Le Conseil constitutionnel, suite aux recours qui ont été introduits devant lui, a invalidé les candidatures aux législatives de plusieurs bonzes du CDP et plusieurs de leurs alliés, le mardi 25 août dernier. Comment les acteurs politiques, de la société civile et les citoyens apprécient-ils cette décision du Conseil constitutionnel ? Pour le savoir, nous avons réalisé un micro-trottoir, le mercredi 26 août 2015, à Ouagadougou.
El hadj Omar Tapsoba : « Chacun doit mettre un peu d’eau dans son vin pour que la paix et la stabilité règnent dans notre pays »
« Le droit a été dit. Une fois encore, la démocratie burkinabè est en train de prendre des galons et nous tirons notre chapeau au Conseil constitutionnel. Les personnes qui ont été recalées doivent avoir un esprit démocratique et reconnaitre que c’est le droit qui a été dit. Pour la paix sociale et pour l’intérêt de tous les Burkinabè, et vu l’engagement pris par les parties prenantes la dernière fois, chacun doit mettre un peu d’eau dans son vin pour que la paix et la stabilité règnent dans notre pays. Vous savez que tout est parti de l’insurrection.Si le Conseil constitutionneln’avait pas invalidé ces candidatures, nous aurions dit haut et fort que l’insurrection a été confisquée et que nos martyrs sont morts pour rien. Nous pensons que nos martyrs peuvent se reposer en paix. Par ailleurs, nous appelons à la grandeur d’esprit de chacun pour que la paix règne dans notre pays.Que chacun accepte avec fair-play ce verdict du Conseil constitutionnel. On n’a pas suspendu les partis. Donc, les personnes écartées ont la possibilité de se faire remplacer. Pour l’intérêt supérieur de la Nation, elles doivent accepter ce verdict afin que le Burkina réponde « au plus rien ne sera comme avant ». Ceux qui menacent doivent faire preuve de maturité et se dire que les discours va-t-en guerre ne mènent nulle part, sauf au chaos. Et s’ils sont réellement des patriotes qui aiment leur pays, ils doivent éviter ce genre de langages, car nul n’est au-dessus de la loi ».
Frédéric Zoungrana : « La décision a une connotation politique»
Nous voyons que c’est une décision à la fois politique et juridique. Elle est juridique dans le sens où le juge constitutionnel a dit le droit et la loi a été appliquée. Nous disons cela parce que notre mouvement s’est opposé à l’exclusion sous le volet du Code électoral. Le code électoral a été plus ou moins contesté et un recours a été déposé par les parties prenantes au niveau du juge communautaire de la CEDEAO. La CEDEAO avait souhaité que l’Etat burkinabè lève tous les obstacles pouvant empêcher un citoyen burkinabè de participer aux élections. Les autorités de la Transition devraient prendre des mesures afin que la disposition du Code électoral puisse être abrogée. Ce qui n’a pas été fait et le code électoral est resté en l’état. Donc le juge constitutionnel n’a fait qu’appliquer ce Code électoral au regard du recours qui a retenu son attention, notamment le recours du requérant en question. C’est la raison pour laquelle nous disons que le droit a été dit et que la loi a été appliquée dans toute sa rigueur. Mais, sur le plan politique, nous voyons que par rapport àla liste que le requérant a déposée, qui a fondé son recours, il y a matière à apprécier du point de vue de la subjectivité. Si nous allons nous appuyer sur le Code électoral, cette liste ne saura être exhaustive. Nous nous demandons si le juge constitutionnel a motivé ces invalidations sur la base du requérant ou bien sur la base de l’ensemble des listes qui ont été déposées. La décision a une connotation politique et cela pourrait susciter des remous au sein de la classe politique. Malgré qu’il n’y ait aucun recours face à cette décision, nous pensons que s’il y a eu les 30 et 31 octobre, c’est dû à cette loi. Nous craignons que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cette accalmie peut être mise à mal, parce que, du moment où il y a des déclarations précédentes de la part de l’ex-majorité qui dit clairement « pas d’inclusion, pas d’élection ». C’est pour cela que nous craignons pour les jours à venir.
