L’échéance des 11es Jeux africains est proche et c’est la veillée d’arme dans les différentes structures sportives burkinabè qui prendront part à cette compétition qui aura lieu à Brazzaville au Congo du 4 au 19 septembre 2015 . A noter que ces jeux ont vu le jour en 1965, soit il y a 50 ans. Nous avons, pour ce faire, rencontré pour vous, un athlète de notre pays, en l’occurrence, SE Jean-Baptiste Ilboudo qui a pris part à ces premiers jeux en tant que joueur de basket-ball. Il nous parle ici de l’état d’esprit qui les animait en tant qu’ambassadeurs d’une nation et nous fait revivre leur expérience. Il procure également des conseils aux athlètes qui seront à ces jeux 2015, 50 ans après eux.
Excellence, quel souvenir avez-vous des premiers Jeux africains auxquels vous avez pris part ?
Merci de me donner l’occasion de me remémorer cet évènement sportif majeur. Il faut dire qu’avant l’échéance de Brazzaville, il y a eu les éliminatoires par zone. A l’époque, la Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso était dans la zone 3. Au basket-ball où j’évoluais, nous avions pu nous qualifier de même que les footballeurs et des athlètes qui avaient pu obtenir les minima. C’est suite aux éliminatoires de décembre 1964 à Lagos que les Etalons basketteurs se sont qualifiés pour les jeux de Brazzaville. Pour ce qui est de l’évènement lui-même, il n’était pas donné à tout le monde de représenter son pays. C’est donc avec fierté que nous étions à ces jeux où nous faisions partie des plus jeunes. Défiler aux couleurs de notre pays (noir, blanc rouge) aux côtés d’autres nations étaient véritablement un honneur. Ces jeux intervenaient seulement après cinq ans des indépendances, en 1965. Les Africains, à travers le sport, se découvraient et partageaient un même idéal que seul fournit le sport. Les compétitions se sont bien déroulées même si, me renvoyant à cette époque, il se passait politiquement des troubles. L’inconscience des jeunes que nous étions ne nous a tout de même pas permis de perdre de vue, l’insurrection de rebelles dans le pays en son temps. Ils avaient semble-t-il, entrepris une tentative de déstabilisation des jeux. Ce que je retiens aussi c’est la discipline, l’abnégation, l’humilité avec lequel nous avions participé au nom de notre pays à ces jeux. Il n’y avait pas beaucoup de moyens, mais nous avions fait de notre mieux pour représenter dignement notre pays. Le basket-ball s’est classé 4e et c’est de très près que nous avons manqué la médaille de bronze.
Quels sont les pays que vous aviez éliminés pour vous qualifier ?
Dans la zone 3 nous avions le Togo, le Bénin, le Niger, le Nigéria et la Haute-Volta. Lagos a été le test de notre capacité à vaincre. Avant ces éliminatoires nous avions eu des matchs amicaux avec la Côte d’Ivoire, la Mali, le Cameroun.
Avez-vous souvenance du nombre de disciplines que la Haute-Volta a présentées aux jeux à l’époque ?
Autant que je puisse me souvenir, il y avait le cyclisme, l’athlétisme, le basket-ball, la boxe, le football et le judo.
Aviez-vous pu remporter des médailles à ces jeux ?
Le palmarès était moins élogieux comparativement aux Jeux de l’amitié de Dakar. On aurait dû commencer par là. Les Jeux africains sont l’aboutissement d’une série de rencontres ; entre autres, c’est à l’issue des jeux de la colonie en 1959 (entre la France et ses anciennes colonies) à Madagascar, suivis des premiers Jeux de l’amitié en 1961 à Abidjan. C’était là, particulièrement ma première sortie internationale. Il y a eu à la suite, les deuxièmes jeux de l’amitié à Dakar en 1963. C’est après toutes ces rencontres que les instances sportives africaines avaient estimé qu’il fallait décloisonner la pratique du sport et que l’Afrique indépendante devait à l’instar des Jeux du Common Wealth ou des Jeux de l’amitié, se retrouver en toute plénitude. C’est ainsi que le Congo Brazzaville a été désigné pour abriter les premiers jeux. Comme palmarès, en boxe nous avons eu deux médailles de bronze, au judo nous avons aussi été distingués d’une médaille de bronze. Mais les sports collectifs n’ont pas obtenu de médaille, ni au football, ni en basket-ball.
Quels sont les pays qui ont pris part aux premiers jeux ?
Tous les pays africains indépendants en 1963 ont pris part aux jeux. Souvenez-vous que des pays comme la Guinée-Bissau, la Namibie, le Mozambique, le Zimbabwe n’étaient pas indépendants. Ils n’y étaient donc pas.
Rappelez-nous les pays qui ont su tirer leurs épingles de ces premiers jeux ?
L’Egypte était un grand pays en matière de sport, tant dans les sports de main que les sports de combat ou le football. De façon générale, les pays maghrébins se sont bien illustrés. A côté, il y avait aussi des nations comme le Cameroun, le Congo ou le Mali en football. Je pense que le Mali a même été finaliste de cette compétition. Vous aviez d’autres pays anglophones notamment la Zambie, le Malawi qui étaient très forts en natation et en boxe. Les Africains se découvraient donc et s’appréciaient à travers ces regroupements sportifs. Sans cela, chacun serait cloisonné dans son aire géographique. Les Jeux africains sont l’étape avant les Jeux olympiques pour les Africains. Ils cultivent l’esprit de compétition qui n’est pas la guerre. Chaque pays arrive à mesurer sa position par rapport aux autres. A chaque édition, les nations mesurent leurs progrès à travers les performances de leurs athlètes.
