Situé dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, à une soixantaine de km de la ville de Duékoué, le parc national du Mont Peko enregistre plus de 20 000 occupants. Il s’agit majoritairement de ressortissants burkinabè installés illégalement. Après l’arrestation de Amadé Ouérémi, le maître des lieux, le 18 mai 2013, pour détention illégale d’armes, entre autres, les autorités ivoiriennes ont décidé de restaurer le parc, avec, à la clé, l’évacuation de ses occupants. Mais depuis pratiquement deux ans, des planteurs en sursis sont l’objet de rackets d’individus, leur faisant croire qu’ils luttent pour leurs intérêts.
«Quelqu’un qui occupe illégalement une forêt classée à l’intérieur de laquelle il tire sa pitance, peut-t-il refuser les services d’un tiers qui lui propose de plaider auprès des autorités afin qu’il y demeure pour toujours ? Non ! Je ne le pense pas». C’est à ce hameçon que Amado Tako, planteur de cacao dans le parc national du Mont Peko, situé dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire et d’autres planteurs burkinabè ont mordu. Pour rappel, le dernier recensement organisé par le ministère de la Famille de la Femme, de l’Enfant et de la Solidarité de Côte d’Ivoire en octobre 2014 dans le parc, a dénombré 20 622 personnes infiltrées dont 6 397 ménages. L’enquête a révélé que 4% des occupants étaient des autochtones contre 96% d’étrangers avec une forte représentation de la communauté burkinabè estimée à 99%. Ces derniers se sont fait extorquer environ 400 millions de F CFA par un compatriote opérateur économique, Seydou Kiébré. En effet, le parc national du Mont Peko, d’une superficie de 34 000 hectares, renommé pour sa flore de montagnes et de forêt primaire, avait été investi par Amadé Ouérémi, un autre compatriote, au temps fort de la guerre en Côte d’Ivoire. Ce dernier, régnant en maître, distribuait des terres par-ci et en vendait par-là. Après son arrestation le 18 mai 2013 pour occupation illégale du parc et détention d’armes, les autorités ivoiriennes ont décidé de restaurer le parc en invitant les occupants à quitter cette forêt classée. Et comme la nature a horreur du vide, Seydou Kiébré, la quarantaine bien sonnée, a vu en l’absence de Amadé Ouérémi, une aubaine pour se mettre plein les poches. Cela, en abusant de la confiance des planteurs burkinabè installés illégalement dans le parc, et de la naïveté du préfet de la région du Guémon et du département de Duékoué, Sory Sangaré.
De père burkinabè et de mère ivoirienne d’ethnie baoulé, Seydou Kiébré s’est appuyé sur cette fibre de double nationalité pour asseoir son plan d’escroquerie. D’un côté, il misait sur le lien familial de sa mère d’avec le préfet qui serait de la même ethnie que celle-ci. D’ailleurs, il appelait affectueusement ce dernier « mon oncle ». De l’autre côté, il avait gagné la confiance de ses « frères burkinabè » qui voyaient en lui, un défenseur de leur cause.
Très vite, l’ivoiro-burkinabè crée une société qu’il appelle : Entreprise Kiébré Bagohouo (EKB). Bagohouo est le nom du village où était basé Amadé Ouérémi. Selon Maximilien Lompo, un vendeur de produits vétérinaires à Duékoué et détenteur de quelques hectares de parcelles dans le parc, le propriétaire de EKB avait dit aux planteurs que sa structure allait se charger de négocier avec le gouvernement ivoirien pour la location de la forêt classée et que, par la suite, les occupants allaient devenir les propriétaires des terrains loués. Mais à quel prix ? « Il (Seydou Kiébré, Ndlr) a procédé à un recensement où chaque planteur du parc, se devait de payer la somme de 10 000 F CFA à l’hectare contre un ticket. La somme perçue devrait servir à corrompre les autorités ivoiriennes. Il nous a rassuré qu’il saura les convaincre, en particulier celles d’Abidjan », affirme Mamoudou Sana, le n°2 de Amado Ouérémi, propriétaire d’une dizaine de plantations dans le parc. Pour mémoire, une délégation conduite par Seydou Kiébré avait séjourné au Burkina Faso l’année dernière, pour demander aux autorités burkinabè d’intercéder auprès de leurs homologues ivoiriens. Cela, afin que les occupants du parc y restent pour un certain temps, pour éviter un drame humanitaire. « La délégation à son retour nous a fait savoir qu’elle a rencontré le président du Faso, le Premier ministre et le ministre de la Défense d’alors et qu’un sommet sur la question a réuni les deux chefs d’Etat à Ouagadougou », déclare Boukary Sawadogo, un planteur dans le Mont Peko.
