Evêque de l’Eglise catholique à la retraite bientôt cinq ans, Anselme Titianma Sanon nous a accordé une interview à Bobo-Dioulasso, 19 août 2015, dans le Centre culturel catholique Jean Paul II en construction sis à Yéguéré. Nous l’avons interpellé sur les questions de la santé de la reproduction et de la Planification familiale (PF). En «évêque de la famille» comme on l’appelait et prêt à collaborer avec tous ceux qui abordent les problèmes de société, il a livré la pensée de l’Eglise sur les questions de PF mais aussi sa propre vision car «nous ne sommes pas que des répétiteurs quand nous recevons un message humain fort, nous devons être capables de l’exprimer à travers notre humanité aussi», dit cet octogénaire né en Haute Côte d’Ivoire en septembre 1937.
Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que l’évêque émérite de Bobo-Dioulasso fait de sa retraite ?
Mgr Anselme Titianma Sanon (A.T.S.) : A mon dernier discours officiel à la cathédrale où j’ai officié pendant 36 ans, j’ai dit qu’enfin, je pourrai me consacrer à ce qui fait l’objet de ma vie, de ma préoccupation : la terre d’abord et la culture ensuite. Interroger la terre et elle répond si les conditions y sont. Je m’intéresse à la culture de la terre y compris les arts et la littérature qui permettent à l’esprit humain de s’exprimer raisonnablement et de communiquer parce que les idées concourent les unes les autres pour que l’humanité devienne plus consciente. Ce centre en construction sera un Centre culturel catholique Jean Paul II où il y aura ma propre bibliothèque et les manuscrits des étudiants que j’ai eus et continue d’accompagner. Ce sera un centre de repos physique et spirituel aussi où l’on pourra bien dormir, bien prier quand l’on veut, tout le temps que l’on veut. En me reposant, j’essaie de transmettre ce que j’ai à la jeune génération. Je le dis très modestement me référant à Picasso, qui disait : « plus je vais, plus je vois des choses à faire, et moins de temps pour le faire». J’interviens dans plusieurs secteurs, la Fondation Anselme Titianma Sanon pour la culture de la paix et de l’environnement, le Kafoli, une association au bénéfice des personnes âgées. Je suis aussi en train de réfléchir aux biosciences et à leur implication quotidienne.
S. : Parlons santé de la reproduction. Quelle est la position de l’Eglise catholique sur la planification familiale et les contraceptions?
A.T.S. : Vous abordez-là un problème de l’humanité. Quand on remonte aux peuples les plus anciens comme les Egyptiens, les Grecs, les Latins, les Malinkés, etc., on voit que dans la société, le problème de la santé familiale vient de façon récurrente. Autrefois, c’était la santé villageoise. Je vois des scènes qui continuent de se produire dans certains villages, tout le village est en émoi, les hommes se taisent, les femmes font des processions parce qu’une femme est morte en couche. Les traitements sont différents, il y en a qui pensent que c’est la faute de l’homme ou celle du bébé et d’autres se demandent qu’est-ce que la femme a fait pour mériter une telle sanction mortelle. Sans faire tout le parcours de l’histoire, on peut dire que ce sont des problèmes de droits humains naturels. Comment faut-il faire pour conjurer cela ?
Autrefois, nous parlions d’espacements de naissance, de régulation des naissances et de méthodes naturelles. Là-dessus, l’Eglise s’est exprimée pleinement pour la première fois en 1968. Le 25 juillet 1968, le Pape Paul VI a écrit un document sur «la vie humaine». Le lendemain, Monseigneur André Dupont, mon évêque et moi-même voyagions avec Air Afrique. Entre Abidjan et Cotonou, on nous a distribué des journaux et à la Une, on voit que le Pape s’est exprimé sur les méthodes de contraception. Il y eut un silence terrible et l’évêque m’a demandé : petit frère, quelle figure avons-nous au milieu de tout ce monde ? On disait : le Pape est contre la pilule, il est contre l’avortement. Ce texte a jeté beaucoup de troubles dans l’Eglise. Intellectuellement, c’était un clash et le Pape Paul VI s’en est expliqué. De même, avec les affaires du SIDA, les journalistes n’ont pas raté le Pape Benoît XVI à propos du condom lors de son premier voyage à Yaoundé.