Aziz Sana : « Ils pourront revenir dans 5 ans à des postes électifs »
« Je me réjouis que le droit ait été dit sans influence aucune. En tant que promoteur de démocratie, je prends acte. Je me réjouis également que le Conseil constitutionnel ait motivé sa décision. Cela permettra à la Communauté internationale, mais surtout au peuple burkinabè de comprendre les raisons avancées pour prendre cette décision. Depuis quelque temps, il y avait une discussion farouche sur l’article 135 du Code électoral qui disait que tous ceux qui ont soutenu la tentative de modification de l’article 37 de la Constitution ne devaient pas prendre part aux échéances électorales. L’opinion était aussi divisée quant aux effets de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO sur cette disposition. Dans la requête du Conseil constitutionnel, les juges ont relevé que la CEDEAO ne voulait pas d’une application massive. Tant que les dispositions querellées du Code électoral ne sont pas relues, elles restent en vigueur. Je dis à ceux dont les candidatures n’ont pas été acceptées d’être des républicains, des légalistes. Ils doivent penser à la paix et à la prospérité du peuple burkinabè et s’aligner dans la logique de l’Etat de droit. La vie ne s’arrête pas là. Ils pourront revenir dans cinq ans à des postes électifs. en 2020, ils pourront prendre part aux échéances électorales. »
Hervé Ouattara : «Tous les Burkinabè, quel que soit leur bord politique, sont obligés de respecter cette décision»
« Cette décision vient mettre fin à une cacophonie. Je voudrais féliciter le Conseil constitutionnel. C’est la décision la plus indiquée. Depuis un certain temps, les gens étaient divisés sur la décision de la CEDEAO. Je pense que c’est la juridiction la plus compétente pour dire le droit qui l’a fait. Tous les Burkinabè, quel que soit leur bord politique, sont obligés de respecter cette décision pour l’harmonie au sein du Burkina Faso. Le CAR est une structure qui prône la paix. C’est pourquoi je pense que ceux qui sont exclus doivent comprendre qu’à un moment donné, il y a eu des décisions de justice qui étaient en leur faveur. Aujourd’hui, c’est à leur tour de respecter la décision du Conseil constitutionnel. Pour notre part, nous considérons que tous ceux qui voudront perturber la tenue des élections en octobre prochain, ne veulent pas la paix au Burkina Faso. Et le comble, nous ne nous voulons véritablement pas être là, passifs pour qu’on vienne tuer nos militants dans leurs maisons. C’est dire que nous serons véritablement prêts à réagir si on nous oblige à être sur le terrain.
Il ne sera pas question de ‘’est-ce qu’on accepte ou est-ce qu’on n’accepte pas’’. Le droit a été dit et ça s’arrête là! Cela a été tranché. Il y a une catégorie de personnes qui ne prendront pas part aux élections prochaines. Si ce sont des Burkinabè qui respectent les lois républicaines, ils doivent s’en remettre à la décision du Conseil constitutionnel. Dans le cas contraire, je crois qu’il est du devoir de tous les Burkinabè de se défendre. »
Ali Badra Ouédraogo : « L’inclusion ne veut pas dire que nous fassions fi du respect de notre Constitution »
« Je voudrais, avant tout, me réjouir du fait que nous nous inscrivons résolument dans la marche vers l’idéal démocratique et de droit que nous souhaitons pour le Burkina. La lecture que nous avons du verdict du Conseil constitutionnel est la suivante : ce n’est pas la victoire de l’une ou l’autre partie. C’est tout simplement le droit qui a triomphé. C’est pour cela que je pense que tous ceux qui ont été frappés injustement par ce verdict, ou tous ceux qui pensent qu’ils peuvent jubiler suite à ce verdict, doivent avoir de la modestie. En tout état de cause, il y a un principe élémentaire en droit qui nous enseigne que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Et quand on considère le fond et la forme, la décision du Conseil constitutionnel tient lieu et nous pensons que c’est le droit qui a été dit. C’est l’occasion de saluer ce travail d’indépendance d’esprit des sages du Conseil constitutionnel. Il faut simplement souhaiter que l’esprit des Burkinabè s’apaise, qu’ils fassent confiance à nos institutions et travaillent afin que la paix dans notre pays ne soit jamais perturbée et que nous puissions travailler en tant que fils et filles d’une même Nation. Aussi, le motif de l’inclusion ne doit pas être une panacée. L’inclusion ne veut pas dire que nous fassions fi du respect de notre Constitution. Le Conseil constitutionnel est une émanation de la Constitution et la Constitution est une émanation du peuple souverain. C’est lui qui a consacré ce droit au Conseil constitutionnel de pouvoir trancher en dernier ressort en ce qui concerne les contentieux électoraux. C’est ce que le Conseil constitutionnel vient de faire en se basant sur des éléments de droit. Cette inclusion prend appui sur les textes existant au Burkina Faso. A l’époque, nous étions du CDP et c’est nous qui avons mis le CRAC sur les fonts baptismaux. Il était possible de pallier ce problème en mettant au devant des personnes qui jouissent d’une virginité politique et qui pourraient aller à l’assaut électoral et rendre éligible le candidat. Aujourd’hui, nous voyons le résultat. C’est déplorable mais c’est le droit qui s’est exprimé. Nous, en tant que légalistes républicains, nous nous y conformons ».