Si vous aviez pu vous qualifier pour les premiers jeux, cela voudrait dire que la Haute-Volta disposait d’une bonne équipe de basket-ball. Comment expliquez-vous le fait qu’on n’ait pas su garder ce dynamisme aujourd’hui ?
Quand on voit le niveau de notre basket aujourd’hui, c’est assez paradoxal que depuis 50 ans on n’ait pas pu se coller au peloton des meilleurs. Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Vous savez, il y a des disciplines qui ont besoin d’infrastructures particulières. Voyez la différence qu’il y a aujourd’hui au Faso de l’existence d’un palais des sports où on peut pratiquer dans les meilleures conditions les sports de main comme le basket, le volley, le handball etc. A l’époque nous avions l’habitude de jouer en plein air, sur des terrains en ciment ou en goudron mal fini. Les conditions de pratique du sport étaient rudimentaires. Il nous était difficile d’avoir des ballons, n’en parlons pas des chaussures. L’évolution des infrastructures nous a quelque peu lésés. Au-delà de cela, il est qu’au Faso, la discipline majeure est restée longtemps le football. Les autres sports de compétition étaient quasiment délaissés. Les sports de main ont même été qualifiés de sports mineurs, pendant ce temps, les autres pays évoluaient. Vous savez, nous faisions jeu égal avec la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est qualifiée pour le championnat africain, nous n’y sommes pas. Nous battions le Mali. Ce pays est aussi au championnat du continent. Nous avons battu la première équipe du Nigéria pour nous qualifier aux premiers Jeux africains. Les joueurs nigérians n’ont pas pu inscrire 10 points à l’époque. Aujourd’hui ce pays a des représentants au NBA, à Tunis etc. Je suis désolé, mais nous sommes en retard. On ne comprend pas qu’on ait pu nous qualifier aux premiers jeux, il y a 50 ans et que par la suite on ne peut plus participer à des compétitions majeures.
Est-ce que vous vous rappelez certains de vos coéquipiers de l’équipe nationale de l’époque ?
Bien sûr. Vous savez, les équipes sportives au haut niveau, c’est une deuxième famille. Permettez-moi d’évoquer la mémoire de ceux qui ne sont plus avec nous. Il y a André Daboué, Jean-Baptiste Traoré, Dieudonné Tapsoba dit l’épervier noir, Guiana Diao, Valentin Ouédraogo dit Lancelo, et j’en oublie. Parmi ceux qui vivent encore il y a François Wédouda, Jean Marie Sana et notre coach Jean Guigma.
Que gagnait un athlète de Haute-Volta qui prenait part aux Jeux africains ?
A Brazzaville, nous avions eu chacun 10 000 F CFA. La première tranche de 5000 F nous a été donnée deux ou trois jours après le début des jeux et le reste avant le retour. A Abidjan en 1961 aux premiers Jeux de l’amitié nous avions eu chacun 5000 de même qu’à Dakar en 1963. Nous, nous étions des scolaires mais on était traité égalitairement avec les travailleurs qui étaient avec nous. A Brazzaville, notre prime nous a permis de revenir au pays avec des 45 tours de l’orchestre les « Bantous de la capitale». C’étaient nos trophées à l’époque.
Quel état d’esprit un athlète doit avoir pour aborder les Jeux africains ?
On ne peut pas tricher à ce niveau. Il faut être préparé physiquement, tactiquement et mentalement. Les substances illicites comme les produits prohibés en matière de pratique sportive sont à bannir. De toute façon, le contrôle aujourd’hui permet de déceler vite ces tricheries. Ce qui importe, c’est l’état d’esprit, la préparation et un certain patriotisme. Quand vous entendez toutes les récriminations, les faits divers entre les sportifs et les dirigeants pour des primes non payées, dissimulées ou détournées, tout cela constitue des nuisances pour une bonne représentation d’une nation à ce rendez-vous. Ce ne sont pas seulement les athlètes que l’on doit voir, mais toute la nation qui accompagne ses représentants. Si vous voulez rivaliser avec les plus forts, il faut mettre les moyens et avec beaucoup de sérieux.
Pensez-vous que le Burkina Faso à des chances de ramener des lauriers de ces jeux ?
C’est possible, bien sûr. Les athlètes ont les minima, les sports collectifs ont également leur chance. Mais, j’estime que les handballeurs y vont pour apprendre. Quand vous voyez les gabarits chez les autres, il faut être réaliste. En matière de sport il faut être au top. Ils pourraient cependant se battre pour être honorablement classés.
Avez-vous un message à l’endroit des athlètes ?
Je voudrais encourager nos représentants à ces jeux. Je sais la fierté qu’ils ont à défendre les couleurs du pays. J’ai foi qu’ils seront de dignes représentants du Faso, qu’ils peuvent être des exemples pour demain et que leurs témoignages pourraient aussi intéresser les jeunes générations afin de perpétuer le sport national. Je leur souhaite plein succès à Brazzaville et qu’ils nous viennent chargés de distinctions. Bonne chance aux athlètes burkinabè au cinquantenaire des Jeux africains.
Interview réalisée par :
B. Léopold YE