La tension ne baissera jamais entre la position de l’Eglise catholique et la pensée du monde. La position de l’Eglise est claire comme celle de toute société humaine naturelle : la vie est sacrée. Le mariage est fondé en vue de la vie et vise à mettre des enfants au monde, au moins un, et, en faire un citoyen de la terre, et un citoyen du ciel selon Saint Augustin. Par conséquent, tout ce qui est fait pour éliminer une vie est un assassinat. Mais souvent, la société doit soutenir celles qui sont dans les situations difficiles. Dans certaines familles, une fois que la fille est enceinte, on la chasse de la maison. Une fois, il m’est arrivé de dire : vous l’avez chassée, elle va venir chez moi, et les gens étaient étonnés. Saint Vincent de Paul qui a lancé beaucoup d’œuvres sociales au XVIIe siècle a ramené un jour deux enfants abandonnés, en disant à des grandes dames de la société : «prenez, je vous les amène ». Elles ont répondu : «Eh, ce sont les fruits du péché et vous voulez qu’on s’en occupe ?». Il dit : «oui prenez-les » !
Paul VI avait dit oui à la planification familiale mais non aux moyens chimiques, mécaniques ou à leur imposition. En Chine, on a imposé, mais à y réfléchir, si pendant un an, deux ans il n’y a pas de naissance, que sera ce pays ? Le problème de la famille est un problème de la vie et de la survie de l’humanité.
S. : Planifier, oui, mais pas par des moyens chimiques ni mécaniques mais comment ?
A.T.S. : Dans mes enseignements, j’ai l’habitude de dire : à problème humain, méthode humaine. Planifier le rythme de la vie, des conceptions et des naissances, la nature elle-même le fait. Cet acte de procréation confié à l’homme et à la femme signifie qu’ils sont raisonnables et responsables. Si on me demande à quel âge faut-il se marier, je dirai : vous vous mariez raisonnablement quand vous voyez qui vous êtes, qui est votre partenaire et ce que vous voulez faire de votre foyer. La procréation est un acte humain, donc il faut voir comment la domestiquer. Dans la Bible, il est dit : multipliez-vous et domestiquez la terre. C’est un champ où l’homme doit se montrer maître. Nos traditions ancestrales l’imposaient d’une façon drastique. Dans certaines sociétés traditionnelles, quand le bébé naît, on dit à la femme d’aller saluer ses parents et elle y reste pendant 3 à 4 mois ; ou elle va dormir avec sa belle-mère pendant quelques mois. Nos mamans savaient comment le faire, c’est un dialogue entre les couples qui permet de mieux planifier cela. Ce n’est pas parce qu’on est marié que l’on a droit tous les jours à l’acte sexuel. Quand le dialogue n’existe pas, les problèmes surgissent. Je vais citer mon propre exemple en famille. Chez notre maman, nous sommes 7 enfants en 21 ans et je suis l’aîné. En ces périodes où régnait l’analphabétisme, est-ce planifié ou non ?
Dans un couple, tout ce qui se vit dans l’intimité est de la responsabilité du couple. Il n’y a pas de pression sur l’intimité du couple. L’avortement reste un crime et un assassinat de vies innocentes.
S. : On se souvient, le Pape François a eu à dire que les chrétiens ne peuvent pas continuer à faire des enfants comme des lapins. Est-ce là aussi une invite à planifier les naissances ?
A.T.S. : Mgr Zéphyrin Toé, ancien évêque de Nouna, décédé l’année dernière, disait lors des célébrations du centenaire de l’Eglise du Burkina : on est heureux du travail de tous les catéchistes. Ces familles nous ont donné beaucoup de vocations : religieux, religieuses et prêtres. De cela, on se félicite, mais on se demande s’il fallait qu’elles aient des enfants plus qu’elles ne peuvent élever. Il y eut des frissons dans l’assemblée. L’Eglise dit simplement : soyez maître de vous. Depuis les premiers siècles jusqu’au 16e siècle, les gens pratiquaient de temps en temps la continence pour vivre comme des sœurs et frères.
Dans le sens que nous avons expliqué, c’est une invite à planifier. Il faut que le couple soit responsable de sa fécondité et de sa vie conjugale. Le problème de planification familiale doit être appréhendé dans toutes ses dimensions. Planification familiale dans le sens de maîtriser le rythme de naissance, le taux de naissance en responsable sans contrainte.
