Décriée par certains, du fait de tracasseries qui l’émailleraient, la libre circulation des personnes dans l’espace CEDEAO est une préoccupation constante des Etats concernés. Pour en apprécier la réalité, nous nous sommes mis dans la peau d’un passager le temps du trajet Ouaga-Abidjan par le train. Constat.
Gare ferroviaire de Ouagadougou, au cœur de la capitale burkinabè, 4 juillet 2015. Nous sommes samedi, le dernier des trois jours de la semaine -hormis mardi et jeudi- où le train-passagers effectue la liaison avec Abidjan. Il est 7 heures et quart à notre arrivée. Le départ est prévu pour 9h. L’enregistrement des passagers a commencé depuis quelques minutes. A l’entrée du hall, de nombreux commerçants tenus à distance par des barrières de sécurité s’agitent pour attirer l’attention de potentiels clients. Au milieu de la foule de passagers et d’agents de manutention, un homme, la cinquantaine, peine à rester sur place. Il se met sur la pointe des pieds pour mieux voir en direction de l’entrée principale de la gare. Adama Sawadogo, c’est son nom, guette visiblement la sortie d’un proche. Ce matin, en effet, il est venu avec sa sœur accompagner leur nièce Asséta Sawadogo. Elève en classe de 5e, Asséta prend seule pour la première fois le train à destination d’Agboville en République de Côte d’Ivoire pour ses vacances. Après avoir repéré son siège, elle revient vers ses parents au moment où nous feignons de nous renseigner auprès de son oncle sur le motif du rang qui s’était formé juste à quelques mètres. « C’est sans doute pour la vaccination exigée aux voyageurs internationaux », répond-il sans conviction. Nous allons ensemble à l’information auprès de l’agent de santé en charge de l’opération. Il confirme qu’il s’agit bien de la vaccination pour les voyageurs internationaux. Et de préciser que si le passager doit se procurer le carnet sur place, il devra débourser en tout la somme de 5700 FCFA. M. Sawadogo se rappelle que sa nièce n’avait pas fait sa vaccination. « J’espère seulement qu’on ne va pas trop l’emmerder en cours de route parce que je n’ai pas assez d’argent sur moi ici pour cela», dit-il en revenant vers sa sœur restée aux côtés de Asséta. Informée, celle-ci fouille dans son sac à main et en sort de l’argent. L’oncle complète et la jeune fille va se faire vacciner. Comme document d’identité, elle détient sa carte scolaire de l’année 2013-2014 qui, espèrent ses parents, lui permettra d’effectuer la traversée sans trop de difficultés. Nous prenons congé de la famille Sawadogo pour retrouver notre voisin de siège, voiture n° 1 de la deuxième classe entre les banquettes de l’escorte médicale et celles réservées à la Police. Adossé à la paroi du wagon, les écouteurs aux oreilles, le jeune Oudou Zabré a l’air épuisé. Il a dû passer la nuit à la gare pour s’assurer d’être à l’heure.
« Mon frère qui a pris le ticket pour moi hier a sans doute mal compris la caissière, car il m’a dit que le départ était prévu pour 7 heures. Conséquence, je suis venu ici à 22h et je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit du fait des moustiques », se plaint-il.
D’importantes réformes
Tout comme Asséta, Oudou est à son premier voyage qui le conduira hors du pays. Mais à la différence de la jeune fille, lui a la majorité. Il a 18 ans. Sa carte nationale d’identité et son carnet international de vaccination qu’il se plaît à brandir fièrement sont également à jour. Un peu plus de 8 heures. Les derniers passagers s’empressent de trouver leurs places. Certains se font guider par les agents de contrôle postés à l’entrée de chaque voiture. Le travail pour ces derniers consiste à empêcher les embarquements irréguliers aussi bien de personnes que de produits prohibés. « Qu’est-ce qu’il y a dans votre sceau », s’adresse un d’entre eux à une dame qu’il empêche de monter à bord avec un pot hermétiquement fermé. Le contrôleur nous confie plus tard qu’il s’agit de pâte d’arachide, un produit non autorisé à bord. Plusieurs minutes durant, la dame en question tente en langue bambara de négocier le passage à voix basse pour ne pas attirer l’attention.
Du wagon voisin, un de ses collègues est très remonté contre une autre passagère.
« Où est cette femme ? En tous les cas, si elle monte dans ma voiture avec ces bagages, elle va le regretter Je jure de les jeter par la fenêtre en cours de route, elle peut compter sur moi », fulmine-t-il. Pendant ce temps, sur le quai, seul ou par groupe de deux ou trois, l’on essaie de passer le temps comme on peut. Assis sur les bordures d’une dalle, Casimir Bonkoungou et Inoussa Mandé sont des habitués du train, à en juger par la nature de leurs propos. Ils épiloguent en effet sur les conditions du voyage qui, à les écouter, se sont sensiblement améliorées. Face à notre scepticisme, Casimir rassure : « ne vous inquiétez pas, nous partirons à l’heure pile, vous verrez et comme vous l’avez remarqu,é ce n’est plus comme avant où c’était la course pour se faire une place, des allées bouchées par toutes sortes de colis surtout au retour. Et puis sur la route maintenant, plus vraiment de tracasseries si tu as tes papiers en règle». Attendons donc de voir. 8h 45mn. Le contrôle s’accentue. Le policier patrouillant depuis un moment d’un bout à l’autre du train se dirige vers les deux contrôleurs à la porte de la V2. Il vient de remarquer deux individus aux agissements suspects sur le quai à hauteur de la première classe. « Ouvrez l’œil », recommande le flic en indiquant discrètement leur position. « C’est compris, nous allons voir cela, mais je crois qu’ils vous ont déjà repéré », rétorque l’un des agents. Un premier coup de sifflet retentit. Le départ est imminent.