Un prélèvement de 150 F CFA par kilogramme de cacao
Au moment de la vente du cacao, Seydou Kiébré, reconnu officiellement comme acheteur de cacao, instaure une politique d’achat de ce produit d’exportation. « Il a décidé de prélever 150 F CFA sur le kilogramme de cacao vendu par chaque planteur. Son camion qui fait le chargement prend 25 F CFA. Celui qui achète le produit prend 25 F CFA et lui-même prend 100 F CFA », détaille Mamoudou Sana. Mais il ne s’arrêtera pas là, car après le succès de cette escroquerie, l’opérateur économique, pour légaliser ses activités, fonde le Conseil représentatif du Mont Peko (CROMP) à l’insu de Souleymane Zebré et Mamoudou Sana qu’il nomme respectivement président et trésorier général. Lui-même étant le secrétaire général. Dans le procès verbal que nous avons obtenu, quatre membres du bureau exécutif sur neuf n’ont pas signé le document. Parmi ceux-ci, le président qui, selon nos informateurs, résiderait à Abidjan et n’aurait jamais été mis au courant de la création d’une telle structure. Quant au n°2 de Amado Ouérémi, c’est lorsque nous lui avons dit d’apposer sa signature habituelle sur notre calepin que nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas au courant de l’initiative de Seydou Kiébré. En effet, sa signature sur notre calepin était carrément différente de celle du document. Mais contre vents et marrées, l’Ivoiro-burkinabè continue sa folie de racket. Dans son aventure, il réussit à rallier des leaders de la localité, notamment le chef du village de Gogo Zagnan riverain du parc et le conseil régional du Guémon. A en croire Rasmané Yanogo, un planteur de cacao dans le parc, pour être membre adhérant, il faut débourser d’abord 10 000 F CFA. Ensuite, 5 000 F CFA pour posséder la carte de membre. La cotisation annuelle coûte 30 000 F CFA, soit au total 45 000 F CFA par personne, a-t-il révélé. Et d’ajouter que M. Kiébré a réussi à faire venir le conseil régional de Duékoué à l’intérieur du parc en septembre dernier, pour attester la crédibilité de sa structure. « Il avait promis aux différents chefs des villages riverains du Mont Peko, 50 F CFA par kilogramme de cacao qui sortait du parc. Il disait qu’il allait remettre l’argent au conseil régional qui sera chargé à son tour de le distribuer aux différents chefs », confirme Maximilien Lompo. Selon un confrère de la localité, ayant gagné en notoriété, le CROMP a commencé à narguer les forces de l’ordre chargées de la protection du parc au point que certains partisans de cette organisation ont eu à agresser des agents à la machette. La « folie de grandeur » de Seydou Kiébré va marquer un coup d’arrêt le 7 octobre 2014, avec l’opération de recensement des occupants du Mont Peko, en vue de leur prochaine évacuation, entreprise par le gouvernement ivoirien. Cette opération a laissé planer des doutes quant à la crédibilité du CROMP. « Pour en avoir le cœur net, nous avons saisi les autorités pour comprendre davantage. Nous nous sommes rendu compte de toute la supercherie de Seydou Kiébré et avons porté plainte contre lui », indique Moussa Sana.