S. : L’Eglise parle aussi de paternité responsable, que faut-il entendre ?
A.T.S. : C’est Paul VI dans le même document cité qui a donné droit de cité dans le langage religieux à cette notion de paternité responsable. Certains ont dit que c’est vu de loin parce qu’il ne mesurait pas le poids qui entrave l’exercice de cette responsabilité. Le film sur Monsieur Vincent-de-Paul (20ème siècle) dit quelque part «Les pauvres, la nuit ça ne dort pas ça se bat» est éloquent. Les problèmes conjugaux font que dans certains foyers, c’est la destruction. On est pris au piège de la paternité et de la maternité responsables. L’enfant doit être le fruit de la responsabilité de la mère et du père. L’acte conjugal est un acte responsable posé par deux êtres responsables.
S. : Est-ce que le message sur la paternité responsable passe ?
A.T.S. : Il s’agit du devenir de la société. Quand je vois des enfants dans la rue, je me dis que c’est la société elle-même qui doit se demander qu’est-ce qu’il faut faire pour ces enfants. Pendant les décennies de la démographie, le Mali était choisi pour réduire ses naissances, dix ans après, rien n’a bougé. Souvent, les campagnes de PF sont accompagnées d’idées négatives. Ceux qui disent qu’il faut stopper la croissance démographique, se coulent dans l’argument de l’Occident. Au lieu d’aider les gens à se nourrir, on cherche à réduire les naissances c’est-à-dire leur nombre. L’humanité pour moi est constituée de familles. Il n’y a pas de nation sans famille.
Le message sur la paternité responsable doit passer chez les catholiques mais les Etats aussi ont intérêt à ce que le message passe parce que c’est une cause nationale et religieuse. Quand on parle de planification familiale, c’est une cause humaine, nationale, religieuse et familiale.
S. : L’Eglise est d’accord qu’il faut planifier mais avec des moyens naturels dont on connaît les limites. En sachant que ces méthodes sont moins efficaces que celles modernes, l’Eglise ne fait-elle pas la politique de l’autruche ?
A.T.S. : On emploie les mêmes mots mais on ne dit pas la même chose. Il y a effectivement une différence entre moyen et méthode. La méthode, c’est le chemin que l’on suit. Les moyens sont utilisés pour arriver à mettre en place une méthode. Et je dis que ces moyens sont à l’appréciation du couple. Les moyens que vous dites sûrs peuvent présenter aussi des inconvénients.
Quand il s’agit de méthode, on est d’accord mais quand vous dites que tel moyen est plus sûr, nous ne sommes pas d’accord.
S’agissant des moyens, il y en a qui sont bons et d’autres qui sont moralement interdits.
Politique de l’autruche non, la solution doit être humaine et non mécanique ou chimique.
S. : Que recommande l’Eglise comme moyen de contraception ?
A.T.S. : L’Eglise ne veut pas que l’acte conjugal soit réduit à la régulation d’un mécanisme ou d’une chimie. La chimie naturelle, la nature la fait mais la chimie artificielle n’est jamais totalement positive. L’Eglise dit qu’il faut que l’acte conjugal soit maîtrisé, «multipliez-vous et soyez maître de la terre», que ce soit l’organisation de la nature, la vie sociale, économique, politique, industrielle, il faut en être le maître. Une fois qu’on est responsable, on peut espacer et planifier les naissances avec des moyens naturels soumis à l’appréciation du couple.
S. : Un couple qui décide de faire cinq ans sans procréer en utilisant des moyens naturels, cela est-il autorisé ?
A.T.S : Cela se fait mais ce sont les raisons qui ne sont pas les mêmes. Depuis l’apôtre Pierre (il était marié), la continence temporaire se pratiquait. Mais lui-même a dit en s’adressant aux couples : ne vous éloignez pas trop longtemps les uns des autres. La continence restant une vertu pour les familles, l’apôtre recommande qu’elle ne soit pas trop longue. Je dis aux jeunes couples : vous faites votre programme en fonction de vos capacités, si vous êtes en location, c’est à vous de voir combien d’enfants vous pouvez gérer, etc.
