Dans un stade de Naïrobi devant des milliers de personnes, Uhuru Kenyatta, élu en mars dernier à un suffrage étriqué (50,07%) face à son challenger Raïla Odinga, cet autre fils de…, a prêté serment hier 8 avril 2013, la main posée sur une bible ayant appartenu à son père de président.
Une prestation de serment qui rappelle étrangement celle des présidents des Etats-Unis d’Amérique, actuelle puissance tutélaire de ce pays, sauf que le serment prononcé diffère de celui du locataire de la Maison-Blanche. Les USA et l’Europe dans son ensemble étaient d’ailleurs représentés à cet événement à un faible niveau (ambassadeurs). Car ne l’oublions pas, le nouveau président est accusé de crimes contre l’humanité lors des violences postélectorales de 2008, et pour cela, la CPI est à ses trousses, puisqu’il doit en principe comparaître le 9 juillet prochain à La Haye.
Pour tout dire, le nouvel élu demeurera infréquentable tant que la CPI n’aura pas abandonné la poursuite de ce gros gibier de la plaine de Serengeti. Par décence diplomatique et pour se donner bonne conscience, la Communauté internationale a opté de ne pas trop s’afficher avec l’actuel pestiféré qu’est Uhuru. Mais c’est connu aussi, le Kenya, pouponné par les puissants de la planète, ne saurait être traité comme n’importe quelle autre pays du continent. Pour le moment, on ne peut que saluer cette dévolution pacifique du pouvoir, car, au terme de ce scrutin, les violences qui s’ensuivirent ont été marginales, et le perdant a eu l’élégance de reconnaître sa défaite, une posture qui a eu pour effet d’éviter que la vallée du Rift s’enflamme de nouveau comme en janvier 2008.
Un contexte tout indiqué pour le fils du «père de la Nation» pour se consacrer aux tâches fondamentales. A ce sujet, deux gros dossiers attendent Uhuru Kenyatta :
1) Il doit tendre la main à ses adversaires politiques, en l’occurrence à Raïla Odinga et aux siens. Pour dire le fond de notre pensée, il doit repanser les plaies d’une déchirure ethnique qui, depuis cinq décennies, oppose deux communautés : les Kikouyous (majoritaires) et les Luos, qui se disputent le pouvoir depuis les années 60.
Du reste, après la parenthèse Arap Moï de l’ethnie Kalenji (très minoritaire), le duel de mars 2013 fut un combat post mortem entre Jomo Kenyatta et Jaramogi Oginga Odinga.
50 ans après le combat de ces deux sauriens du fleuve Tana, leurs rejetons tournent le remake d’une joute électorale. Comme il y a cinq décennies de cela, Raïla courba l’échine à l’instar de son père.
Le rapprochement entre les communautés dans un pays où la violence est une donnée quotidienne prégnante est une des grandes priorités du nouveau n°1 kenyan.
2) La gestion du foncier : la révolution Mau-Mau, qui combattit les troupes britanniques parce qu’elles spoliaient les populations autochtones de leurs terres, a opposé Kikouyous et Luos. Tous les présidents qui se sont succédé ont promis une réforme foncière, mais aucun n’est parvenu à en tracer les premiers linéaments. Uhuru parviendra-t-il à trouver une solution à cette question récurrente ?
Enfin, subsidiairement, le nouveau président ne peut fermer les yeux sur les conséquences de l’engagement de son pays en Somalie : depuis 2011, le Kenya combat les Shebab chez son voisin, et en retour paie un lourd tribut, à travers les attentats de cette excroissance d’Al Quaïda qui sont perpétrés sur son propre sol.
Assurément, Uhuru Kenyatta ne pourra pas se reposer au pied du mont Kenya, tant il est attendu par ses compatriotes. «Sois comme ton père», dit un proverbe africain, et un autre de renchérir : «Sois mieux que ton père». Uhuru surpassera-t-il Jomo ? Attendons de voir.