Dans le procès Chebeya, du nom de ce militant des droits de l’Homme assassiné en République démocratique du Congo (RDC) en 2010, l’heure est à l’attente du verdict de l’appel devant la Haute cour militaire. Le ministère public a confirmé son réquisitoire, à savoir la demande de condamnation à perpétuité des cinq policiers jugés. Ces derniers et leurs avocats, par contre, plaident la relaxe pour faute de preuves. Le verdict est attendu pour ce 17 septembre. Mais les carottes semblent déjà cuites pour ces policiers qui, visiblement, sont les moutons de sacrifice de John Numbi. En rappel, c’est suite à une convocation au siège de la Police que dirigeait le général John Numbi, que Floribert Chebeya et son chauffeur, Fidèle Bazana, ont été retrouvés morts. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, le général Numbi n’a jamais été inquiété par les autorités judiciaires dans cette affaire.
L’inculpation de John Numbi aurait permis de faire un peu plus de lumière sur ces assassinats
Numbi n’a même pas été cité comme témoin dans ce dossier. Pourtant, tout laisse penser que son inculpation aurait permis de faire un peu plus de lumière sur ces assassinats. Sa position de chef de la Police à l’époque laisse penser qu’il en sait des choses sur cette convocation des deux hommes et ce qui s’en est suivi : leurs cadavres seront retrouvés le 2 juin 2010. Visiblement, le procès des cinq policiers est celui des
lampistes. Et ceux qui pensent que le général Numbi est mêlé à cette sombre affaire, n’ont sans doute pas tort. Ce général est un des sécurocrates du régime Kabila. Difficile de croire que des éléments isolés de son service aient pu convoquer et exécuter un si célèbre militant des droits de l’Homme sans qu’il en sache quoi que ce soit. C’est une lapalissade de dire que les activistes des droits de l’Homme sont la mauvaise conscience des dictateurs. Pour cela, ils sont détestés par ces pouvoirs publics qui font tout pour les réduire au silence.
Floribert Chebeya a donc été assassiné parce qu’il gênait. Son chauffeur, lui, a certainement eu la malchance de se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Ces assassinats sont venus allonger la longue liste des crimes de sang commis en RDC. N’eût été la pression exercée sur le régime Kabila, ces morts allaient, comme dans bien des cas, être passés par pertes et profits. C’est la mort dans l’âme donc que les autorités de la RDC se sont résolues à organiser ce qui ressemble vraiment à un simulacre de procès. Seuls sont touchés les alevins. Quant aux capitaines, ils continuent de nager tranquillement dans les eaux saumâtres de l’impunité. Si une autorité sécuritaire est protégée au point qu’on ne puisse même pas l’écouter comme témoin, il y a problème. On ne peut pas s’empêcher de croire que cette autorité est protégée au plus haut sommet de l’Etat et que son silence profite aux puissants du moment. John Numbi serait-il le nègre de Kabila ? Ce n’est pas exclu. En tout cas, tout laisse penser que ce général détient des secrets d’Etat, des informations qui font qu’il vaut mieux, pour les autorités congolaises, le soustraire des griffes de la justice.
Kabila a échoué à pacifier le pays
Cette situation n’est pas surprenante quand on sait que Joseph Kabila, en bon dictateur, ne lésine sur aucun moyen pour se maintenir au pouvoir. Sous son règne, le pays a perpétué sa tradition de violation quasi-systématique des droits de l’Homme. Les auteurs de ces exactions le faisant dans l’impunité quasi totale. Il faut espérer que la procédure ouverte au Sénégal contre l’un des suspects dans l’affaire Chebeya, le major Paul Milambwe en cavale, et qui s’est constitué prisonnier au pays de Senghor, apporte plus de lumière sur les tenants et les aboutissants de ces crimes. En tout état de cause, le refus de faire comparaître le général Numbi a des airs de déni de justice.
Face à des dirigeants qui n’ont aucun égard pour les droits de l’Homme et la justice, seule la pression peut faire bouger les lignes. Il faudra donc continuer d’acculer le régime Kabila. Lui qui n’est préoccupé que par la conservation de son pouvoir. Il n’hésite d’ailleurs pas à faire réviser les règles du jeu à son avantage, comme le fait d’avoir ramené la présidentielle à un seul tour, en début 2011, instruit par l’échec de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Pas de second tour, pas de risque donc pour lui de se faire battre. Les opposants de tout bord et la communauté internationale doivent donc maintenir la pression sur Kabila. La politique étant le domaine de tous les possibles, il n’est pas exclu qu’il finisse par sacrifier Numbi, en échange de sa propre survie politique.
Les attaques de groupes armés qui continuent de faire des victimes dans le pays, prouvent que Kabila a échoué à pacifier le pays. On le voit avec le cas des six soldats qui viennent d’être tués dans une embuscade au Nord-Kivu. Certes, les choses se sont améliorées quelque peu, mais il faudra « rendre à César ce qui est à César ». Cette accalmie, la RDC la doit beaucoup plus à la Mission des Nations unies (MONUSCO). C’est cette mission qui a dû, aux côtés des forces armées de la RDC, bander les muscles face aux rebelles, ceux du M23 notamment, pour les mettre en échec. Malheureusement, pendant que la MONUSCO construit la paix, Kabila et son régime la déconstruisent du fait de leur gouvernance exécrable. Les Nations unies seraient bien inspirées de taper du point sur la table face à ce genre de dirigeants prompts à crier à l’aide mais qui, une fois passé le vent du boulet, renouent avec leurs turpitudes.
« Le Pays »