Un contrôle policier accentué
A l’intérieur, les allées dégagées ne sont occupées que par de petites poubelles en plastique. Les bagages sont disposés en grande partie sur les étagères au dessus des passagers. Quelques-uns se retrouvent sous les sièges. L’interdiction de cracher par la fenêtre ou dans le train, celle de sortir la tête ou le bras ou encore de fumer sont clairement signifiées par des affiches. 9heures. Le deuxième coup de sifflet, puis les sept « bâtiments de passagers» tirés par la locomotive s’ébranlent doucement vers la sortie ouest. La gare n’est bientôt plus qu’un point lointain parmi les édifices, difficilement discernable à travers un nuage de fumée.
Cela fait maintenant 30 mn de route. Les immeubles ont définitivement cédé la place à de vastes terrains arborés. C’est l’heure du premier contrôle des titres de transport. Allée après allée, siège par siège, le chef de train, flanqué d’un agent de police, vérifie la régularité de chaque voyageur. 10h30, la première escale. Nous sommes à Koudougou.
Là, des élèves et étudiants à majorité finissent d’occuper les places restantes du compartiment n° 3 réservées à cet effet. 15 mn après, le convoi repart à travers un paysage marqué en ce début du mois de juillet par des champs pour la plupart au stade de labour. 13H30, la Police burkinabè, à la suite des agents de la STIB, procède au premier contrôle d’identité à bord. Puis, les escales s’enchaînent : Siby, Bagassi, Béréba, Maro, Bobo-Diuolasso. Il est 21 h 48 lorsqu’intervient l’arrêt le plus important en terre burkinabè. Nous sommes au poste-frontière de Niangoloko. L’examen est beaucoup plus pointu. La vérification concerne surtout les documents d’identité et l’autorisation parentale pour les enfants mineurs voyageant avec des personnes autres que leurs géniteurs. Une cinquantaine de contrevenants est débarquée et conduite au poste. De retour, certains avouent s’être acquittés de frais compris entre 2500 et 10 000 FCFA. D’autres, par contre, voient leur sort confié par les policiers burkinabè à leurs homologues ivoiriens qui prennent le relais. Plus d’une heure après, c’est le même scénario à Ouangolodougou, première localité en terre ivoirienne. Cette fois-ci, le nombre de débarqués est plus important. Une centaine de personnes en tout. Parmi, de nombreux élèves ne disposant que de la carte scolaire comme pièce d’identité. Ceux qui ne sont pas à jour de leur vaccination viennent grossir les rangs. Ces derniers sont invités à passer au poste de santé pour se faire vacciner faute de quoi, ils risquent d’être retenus sur place. Affolée, Asséta, par une nuit froide, en file indienne emboîte le pas aux autres en direction du poste de police. Nous tentons les minutes suivantes d’y aller pour voir de plus près. Le policier en poste à l’entrée se montre plutôt compréhensif. Il accède à notre requête et cède le passage. A peine avons-nous gravi quelques marches du bâtiment principal que nous sommes stoppés par trois autres de ses collègues dont une femme. « Je peux vous aider ? », questionne celle-ci. Nous lui expliquons que nous venons au sujet d’une connaissance, élève conduite en ce lieu. « C’est 5000 FCFA, êtes-vous prêt à payer? », coupe-t-elle net. Devant notre tentative de comprendre la situation, sa réplique est cinglante. « Si vous n’êtes pas prêt à payer, veuillez descendre », rétorque la policière avant de nous tourner le dos. Mais la jeune fille nous rattrape en courant lorsque nous tournons le dos à notre tour.
« J’ai eu peur hein ! Mon cœur battait comme ça. Mais après avoir regardé mes papier,s ils me les ont remis et ont dit que je pouvais partir », dit-elle les yeux écarquillés. Contrairement aux autres, elle a en effet eu plus de chance. Un coup d’œil sur ses documents permet de voir qu’elle venait juste d’avoir quinze ans. Ce qui lui a sans doute valu des circonstances atténuantes. Après trois quarts d’heure, ‘’le serpent de fer ‘’ glisse à nouveau sur ses rails. Le reste du trajet se passe sans anicroche. Les étapes de Katiola et de Bouaké tout comme celle de Dimbokroh sont marquées dans la journée du 5 juillet par des contrôles douaniers. La tranquillité à bord n’est éprouvée que par les psalmodies intermittentes de vendeurs ambulants vantant à tue-tête les mérites de leurs produits.
Le klaxon répété du conducteur entrant en gare à Treichville tire le jeune Oudou de sa somnolence.
« Nous sommes arrivés », s’enquit-il, l’attention captée par l’extérieur. Nous lui répondons par l’affirmative. « Merde ! J’aurai dû appeler mon oncle un peu plus tôt. Voilà que je vais devoir encore attendre longtemps ici », murmure-t-il en cherchant sur l’écran de son téléphone portable l’heure qu’il fait. Il y est affiché 19h23 mn.
Voro KORAHIRE
Ouaga-Abijan-Ouaga