Le préfet a pris ses distances
Le préfet qui s’est aperçu de la nature réelle de son soi-disant « neveu » a pris ses distances avec lui en procédant à la suspension de sa structure. Dans la lettre de suspension n°31/R.G/PDK/CAB/C du 22 octobre 2014 adressée à ce dernier, il est mentionné ceci : « il ressort… que vous vous êtes rendu coupable, sous le couvert de cette association, d’extorsion de fonds, de ventes illicites de portions de forêts, de mise en location des terres et des plantations vous procurant ainsi, des ressources mirobolantes aux dépens de ces pauvres planteurs ». Notre séjour à Duékoué a coïncidé avec l’absence du préfet pour raison de congé. Le 10 mars 2015, l’ivoiro-burkinabè a été mis aux arrêts. Il est poursuivi pour, entre autres : faux et usage de faux, falsification de 1407 signatures de planteurs, escroquerie, menace de mort, vente de parcelles du parc national, appel au soulèvement contre les Eaux et forêts. Le fondateur du CROMP est aujourd’hui à la prison civile de Man, une ville voisine à Duékoué, en attente de jugement.
A peine l’« épisode Seydou Kiébré » clos qu’une autre structure, créée par les autochtones de la localité, a vu le jour toujours, avec le même objectif de racketter les occupants du parc. Dénommée Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire (SYNAP-CI), cette organisation, selon certaines indiscrétions, a eu la puce à l’oreille que le gouvernement ivoirien devrait mettre à la disposition des occupants du parc, la somme d’un milliard et demi de F CFA en guise de mesures d’accompagnement, afin qu’ils évacuent la forêt classée. Ainsi, ce syndicat a entrepris une opération de recensement dans le parc, à raison de 25 000 F CFA par planteur et 2 000 F CFA pour l’agent recenseur. « Le premier jour, il y a eu 42 personnes recensées, le deuxième jour, 29 personnes ont été enregistrées et le troisième jour sept personnes ont pu être enregistrées. La fiche de recensement comporte les nom et prénom, le campement, le nombre d’hectares et le numéro de téléphone. Ils ont un compte d’une téléphonie mobile où ils font le versement quand ils finissent le recensement de la journée », confie Maximilien Lompo. Mais cette opération sera de courte durée. Au cours d’une rencontre entre l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) et les occupants du Mont Peko, le vendredi 10 juillet 2015, le directeur de zone Ouest de l’office, le lieutenant-colonel Moïse Zanou annonçait l’arrestation de deux agents recenseurs de ce syndicat la veille, après que le président de cette structure a reçu une lettre d’interdiction. Dans la même veine, deux autres organisations ont donné de la voix. Si le Collectif des chefs des 24 villages riverains du Mont Peko, présidé par Léon Gnonao, a revendiqué le départ sans délai du parc, le Collectif des riverains du Mont, dirigé par Pierre Oualiatta, a procédé à l’érection de barrières empêchant des planteurs installés hors du parc (mais qui ont leurs plantations à l’intérieur) d’y avoir accès. Cette situation a fait l’objet d’une rencontre entre les autochtones et les planteurs le dimanche 19 juillet. Informé de la situation, le préfet Sory Sangaré a promis de trouver une solution à cet incident. Aujourd’hui, ils sont nombreux ces planteurs qui souhaitent faire leur dernière récolte avant de quitter définitivement le parc, en attendant les mesures d’accompagnement promises par l’Etat ivoirien. Quant aux partisans de Seydou Kiébré, ils ont organisé un sit-in le 29 juillet dernier au consulat du Burkina Faso à Abidjan, demandant la libération de leur leader.
Paténéma Oumar OUEDRAOGO
De retour du Mont Peko,
Duékoué (Côte d’Ivoire)