Pendant la saison pluvieuse, certains quartiers de Ouagadougou sont difficilement accessibles à cause du mauvais état des routes. C’est le cas de Bassinko au secteur n°36. Rejoindre ou quitter son domicile dans ce quartier situé à la sortie nord de la capitale après la pluie, relève d’un véritable parcours du combattant. Récit d’une soirée tumultueuse sur les voies dangereuses et les ponts en ruines qui mènent au quartier Bassinko.
Vendredi 14 août 2015, une fine pluie accompagnée de vent vient de tomber sur Ouagadougou. Le temps est légèrement glacial. Il est 13 heures 30 quand nous quittions Sidwaya. Direction : Bassinko, quartier tristement célèbre pour son manque criant d’infrastructures routières. Les nombreux trous sur le bitume nous font vaciller de gauche à droite. La circulation est dense. Après quelques minutes de trajet, nous sommes au pont de Baskuy (Tampouy). La densité de la circulation témoigne de la forte concentration humaine dans ce quartier et ses périphéries. Quelques mètres après cette infrastructure, le véhicule estampillé ‘’Editions Sidwaya’’ bifurque à gauche sur une route séparant le quartier Bissighin en deux. C’est le début d’un chemin de croix. La voie non bitumée de quelques kilomètres ressemble à une rivière avec juste quelques centimètres carrés de terre visibles par endroits notamment sur les côtés. Seuls quelques motocyclistes et piétons rivalisent d’acrobaties sur les petites portions de terre ferme. Assane Sawadogo habite au bord de la voie. Ce jeune homme de 19 ans, grand de taille, teint noir, vêtu d’un tee-shirt et d’une culotte mouillés, les jambes couvertes de boue, la mine renfrognée, marche et sautille prudemment sur les portions de terre visibles pour se rendre dans une boutique. Il révèle que les quatre-roues (voitures) ont plus de mal à circuler que les motos. «Quand il pleut, les gens laissent leurs voitures et circulent à moto. Car, c’est moins risquant. Les voitures s’embourbent fréquemment ici et après une pluie diluvienne, elles peuvent être emportées par l’eau», raconte-t-il. Prudence oblige, nous roulons à gauche de la voie, comme nous le recommande notre interlocuteur. Effrayé par les explications de M. Sawadogo, le conducteur marque un arrêt alors que des tenanciers de boutiques situées à droite de la voie évacuent leurs «bureaux», de l’eau, à l’aide de balais et d’assiettes.
Un enfant emporté par les eaux
Des badauds trempés, médusés et collés aux murs des maisons riveraines de la «rivière» contemplent les voltiges des passants et se marrent de leurs chutes. Subitement, un camion dépasse l’équipe et fait son chemin. Espérant réaliser les mêmes prouesses que le conducteur du camion, notre conducteur démarre la 4x4 et emboîte le pas au gros véhicule. Hélas, quelques mètres après, la voiture s’embourbe et la pluie reprend de plus bel. Fort heureusement, avec l’aide de plusieurs riverains, nous parvenons, au bout d’une dizaine de minutes, à extirper le véhicule des entrailles de la boue. Essoufflés, trempés jusqu’aux os et maculés de boue, les reporters re-embarquent. Les pénibles dandinements de l’habitacle dans l’eau laissent deviner que la voie est truffée de trous plus ou moins grands. Au bout de quelques minutes, l’équipe est sur le radier de Bassinko. Là, les effets de l’eau sont visibles et laissent pantois. Les soubassements de la passerelle, sans garde-fous sont détériorés. Des grands blocs de terre détachés de l’infrastructure gisent majestueusement. Ne dit-on pas qu’après la pluie, c’est le beau temps ? En tous les cas, Henri Kolomnaba, un jeune homme de 22 ans, moulu dans un débarder et un pantalon ‘’jeans’’, les biceps bien en évidence n’est pas de cet avis. Cette situation l’inquiète. Résidant à Bassinko depuis 7 ans, M. Kolomnaba est commerçant de matériaux de construction à côté du radier. «Quand il pleut abondamment, l’eau surplombe le radier. Comme il n’y a pas de rambardes, il est impossible de percevoir les limites du pont. C’est ainsi qu’en début de saison pluvieuse, un enfant, de retour d’une livraison de sable a été emporté par les eaux avec sa charrette et son âne», relate-t-il, dépité. Il explique que les habitants du quartier doivent patienter au moins trois heures après la pluie avant de rentrer chez eux ou d’aller au travail. A quelques pas de son négoce se trouve Marie Kaboré, une sexagénaire à la mine joyeuse et résidant à Bissighin depuis plusieurs années. Assise devant les condiments qu’elle vend, elle perd son sourire et se crispe à l’évocation des difficultés d’accès de son quartier.
