Au lendemain de la décision du Conseil Constitutionnel d’invalider certaines candidatures aux élections législatives d’octobre prochain, une conférence de presse s’est tenue mercredi au siège ouagalais du CDP, principale formation concernée. Dans une ambiance électrique, le parti du président déchu, Blaise Compaoré, et les autres exclus, membres de l’ex-majorité à l’exception de l’ADF/RDA, ont rejeté l’avis des Sages et appelé à une désobéissance civile non-violente.
« Il fait chaud, au sens propre comme au sens figuré! » Sous un ciel menaçant, les journalistes ne se privent pas d’un bon mot en attendant les annonces orageuses de l’ex-parti au pouvoir. Tandis que les correspondants de presse étrangers spéculent sur l’état de santé de l’ancien président, les militants, quelques centaines massés dans une cour envahie par les motos, grognent contre la décision du Conseil des Sages d’exclure leurs candidats des législatives d’octobre.
« C’est un arbitrage politique! » s’emporte Cheikh Omar, silhouette grande et forte moulée dans un t-shirt aux couleurs du Faso. « Je suis mécontent et en colère. J’attends avec impatience les consignes du président », poursuit le jeune loueur de voitures, « encarté depuis l’époque même de l’ODP ». Un peu plus loin, un autre partisan appelle à « respecter la loi du plus fort, c’est-à-dire l’avis de la CEDEAO ».
« Sans mentir, ça nous dépasse! », s’exclame le jeune homme, désabusé. « On s’y attendait », tempère quant à lui Siaka, tranquillement assis à l’ombre d’un palmier. Sous le grand hangar qui doit abriter les échanges, un groupe de jeunes militants devisent et s’assurent que leurs voisins de journalistes les entendent: «Nous ne sommes pas ici pour les messages pacifiques, on en a marre d’être pacifistes. Si le mot d’ordre n’est pas de manifester, on casse tout ici avant de sortir continuer». Un autre s’interroge sur l’opportunité de tenir ce face-à-la presse : «Pourquoi une conférence de presse ? Les journalistes ne sont pas avec nous, ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas».
Chemise « Faso Danfani » mauve recouvrant ses larges épaules, l’homme à la barbe de trois jours dénonce une « injustice » récurrente depuis le début de la transition. Soudain, à quelques mètres, une vive clameur se fait entendre. Eddie Komboïgo, accompagné de quelques leaders des autres partis mis au ban par le Conseil Constitutionnel, vient de sortir du bureau dans lequel ils s’étaient enfermés. Siaka se lève tranquillement pour les saluer, mais se rasseoit bien vite : la sono n’est visiblement pas prête et les dirigeants rejoignent leur retranchement. « Ce n’est pas grave, je préfère qu’ils peaufinent leurs éléments de langage », assure notre imperturbable activiste.
« Nous tenons le Conseil Constitutionnel et les autorités de la transition pour responsables »
Avec près d’une heure et demie de retard sur l’horaire annoncé, les orateurs regagnent de nouveau la tribune. Le maître de cérémonie prend le premier la parole, en mooré, pour inviter les militants à la retenue dans leurs invectives, notamment à l’égard des journalistes. Puis tout le monde se lève pour entonner successivement l’hymne national et le chant du CDP, les bras en l’air et les doigts dessinant le « V » de la victoire.
Galvanisé par cette mise en scène, Eddie Komboïgo, le président du parti, ses lunettes aux fines montures d’or parfaitement ajustées, débute en qualifiant cette conférence « d’historique », avant de rapidement céder le micro à Achille Tapsoba, premier vice-président. Couvrant de sa voix l’appel grésillant du muezzin sortant des haut-parleurs de la mosquée attenante, le numéro 2 du parti égrène un à un les arguments juridiques qui fondent son rejet de la décision de la juridiction suprême.
« Nous estimons que cette décision porte en elle-même les germes de la division des fils d’un même pays et, pire, les prédisposent à l’affrontement. C’est pourquoi nous tenons pour responsables le Conseil Constitutionnel et les autorités de la transition de toute situation qui pourrait en résulter », prévient l’ex-député CDP.
Il menace de boycotter les prochains scrutins si les « membres exclus ne sont pas réintégrés », et en appelle aux chefs d’Etat de la CEDEAO pour « faire respecter la décision de la Haute Cour de Justice de la CEDEAO ». Avant de conclure, sous les hourras des sympathisants : « Nous appelons nos militants, de même que tous les défenseurs de la démocratie, sur toute l’étendue du territoire, à entreprendre toute action entrant dans le sens de la désobéissance civile. »
« On est prêts à se sacrifier, à casser des urnes! »
L’avocat des partis concernés revient en détail sur les fondements juridiques de leur défense, avant de laisser les représentants des médias soumettre plusieurs salves de questions -sous les quolibets plus ou moins fournis de l’assistance (voir encadrés). La conclusion revient au président du CDP, qui se déclare conscient des risques encourus, et appelle à « ne pas violenter les personnes ni détruire quoi que ce soit ». « Notre démarche a toujours été d’appeler les militants à la tempérance et à la modération », assure Eddie Komboïgo.
Si cette dernière parole est commentée par quelques-uns comme « vraiment professionnelle », elle ne semble pas du goût des éléments les plus agités, qui interpellent leur chef à son passage dans la cour. « Nous on n’est pas d’accord! » « On est prêts à se sacrifier, à casser des urnes! » « Seule la lutte libère! ». Le leader s’arrête pour sermonner l’un d’entre eux, visiblement virulent à l’endroit d’un journaliste, avant de poursuivre son chemin.
Au CDP, il semble bien que l’orage se prépare. Au sens propre comme au sens figuré.
Arnaud Ouédraogo
Thibault Bluy
Akodia Ezékiel Ada (stagiaires)
Adama Sanou
et Ingrid Lynda Sarah Kaboré