S. : Quel doit être le rôle de l’homme dans la promotion de la santé de la reproduction ?
A.T.S. : L’humanité s’est développée au masculin. Même les pratiques religieuses, les Ecritures Saintes ont été interprétées au masculin. Je disais une fois que si le genre est compris et appliqué positivement, toute l’humanité y gagnerait. Pour la Bible au commencement, Dieu créa l’Homme (l’humain) masculin et féminin. Croissez et multipliez-vous. L’homme, la femme et l’enfant constituent les trois piliers de la société. Ce qui est égalitaire au départ est devenu complémentaire et ensuite presque inégalitaire car interprété selon les générations. La femme est la mère de l’humanité et l’homme en est le père, l’un et l’autre en servant la vie. Il faut qu’il y ait une lecture féminine des textes religieux, cela apportera un plus à l’humanité. Une autre lecture à faire est celle africaine de la Bible que je vais mourir sans voir. Les interprétations sont souvent faites en fonction des sociétés. Une lecture africaine de la Bible apportera aussi beaucoup plus à l’humanité.
Selon la Bible, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme. En Afrique, c’est difficile à comprendre. Ce sont des formules selon les sociétés et leur organisation. C’est chacun qui quitte son père et sa mère, n’est-ce pas ? La famille est un don de Dieu. Dieu a créé l’homme-famille. C’est la famille qui est la survie de l’humanité.
S. : Selon une étude de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP), le Burkina enregistre 105 000 cas d’avortements par an avec souvent des décès. Ainsi, d’aucuns pensent qu’il faut légaliser l’avortement pour éviter la clandestinité et les complications. Votre avis ?
A.T.S. : C’est avec émotion que je réponds à cette question. D’expérience, j’ai connu ces genres de situation dramatique non pas seulement au Burkina mais dans d’autres pays. Je dis à ces jeunes mamans en détresse : aimez cet être que vous portez, faites votre possible malgré les pressions pour le garder, demain il fera votre joie. J’ai connu une situation dramatique où tout a été fait pour faire avorter la pauvre jeune mais sans succès. Quelques années après, les concernés ont regretté ce qu’ils voulaient faire, on est heureux que l’acte n’ait pas réussi. Tous les jours, je remercie ma mère pour n’avoir pas avorté, sinon, je n’allais pas être là. Un être au monde est beaucoup plus que toutes ces contingences.
Une de mes cousines qui promettait beaucoup et sur laquelle tout le monde comptait a été renvoyée de son établissement pour cause de grossesse. Plus tard en 1976 à une rencontre des responsables d’établissement, je leur ai demandé si la grossesse empêchait de suivre les cours. Ils en étaient étonnés comme si j’invitais au laxisme. Disons que ce n’est pas en punissant ces filles sans même punir les garçons que l’on va assainir les mœurs ! L’acte commis est condamnable, mais le résultat, c’est une vie humaine, c’est sacré. Il faut tout faire pour aider les filles à s’en sortir. Beaucoup ne sont pas favorables à ce discours. L’avortement est à éviter à tout prix. Il faut organiser la société, non pas pour multiplier les cas mais pour éviter les pertes en vie humaine par assassinat d’innocents.
Malheureusement, sous la pression des accords internationaux et le besoin de financement, les Etats acceptent le mariage libre, l’homosexualité, le droit à l’adoption et à l’avortement. Tous ceux qui sont complices d’un avortement, s’ils sont des chrétiens catholiques, savent qu’ils sont excommuniés temporairement de la Communauté. Les Etats qui acceptent de légaliser l’avortement avalisent la criminalité. Il ne faut pas que l’Afrique cesse d’être elle-même en permettant l’homosexualité, et d’autres malheurs du même genre.
S : L’Eglise ne conçoit pas des rapports sexuels en dehors du mariage. Elle prône l’abstinence avant le mariage. Ce discours est-il toujours réaliste ?
A.T.S. : Dans les traditions anciennes, il y avait une période où les hommes et les femmes vivaient dans la continence.
Dire qu’aujourd’hui c’est impossible de vivre la continence et le célibat, c’est un mépris de l’humanité. De la même façon, aller dire aujourd’hui qu’il est impossible de vivre la justice, l’honnêteté et de bannir la corruption, c’est signer la déchéance de l’humanité.
Ce sont autant de valeurs et vertus qui sauvent l’humanité de chaque époque et de tous les temps et sauvegardent ce que chacun de nous a de plus sublime : la liberté de la conscience personnelle.
Boureima SANGA
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