«Dites aux autorités de nous aider»
La vieille dame se plaint plus de l’état des routes. «Notre souffrance est très grande. Les voies sont en mauvais état surtout celle qui mène au marché. Cela empêche les commerçants de vaquer normalement à leurs occupations, engendrant ainsi des pertes considérables. Cette situation est plus ressentie par les personnes âgées qui n’ont plus la force de faire des acrobaties pour se déplacer», déplore-t-elle avec tristesse. Très vite, un petit attroupement se forme autour de l’équipe de reportage et une seule doléance sur toutes les lèvres : «Dites aux autorités de nous aider, car nous souffrons le martyre ici». Aly Sawadogo, administrateur civil en service au Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MATD), et habitant dans le quartier depuis octobre 2010 n’en espère pas moins de Sidwaya. Le quarantenaire, svelte, l’air maussade fait comprendre que c’est la quête d’un mieux-être qui l’a conduit à acquérir une parcelle, construire sa maison et à emménager avec sa famille à Bassinko. Sa joie d’avoir «un chez-soi» est cependant altérée par les difficultés qu’il rencontre pour se rendre au service. «Après la pluie, il faut patienter au moins trois heures avant de sortir. Cela fait que je pars souvent en retard au travail et les supérieurs hiérarchiques ne comprennent pas toujours. Quand la pluie se prépare le soir, les habitants de Bassinko sont obligés d’abandonner le travail pour rentrer. Car prendre la route à certaines heures est très dangereux. D’ailleurs, s’il pleut abondamment le soir, mon voisin ne rentre pas à la maison», dévoile-t-il, accablé.
Un pont construit par les habitants
Francis Bationo, est un jeune homme d’affaires, qui réside dans le quartier depuis quatre ans avec sa famille. Protégé du froid par des tenues chaudes et chaussé d’une paire de baskets pour parer à une éventuelle chute sur les terrains glissants de Bassinko, il témoigne qu’au regard de l’état du radier, les habitants de Bassinko se sont cotisé et ont obtenu plus de 2 400 000 F CFA pour réaliser un pont qui facilite l’accès au quartier Rimkiéta. Sur les lieux, c’est un pont en souffrance, impraticable pour les voitures que nous observons. L’eau a emporté la terre, si bien que la descente du pont est un creux. Les alentours, parsemés de «puits à ciel ouvertes» sont très glissants car le sol y est argileux. Ce qui oblige les conducteurs de motos et de vélos à descendre de leur engin pour le pousser afin de passer le pont sous une fine pluie à 16 heures. Un exercice auquel une vieille dame, chaussures en mains, réussit difficilement malgré l’aide d’une bonne volonté qui pousse son vélo. Amidou Sawadogo, la quarantaine bien sonnée, par contre, très solide s’en sort mieux avec sa moto. Ce commerçant et habitant du quartier depuis 12 ans, le pantalon retroussé jusqu’aux genoux relate ses déboires avant d’accéder au pont. «Nous souffrons beaucoup à Bassinko. Si tu n’as la force ici, les eaux de pluies vont t’emporter. Les routes sont dans un état catastrophique. Il faut que les autorités voient notre cas, car ça ne va pas», fulmine-t-il. Francis Bationo justifie la dégradation du pont par le non-respect des normes pendant sa réalisation. «Le pont a été construit par les habitants. Donc, il n’est pas solide. Nous avons le malheur d’être entourés par des passages d’eau et l’or bleu ronge au quotidien notre pont, le rendant dangereux», regrette-t-il.
