l’Afrique», et on n'est pas loin de la situation des années 90, qui avait mis le pays sur répondeur. On n'en est pas encore là, mais toutes ces turbulences sociopolitiques grippent les projets du mandat de Faure, qui devra rendre compte au peuple togolais en 2015, terme de ce second bail à Lomé 2.
Et quand on écoute les propos de Bodjona, il n'est pas loin d'affirmer que Faure doit recadrer ses actions sous peine d'échouer. Et l'ex-mentor serait bien inspiré de prêter une oreille attentive à cet ancien collaborateur transi.
Même si c'est après la case prison que Bodjona trouve le chemin de Damas, il ne faut pas prendre à la légère le prêche de ce nouveau converti à la bonne gouvernance politique.