Les armes autorisées font souvent couler plus d’encre que de sang. A peines tues, les salves du peloton qui viennent d’exécuter dix membres présumés de Boko Haram, samedi 29 août dans l’anonymat d’une plaine au nord de N’Djamena, suscitent l’indignation des associations de défense des droits de l’homme. Condamnés la veille au terme d’un procès expéditif d’à peine trois jours, la plupart de ces adeptes de la secte islamiste sont accusés d’avoir participé aux attentats qui ont, le 15 juin dernier, ensanglanté l’école de police et le commissariat de la capitale tchadienne.
Cette mise à mort est « un avertissement aux extrémistes qui trouveront, quoi qu'ils fassent, les autorités sur leur chemin », a mis en garde le nouveau ministre de la Sécurité publique, Ahmat Mahamat Bachir. La première sentence officiellement prononcée à l’encontre des combattants de l’organisation « Etat islamique en Afrique de l’Ouest » a donc valeur d’exemple. Mais aussi d’expiation : depuis 2013, le Tchad paye au prix fort son engagement contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, avec une cinquantaine de soldats tués au Mali, 75 au Nigéria, et près de 67 morts et 200 blessés dans les massacres de N’Djamena de juin et juillet derniers.
Cependant, si la fin poursuivie par le régime de fer du président Idriss Déby Itno doit évidemment faire l’objet d’un unanime soutien, les moyens qu’il y emploie interrogent. Alors que le pays envisageait l’abolition de la peine capitale, ces exécutions sommaires ne constituent-elles pas une forme de retour en arrière? De même, offrir à ces jeunes djihadistes l’opportunité de « mourir en martyr » sous des balles qu’ils considèrent impies, n’est-ce pas renforcer leur pernicieuse rhétorique?
Etant donné les nombreuses menaces qui pèsent sur N’Djamena, un long procès et une détention à perpétuité semblaient plus que risqués. Mais sur le long terme, nos Etats ouest-africains pourraient s’inspirer des solutions expérimentées ailleurs pour lutter contre la radicalisation. En Arabie Saoudite par exemple, les djihadistes arrêtés sont incarcérés dans des prisons où des oulémas reconnus leur enseignent une version plus modérée de l’Islam, et où ils peuvent suivre des cours d’informatique, de sport ou de langues. Certains retombent dans leurs travers à la sortie, mais la plupart retrouvent une vie normale.
Le Danemark a également mis en place une politique efficace de lutte contre les départs de ses ressortissants pour l’Irak et la Syrie. Ce petit royaume, qui fournit le deuxième contingent européen parmi les combattants de «Daech», considère ses sujets radicalisés comme des victimes plus que des coupables, leur assurant un suivi médical et psychologique qui leur permet de se réinsérer socialement. Là encore, les résultats semblent probants et le recrutement en net recul.
Certes, les contextes sont différents. Mais les balles ne sont définitivement pas l’unique rempart pour arrêter nos enfants égarés.
Thibault Bluy