Ils courent contre la montre. Le temps (5 mois) imparti pour leur travail tire inexorablement vers sa fin. Eux, ce sont les membres de la sous-commission « Vérité, Justice et Réconciliation » de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes (CRNR). Pour cela, ils se sont réunis à Bobo-Dioulasso, le jeudi 13 août 2015, pour porter les dernières retouches à leurs travaux avant la remise de leur rapport. A propos, Lucienne Ariane Zoma, présidente de cette sous-commission a accordé une interview à des journalistes de la ville de Sya. La main sur le cœur, elle s’exprime avec émotion. Lisez !
Le Quotidien : A quelques jours du dépôt de votre rapport, quel est le bilan que vous dressez du travail de votre sous-commission ?
Lucienne Ariane Zoma: Dans l’ensemble, nous sommes satisfaits du travail que nous avons élaboré. Il s’agissait pour nous, de nous approcher de l’ensemble des populations burkinabè, de vivre avec elles, les joies et les peines qu’elles ont vécues lors de l’insurrection populaire et de voir ensemble les propositions pertinentes qui peuvent être faites en ce qui concerne l’avenir de notre pays. Nous avons beaucoup appris et nous profitons de votre micro pour dire un grand merci à toutes ces personnes de bonnes volontés qui ont bien voulu nous accompagner. Merci aux personnes ressources, aux autorités religieuses et coutumières, aux autorités administratives pour l’intérêt porté aux travaux. Nous avons malheureusement découvert des Burkinabè, des hommes et des femmes qui ont été meurtris dans leur cœur et continuent de porter des souffrances et des injustices. Certains ont vécu des situations plus que difficiles telles les disparitions et les assassinats. Cela nous a été partagé avec une grande émotion. Nous compatissons à leur douleur et regrettons ce qui s’est passé. Nous souhaitons et nous appelons de nos vœux que de telles situations ne se produisent plus dans notre pays. Nous invitons aussi l’ensemble des victimes, des coupables et des populations à convenir pour un dialogue plus nourrit afin que nous trouvions des solutions plus heureuses.
Y’a-t-il des motifs de satisfaction à l’issue de cette mission ?
Oui et Non. Oui, parce que des victimes et des personnes ressources nous ont accompagnés et ont été disponibles pour ce travail. Et Non, en tout cas, pas encore, parce que nous attendons avec force que les recommandations qui seront issues de nos travaux, aboutissent pour que, concrètement, on voit des solutions apportées à ces nombreux appels, à ces cris de cœurs, à ces cris de détresses. Il faut reconnaitre que des Burkinabè souffrent. Les injustices et les inégalités sont bien réelles et/ou latentes alors qu’elles mettent en mal la cohésion sociale et l’unité nationale de notre pays. Nous avons, à retrouver les valeurs de solidarité, de partage, de justice, de fraternité et c’est sur ce chemin-là, que nous espérons, au fil des années, pour pourvoir affirmer que nous sommes satisfaits de notre travail.
Quelles sont les difficultés et les regrets que vous avez eus à rencontrer les intéressés.
Dans tout travail, il y a des aspects négatifs et positifs. Nous avons eu des limites et comme on peut le constater, nous sommes une équipe de 7 personnes avec un volume de travail très énorme. Nous avons eu à recenser près de 5000 dossiers qu’il fallait classifier et enregistrer et nous nous sommes également penchés sur les propositions concrètes à formuler. Et tout cela, après près de 5 mois de travail et malgré que nous avons démarré en retard avec les contraintes matériels. Mais, nous sommes en train de finaliser le rapport. Il faut aussi signaler qu’au début il y avait de la méfiance de certaines franges de la population pour adhérer au processus. Heureusement après observation, les uns et les autres ont pris le train en route et cela a beaucoup facilité la mise en œuvre de nos travaux.
Vos sorties sur le terrain ont-ils apporté quelque chose dans vos recommandations ?
Bien sûr que oui. Nous voulons d’ailleurs profiter de ce cadre pour dire merci à tous les gouverneurs qui ont accepté de nous accompagner au niveau des 13 régions. Merci à nos points focaux et à tous les forces vives des 13 régions du pays. Bien entendu dans le cadre de la commission, il y a eu un large processus de consultations qui a été engagé. Et c’était justement de nous approcher des populations pour recueillir leurs propositions de réformes et de mécanisme de réconciliation. J’estime qu’elles ont été réelles car c’est elles qui vivent leur réalité. Elles nous ont traduit ce qu’elles avaient du fond du cœur. Elles ont fait des propositions fortes et nous les avons intégrées dans le rapport final avec l’espoir que tout cela ne restera pas lettre morte.
Lors de vos auditions avec les victimes et les personnes ressources, on suppose que l’émotion était au rendez-vous…
Nous avons effectivement pleuré avec les victimes. Nous avons découvert un niveau de barbarie inimaginable. On ne pouvait pas imaginer que des Burkinabè aient accepté de faire cela à d’autres Burkinabè. Pour nous, c’est une occasion de lancer un appel fort à la nation. Nous avons à rechercher ce qui est fondamental en nous ; Cet aspect humain et que nous reconnaissons l’humanité qui nous est propre et intrinsèque. Nous invitons les familles à recentrer les valeurs cardinales telles que le respect, l’honneur, la dignité…
Comme vous le savez, une chose est de proposer des recommandations et une autre est leur mise en œuvre. Est-ce que vous avez un appel à lancer à l’endroit des autorités et des populations pour l’appropriation de vos recommandations ?
Ce que nous avons vécu, les 30 et 31 octobre 2014, nous a convié à un rendez-vous du donner et du recevoir. Nous avons observé tous ensemble, ce qui nous a fragilisés et fracturés. Nous avons pris le chemin de la reconsolidation du tissu sociale et nous devons nous engager dans ce chemin de réforme pour une bonne gouvernance économique, politique et sociale. Nous espérons que cet engagement soit effectif pour que les populations reprennent confiance aux autorités1
Propos retranscrits par Mady BAZIE