Maïeuticien d’Etat depuis 2006, Issaka Kaboré est en poste au Centre médical du secteur n° 21 de l’Arrondissement n°3, sis au quartier Tampouy (Ouagadougou). Dans cette interview qu’il a accordée à Sidwaya, celui-ci explique en quoi consiste son métier, parle de son amour pour ce travail, son expérience, sa stratégie de communication et de la Planification familiale (PF).
Sidwaya (S.) : En quoi consiste le travail de maïeuticien ?
Issaka Kaboré (I.S.) : Le travail de maïeuticien consiste à assister les femmes depuis la procréation jusqu’à l’accouchement. La surveillance du nouveau-né est également de notre ressort. Cela consiste d’abord à fournir des conseils aux femmes ou aux couples qui ont des difficultés pour concevoir un enfant. Il arrive de référer certaines chez un gynécologue si nécessaire. Après la conception, nous suivons la grossesse jusqu’à l’accouchement. Pendant cette période critique pour la femme, il faut tout mettre en œuvre et prier Dieu pour que tout se passe bien. Si la grossesse est bien suivie, l’accouchement devrait aussi se passer bien. Après cette phase, il faut suivre le bébé. La consultation de l’enfant doit se faire jusqu’à deux ans. C’est cet âge qui est beaucoup critique. Si l’enfant arrive à suivre la consultation et à faire les vaccinations pendant cette période, c’est déjà un bon signe. Après l’accouchement, il faut aussi parler de la planification familiale aux femmes. Sinon, certaines viendront six mois ou deux ans après avec une grossesse non désirée. Il y a par ailleurs, des hommes qui ont des problèmes de fécondité que nous recevons dans le cadre de la prise en charge de la santé de la reproduction.
S. : Depuis quand exercez-vous ce métier ?
I.K. : Depuis février 2006 et mon premier poste fut le Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya.
S. : Comment vous êtes venu dans le métier ?
I.K. : C’est à ma Terminale qu’un ami m’a conseillé de passer les concours dont celui de maïeuticien et c’est lui-même qui est allé déposer mes dossiers de candidature. Cet ami, un Gabonais, n’est pourtant pas du domaine. Je ne savais pas du tout ce qu’est le travail d’un maïeuticien. Mais je me rappelle seulement que lorsque j’étais enfant, je rêvais d’être médecin. Sur les trois concours que j’ai passés, j’étais admis à celui des Eaux et forêt et celui des maïeuticiens d’Etat. Je ne savais pas lequel des deux concours choisir et j’ai posé la question à beaucoup de gens qui ont suggéré d’aller au corps de maïeuticiens d’Etat.
S. : Etes-vous satisfait ?
I.K. : Franchement, je suis plus que satisfait du métier. Je sais que dans tout métier, il y a des couacs. Mais l’essentiel est que dans la majorité des cas, tout se passe bien. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas.
S. : Avez-vous des feedbacks avec les patientes et qu‘est-ce qu’elles disent de vous ?
I.K. : Même étant ici à Ouagadougou, je continue à recevoir des coups de fils de certaines personnes que j’ai suivies à mon premier poste, qui me demandent des conseils. D’autres proposent de venir si possible à Ouagadougou afin que je les aide à accoucher. Mais pour la plupart des cas, et pour éviter le déplacement de ces femmes à terme, je les réfère à des collègues qui sont sur place. Aucune femme n’est venue me manifester son insatisfaction depuis que j’exerce ce métier. Peut-être qu’elles n’ont pas envie de le dire personnellement. Bien au contraire, je sais que beaucoup de gens m’ont approché pour avoir des conseils et pour être suivis.
S. : En tant qu’homme dans un environnement fortement féminisé, quelles sont les contraintes de votre travail ?
I.K. : Pratiquement avec la nouvelle génération, il n’y a pas de problème. C’est peut-être au début de ma carrière que j’avais quelques difficultés dues au fait que j’étais le seul homme sur six. A l’époque, il n’y avait seulement que six maïeuticiens au CHR. Mais de nos jours, la donne a changé. Plus de problème entre maïeuticiens et sages-femmes. Actuellement, s’il y a un problème, cela n’est pas lié au genre. Mais il peut provenir tout simplement de la relation humaine comme dans tout service.
S. : La cohésion dans votre poste actuel est-elle la même qu’à votre premier poste à Kaya ?
I.K. : Comparativement au CHR de Kaya, je pense que la cohésion est mieux ressentie dans mon actuel poste. Il n’y avait pas de problème particulier à Kaya. Mais comme j’étais le responsable syndical du service, j’avais des réactions qui ne plaisaient pas à certaines personnes. Par contre, ici ce n’est pas le cas. Je suis plus à l’aise et il y a l’ambiance.
S. : Peut-être parce que vous n’êtes plus syndiqué ?
I.K. : Et pourtant je participe toujours aux activités syndicales du service. Mais je viens d’arriver à ce poste (janvier 2014).
