Les journées des 18 et 19 août 2015 ont été particulièrement chaudes à Orodara. Les transporteurs burkinabè, mécontents des tracasseries routières qu’ils subissent de la part des forces de sécurité malienne dans le corridor Bobo-Dioulasso-Bamako via Sikasso, ont bloqué la route nationale n°8 (RN8) menant à la frontière du Mali. Retour sur cet événement.
Le mardi 18 août 2015, l’atmosphère était tendue sur la RN8. Visiblement, cette voie était devenue un véritable parc automobile. Des barrières de pneus par-ci, des véhicules stationnés par-là, et la RN8 était bondée de monde. La foule en colère était composée majoritairement de jeunes et les injures fusaient de partout pour dénoncer les différentes formes de tracasseries subies par les transporteurs routiers sur cette voie. Les petits commerçants, notamment les vendeuses d’eau, de jus, de fruits, de gâteaux et de pains profitaient de la situation pour faire de bonnes affaires. En revanche, il était difficile de se frayer un passage, ni même de trouver un interlocuteur, afin de recueillir des témoignages. Finalement, nous sommes parvenus à avoir notre premier interlocuteur, Alassane Nibila, un commerçant. A l’en croire, ce sont les tracasseries routières qu’ils subissent au Mali qui sont à l’origine de ce mouvement. Tout près de lui, un jeune transporteur routier, Lassina Sanogo explique : « En vérité, les Maliens nous fatiguent trop sur la route. Même si tu as tous les papiers à jour, ils te disent de payer ». Les Burkinabè ne sont pas les seuls à subir les tracasseries routières au Mali. Selon les témoignages de certains transporteurs routiers de la sous-région, c’est le même sort qui leur est réservé. C’est ce qu’on retient des propos du jeune transporteur sénégalais, Aliou Diop. « On souffre trop au Mali que dans les autres pays», a-t-il dit. Le sujet est diversement apprécié par les routiers maliens. Pour sa part, Mamadou Coulibaly pense que le blocage de la RN8 est à saluer à sa juste valeur. Etant lui-même Malien, il a fustigé le comportement des forces de sécurité de son pays. Après ces premiers entretiens, nous avons mis le cap sur le QG des transporteurs routiers du Kénédougou.
Qu’en est-il exactement ?
Là-bas, nous avons trouvé une délégation de notables avec à sa tête le grand imam de Orodara, Mamadou Barro. Cette délégation est venue pour échanger avec les manifestants pour qu’ils lèvent leur mot d’ordre de grève et libèrent la voie. Malheureusement, les échanges n’ont pas abouti.
Selon le président de la section provinciale du syndicat des transporteurs routiers OTRAF, Seydou Traoré, il s’agit du blocage de deux camions burkinabè pendant 27 jours sur le territoire malien par les services des Eaux et forêts, notamment à Hèrèmakono. Les camions transportaient des amandes de Karité, et les forestiers auraient demandé à leurs propriétaires de payer 25 F CFA/ kg, soit 1 000 000 de F CFA par camion. Toute chose qui a entraîné ce mouvement d’humeur. Karim Barro, un commerçant de produits crus condamne avec fermeté les tracasseries subies sur le territoire malien. « La situation a trop duré. Ce que nous vivons au Mali est un véritable calvaire. Lorsqu’un Burkinabè paie ou rentre avec une marchandise au Mali, on lui fait payer une taxe. On nous fait payer des sommes colossales. Trop, c’est trop, il faut que cela cesse», dit-il. Du côté malien, c’est une autre version des faits qui est donnée. Selon des sources concordantes, les sommes réclamées par les forestiers seraient conformes à la loi malienne en matière d’exportation des produits forestiers non ligneux. Il s’agit du décret n°10-388/P-RM du 26 juillet 2010 fixant les taux des redevances perçues à l’occasion de l’exportation des produits forestiers dans le domaine forestier de l’Etat. Dans la section 5 dudit décret, il est question de la délivrance du permis de collecte de produits forestiers non ligneux destinés à l’exportation. L’article 12 de ce même décret fixe les taux des redevances proportionnelles perçues à l’occasion de la délivrance des produits forestiers non ligneux destinés à l’exportation. Au niveau des amandes, le prix du kg est fixé à 25 F CFA. Pour trouver une solution à cette crise, le haut-commissaire de la province du Kénédougou, Sayouba Sawadogo que nous avons rencontré dans l’après-midi du mercredi 19 août 2015, a déclaré avoir entrepris plusieurs démarches. «Quand nous avons reçu l’information, nous avons aussitôt organisé une rencontre avec les membres de la section pour leur expliquer les actions que nous avions menées avec les autorités maliennes, et surtout leur faire part des promesses que nous avons reçues de celles-ci. En principe, le lundi 17 août, les deux véhicules saisis au Mali devaient être libérés. Malheureusement, ce jour- là, le président de la République du Mali était en visite à Sikasso et nous n’avons pas pu faire avancer les choses. Après, quand nous leur avons donné l’information, ils ont cru à une mauvaise volonté de notre part et que peut-être même les véhicules ne seront pas libérés. Par conséquent, ils sont passés à l’action…». A en croire M. Sawadogo, les négociations vont bon train et l’espoir est tout de même permis, car les manifestants ont promis de libérer la voie en fin de journée. Le premier responsable de la province du Kénédougou s’est aussi appesanti sur l’implication personnelle du gouverneur de la région des Hauts-Bassins dans la gestion de cette crise, à travers des contacts avec des autorités maliennes. Prévue pour 72 heures, la grève des transporteurs routiers et commerçants du Kénédougou a été finalement levée dans la soirée du mercredi 19 août 2015. Aux dernières nouvelles, nous avons appris que les deux véhicules saisis au Mali ont été libérés.
Apollinaire KAM
AIB/Orodara