Marcel Tankoano : « Le CDP doit donc faire profil bas et se remettre en cause »
« Nous nous réjouissons d’abord de cette mesure émanant du Conseil constitutionnel. Nous étions les tout premiers, il y a de cela trois à quatre mois, à faire une conférence de presse pendant laquelle nous avions dit ceci : « Il y a des gens qu’il faut sanctionner. Il faut les interdire, les enlever et les refuser aux élections prochaines. » A l’époque, nous avions pointé du doigt les membres du gouvernement Luc Adolphe Tiao. Nous avions également parlé du CDP et nous avions fait état de la période d’activité politique à partir de laquelle on peut considérer qu’une telle personne ou telle autre est passible d’inéligibilité. La durée variait beaucoup, allant de 5 à 30 ans et plus. A l’époque, nous avions même exclu définitivement de la vie politique nationale des personnes comme François et Blaise Compaoré. Le Conseil constitutionnel est donc en droite ligne de la vision et des souhaits du M21. Les personnes sanctionnées aujourd’hui se sont entêtées pour vouloir modifier la Constitution du Burkina Faso. Le code électoral est pourtant très précis et clair. Il est dit que toutes les personnes ayant appartenu au dernier gouvernement de Blaise Compaoré, qu’il s’agisse aussi bien de l’Exécutif que du Législatif, sont automatiquement frappées d’inéligibilité sans condition. Nous en sommes très fiers et nous allons suivre le reste comme de l’huile sur le feu. De toutes les façons, cette décision est irrévocable et sans appel.Le CDP doit donc faire profil bas et se remettre en cause. La jeunesse a pris ses responsabilités à travers cette insurrection qu’elle a orchestrée. Et nous pensons que le Conseil constitutionnel a su ce que l’insurrection a voulu véhiculer comme message. Quand on me parle d’inclusion, cela me fait mal au cœur. Je connais des Burkinabè qui ont quitté ce pays à cause du CDP et qui n’y sont plus revenus. Le CDP a exclu des personnes. On n’a pas sanctionné le parti. Ce sont des individus qui ont été sanctionnés. Ce sont les comportements de ces personnes qui sont condamnés aujourd’hui »
Ousmane Danfodio Diallo : « Accepter de se soumettre à cette décision est une forme de liberté »
« Je pense que pour le bien de notre organisation sociale, nous devons accepter la sage décision du Conseil constitutionnel. Cette décision doit s’imposer à tous les participants au contrat de ‘’vivre-ensemble’’ qui nous unit. Je souhaite que ceux qui sont exclus acceptent cette décision comme étant des choses qui arrivent diversement et nécessairement. Accepter de se soumettre à cette décision est une forme de liberté. Accepter ne veut pas dire ne pas avoir une position contraire car, pour ma part, je suis contre tout ce qui peut diviser les citoyens d’un même peuple. J’aurai aimé avoir plusieurs Nelson Mandela dans notre pays. Ayant fait 27 ans de prison, ayant subi tous les torts de l’apartheid, il finit par accepter de réconcilier les Noirs et les Blancs, l’essentiel étant la Nation sud-africaine. Je souhaite que nous puissions, à la fin des élections, avoir un président qui puisse porter tous les Burkinabè dans son cœur, qui puisse traiter chaque Burkinabè comme il aimerait être traité lui-même. Je suis pour l’unité, mais dans la diversité des opinions. Mais, dans ce présent, chacun doit faire tout ce qui est possible au nom de notre vivre-ensemble, pour la paix1
Propos recueillis par R.O, N.L, R.B