S. : Y a-t-il des femmes qui refusent d’être assistées par un homme ? Pourquoi ?
I.K. : Oui, il y a eu effectivement des cas, même si c’est moins de 1 %. Dans mon poste actuel, j’ai eu deux cas. Mais lorsque je sens que le fait d’être un homme gène la femme, j’anticipe les choses en faisant appel à une sage-femme pour faire la consultation. Cependant, il y a eu spécifiquement un cas où le mari a récupéré le carnet de consultation et est reparti avec sa femme. Un collègue, qui, malheureusement n’est plus, et moi avions décidé de faire une fiche de référence pour lui afin de faciliter une prise en charge de sa femme à la maternité où ils iront. Nous avions expliqué les raisons de leur départ sur la fiche. Nous avions accepté de faire la référence à cause surtout de la femme qui n’y était pour rien.
S. : A l’opposé, il semblerait que des femmes ont une préférence pour les maïeuticiens. Confirmez-vous cela ? Si oui quelles en sont les raisons ?
I.K. : Je ne pense pas que ce soit une question de préférence. Mais il s’agit plutôt d’une question de personne. Car il y a des maternités où les hommes n’ont pas de femmes à suivre de façon particulière alors qu’ici, nous avons des femmes qui désirent se faire prendre en charge par les hommes. Je me dis donc qu’il s’agit d’une question de personnage. C’est la manière d’accueillir qui fait la différence. J’ai remarqué que le fait de dire : «Bonjour et soyez la bienvenue», à une patiente la met en confiance et l’amène à se confier à toi en cas de besoin. Cependant, il y a des gens qui n’ont pas cette humilité de le faire. Que tu sois homme ou femme, tu auras de la réticence. Et souvent, c’est au moment du travail de l’accouchement que tout se complique. Avec la douleur, la femme fait des gestes insupportables. Il faut comprendre que c’est la douleur qui fait cela. Quand on a plusieurs années d’expérience dans le domaine, on se dit que le travail d’accouchement est égal à la douleur. Ainsi, à un certain moment on peut ne pas être trop sensible. Beaucoup de gens pensent que les agents de santé ne sont pas sensibles à la douleur alors que sans la douleur, il n y a pas d’accouchement. Peut-être que c’est la façon de parler aux patientes qui doit être revue. Mais cela, dépend aussi du tempérament et de l’éducation de tout un chacun. C’est l’expérience qu’on acquiert au cours de son travail qui permet à quelqu’un de faire son mea culpa et de se départir des mauvais comportements et d’aller de l’avant.
S. : Vous dites que vous êtes célibataire et père d’une fillette de 7 ans. Est-ce vous qui avez fait l’accouchement de cet enfant ? (rires)
I.K. : Non, ce n’est pas moi qui ai fait l’accouchement de mon enfant. Et je ne compte d’ailleurs pas assister au « travail » de ma femme.
S. : Comment savoir que les gens apprécient votre travail ?
I.K. : Les gens apprécient notre travail. Parmi les gens qui viennent pour la consultation dans notre service, il y en a qui logent à 9 km. Par exemple, je connais une femme qui loge à Kossodo et qui préfère venir chez nous. En dehors de cela, il y a la fréquentation, surtout à la maternité. En termes d’accouchement, il y a des périodes où on peut faire 13 accouchements au cours de la garde. Il y a l’affluence des femmes. En pesée par exemple, on peut prendre 5 à 10 femmes pour faire la Consultation prénatale (CPN). La moyenne, c’est 40 et le minimum se situe entre 25 ou 30. Quant au maximum, c’est 70 femmes. Il y a des gens qui ont confiance à notre prestation. Et même l’Ecole nationale de la santé reconnaît notre travail. On nous envoie souvent des élèves-étudiants stagiaires.
S. : Comment vos proches vivent-ils le fait que vous- exercez ce métier ?
I.K. : De nos jours, le métier de maïeuticien n’est plus chose extraordinaire ou rare. Il est connu de beaucoup de gens. Je peux dire que sauf les parents analphabètes qui sont au village qui l’ignore. Ceux-ci ne font pas la différence entre les services de santé. Selon eux, un agent de santé est un agent de santé. Pratiquement, dans toute formation sanitaire, on rencontre un maïeuticien. Ce n’est plus un tabou de voir des hommes travailler en maternité. Franchement, je n’ai jamais eu de reproches de la part d’un proche, par rapport à ce boulot que j’exerce.
S. : Est-ce qu’on peut dire que vous suscitez l’envie d’être comme vous autour de vous ou est-ce le contraire ?
I.K. : Actuellement, les gens ne font pas les concours par vocation. Ils le font parce qu’ils veulent avoir un boulot. La preuve en est qu’il y en a qui peuvent déposer jusqu’à une dizaine de dossiers de candidature pour les différents concours. C’est donc difficile de dire que notre métier suscite de l’envie chez les gens. Néanmoins, pour les stagiaires c’est le cas. Souvent, avec les explications qu’on leur donne, il y en a qui, à un certain moment, veulent changer de service pour devenir maïeuticien. Dans tous les cas, que vous soyez infirmier d’Etat ou sage-femme travaillant dans un CSPS, vous êtes obligé de tout faire. A moins que vous ne soyez dans un hôpital.
Interview réalisée par
Aïssata BANGRE