Des promesses non tenues
Il impute la souffrance des habitants aux autorités municipales qui ont loti la zone sans la viabiliser. «Bassinko a été loti sans qu’aucune voie ne soit aménagée. Toutes les routes qui mènent au quartier se sont dessinées d’elles-mêmes à force d’être fréquentées. De plus, des caniveaux d’évacuation d’eau n’ont pas été réalisés», argue-t-il très remonté. Désabusé, M. Bationo affirme qu’il est impossible de transporter un malade dans un centre de santé la nuit, à cause de l’état des routes et de l’absence d’électricité. «Tous ces problèmes existaient quand nous nous installions à Bassinko. Mais nous espérions que les choses allaient évoluer positivement. Des années après, le constat est amer. Rien n’a évolué. Les difficultés s’exacerbent au contraire», dit-il mécontent. Il relate qu’avant l’insurrection populaire, les autorités avaient promis de réaliser des ponts et des routes. «Hélas, rien n’a été fait», déplore-t-il. Et d’ajouter que les nouvelles autorités ont, elles aussi, promis de construire un pont. «Des études ont été faites et nous espérons que la 2e promesse sera tenue dans les semaines ou mois à venir. Mais il ne sert à rien de faire des ponts, s’il n’y a pas de bonnes routes pour y accéder», dénonce-t-il.
Cri de détresse des habitants
A l’instar des habitants de Bassinko, Marie Kaboré lance un appel au secours. «Nous vivons le calvaire. Nous demandons aux autorités d’avoir un regard attentionné sur le quartier. Nous les implorons de construire des routes, des caniveaux et des ponts afin d’éviter d’autres pertes de vie humaine», implore la sexagénaire, les larmes aux yeux. En plus des voies de Bissighin et de Rimkiéta, Bassinko est aussi accessible en passant par un quartier voisin, Komnagnonré, situé au secteur n°35 qui débouche également sur un pont construit par l’Etat. Après le pont de Rimkiéta, l’équipe met donc le cap sur celui de Komnagnonré. Chemin faisant, la voiture s’embourbe à nouveau. Cette fois-ci, il a fallu plus d’une heure de temps, d’énormes efforts physiques et plusieurs manèges pour sortir de l’impasse.
A Komnagnonré, si le pont semble bien construit, les traces d’eau et de boues témoignent que l’infrastructure et ses alentours sont envahis par les eaux en cas de fortes pluies. Ce qu’a confirmé Aly Sawadogo. «Le pont est bas. Aussi, quand il pleut abondamment, l’eau le couvre et le courant est très fort. Si bien qu’il est dangereux de l’emprunter», soutient-il. De plus, la route qui mène au pont est un alignement de « marres d’eau » et de boue. Chaque usager use de stratagèmes, de coups de freins à répétition et d’acrobaties pour avancer. Et c’est dans cette ambiance que nous rejoignons le bitume de Rimkiéta. Comme d’un commun accord, chaque membre de l’équipe pousse un ouf de soulagement.
Il est 18h12mn quand le véhicule rentre à Sidwaya. Les autorités communales de l’arrondissement n°8, dont relève Bassinko soutiennent que le problème des voies et des ponts est pris au sérieux. Tout en se désolant des difficultés rencontrées par les habitants, la chef de la section voiries et places publiques de l’arrondissement, Ida Yaméogo rassure que les routes de Nonghin et de Komnagnonré, tous deux situés au secteur n°35 sont en cours d’aménagement. «Ces voies permettent de rallier Bassinko et à terme, elles soulageront les populations», affirme-t-elle. En ce qui concerne la route principale, celle de Bissighin, elle révèle que les habitants ont écrit au président de la délégation spéciale de Ouagadougou qui, à son tour a écrit au ministre des Infrastructures et du désenclavement. «Nous attendons la réponse du ministre», déclare Mme Yaméogo. En attendant, les habitants de Bassinko vivent en permanence dans la crainte de la pluie.
Eliane SOME
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