La situation d’indigence financière rend vulnérable tout individu. Cette vulnérabilité, doublée d’une maladie, expose à toutes sortes d’indignité, surtout dans les hôpitaux. Pour un malade démuni, bénéficier de soins adéquats et de qualité, à temps, au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO) relève souvent d’un parcours du combattant. Le miracle est, parfois, rendu possible grâce à l’assistance sociale en milieu hospitalier. Zoom sur le quotidien des structures intervenant dans le social au CHU-YO.
Martial Sama est un malade externe du Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO). Il habite la zone non lotie du quartier Zongo, dans l’arrondissement n°6 de Ouagadougou. Assis sur un banc, près du service social et de l’humanisation de l’hôpital Yalgado, il a un regard furtif. Les bras croisés sur ses genoux, Martial paraît soucieux. La trentaine révolue, il souffre d’une maladie « très grave », confie, le neurologue Dieudonné Ouédraogo. Martial Sama dit avoir perdu l’usage des mains et des pieds depuis 2010, année de sa première hospitalisation dans le département de neurologie. « Tout a commencé avec des crampes aux mains et aux pieds. Maintenant, j’ai mal à toutes mes articulations», dit-il. Ancien boutiquier, il a dû vendre tous les articles de son échoppe, sa bicyclette et sa motocyclette pour pouvoir honorer ses frais médicaux d’un mois. En plus des difficultés financières, le malade affirme avoir été abandonné par les siens, excepté son oncle. « Sa situation se détériore gravement, c’était vraiment très décevant », explique Dr Ouédraogo. C’est la paralysie totale, il ne parvient plus à se déplacer de lui-même. Alors, il s’aide d’une chaise roulante. A court d’argent, son médecin soignant le conseille de s’adresser au service social de l’hôpital Yalgado. Chose faite. Depuis lors, il bénéficie d’une « prise en charge gratuite, totale et personnalisée ». « L’Action sociale m’a toujours accompagné en prenant en charge les frais d’examens, les ordonnances, les besoins en nourriture, le savon, les vêtements, mon argent de poche…», assure le malade. Marceline Nanéma du service social le présente comme « un malade qui n’a personne, un démuni qui souffre d’une maladie qui nécessite un traitement à vie et très onéreux ». « Nous le prenons en charge, chaque fois que nous pouvons », dit-elle. Pour elle, être démuni, est déjà en soi un problème. « Mais si vous êtes démunis et malade, c’est un double problème », déplore Mme Nanéma.
Les péripéties d’un cas social…
« Il croit vraiment qu’il peut s’en sortir », soutient l’assistante sociale. Hervé Bonkoungou est aussi un bénéficiaire du service d’assistance sociale. Agé de 27 ans, il souffre d’un mal « inconnu » depuis une douzaine d’années. « Je ne sais pas de quoi je souffre. J’ai des maux de tête, de ventre et d’oreilles. J’ai un sérieux problème d’audition. J’ai arrêté mes études en classe de terminale D au lycée départemental de Mogtédo, car je n’entendais plus rien », explique-t-il. Et le Dr Armand Tapsoba, médecin en spécialisation dans le département de gastroentérologie d’ajouter: « Nous sommes toujours à la recherche de l’étiologie (ensemble des causes d’une pathologie ; ndlr) exacte de sa maladie ». M. Bonkoungou a été admis dans le service de gastroentérologie en janvier 2015, accompagné de ses parents. Après des consultations, les médecins demandent plusieurs examens que la famille n’a pu honorer. Celle-ci décide alors de ramener Hervé dans son village natal, Mogtédo, à environ 100 km de Ouagadougou. Là-bas, il est conduit à l’église, afin de bénéficier des prières de ses « frères et sœurs en Christ ». Mais, un prêtre propose de le ramener à l’hôpital. De retour au CHU-YO, un curé le confie à Dr Armand Tapsoba. Par manque de moyens, Dr Tapsoba s’adresse au service social pour lui exposer les difficultés d’Hervé. Dans l’immédiat, son patient n’aura pas les mêmes chances que Martial Sama. « Le service social m’a signifié qu’il n’avait pas assez de moyens pour le soutenir », se souvient Dr Tapsoba. Le jeune Hervé est dans l’obligation de retourner, une seconde fois, à Mogtédo sur promesse de son médecin de le rappeler si, toutefois le service social venait à avoir les moyens pour sa prise en charge. Ce qui est effectif depuis le début du mois d’avril 2015. « Il a déjà bénéficié de l’exonération pour toutes ses consultations. Ensuite, il a bénéficié des examens sanguins. D’autres examens prévus seront pris en charge par le service », précise Dr Tapsoba.
Des actions au bénéfice des malades démunis
« Le service social a pour mission de mettre en application la politique sociale du gouvernement vis-à-vis des malades », déclare le chef du service social et de l’humanisation du CHU-YO, Isabelle Nana. « Nous aidons le malade à avoir les médicaments qui lui sont prescrits, à faire des examens de santé. Nous faisons en sorte que ceux qui doivent être hospitalisés, puissent bénéficier d’une chambre et d’un lit », détaille Mme Nanéma. « Nos activités, ce sont aussi les exonérations, les demandes de réduction de coût, les prises en charge matérielle, médicale et psycho-sociale », renchérit-elle. A l’entendre, les exonérations concernent toutes les consultations généralistes et spécialisées, les hospitalisations en 4e catégorie et certains examens. Pour que ses prestations puissent être exonérées, le patient doit présenter, au médecin soignant, une fiche de prise en charge de cas sociaux fournie et signée du service social. « Lorsque nous avons affaire aux démunis, nous avons la possibilité de demander une réduction des coûts au niveau des responsables. Nous demandons, selon les cas, une réduction de 25%, 50% ou 75% », précise Marceline Nanéma. Cette réduction prend en compte tous les examens et les actes chirurgicaux. Quant à la prise en charge, elle concerne le matériel, l’aide en vivres, en produits d’hygiène, en vêtements, en matériels de couchage. Selon des agents du service social, l’assistance médicale touche les médicaments, les frais d’examens, les bilans et bulletins de santé. Pour ce qui est de la prise en charge financière des examens, l’intervention de l’office social ne dépasse pas 100 000 F CFA. « C’est vraiment le maximum. On a rarement atteint ce montant », fait savoir Marceline Nanéma.
« Prendre soin d’un malade, une mission divine »
La prise en charge psycho-sociale des cas sociaux se fait à travers des entretiens afin de mieux approfondir et comprendre la situation du patient, de lui donner des conseils et de trouver des solutions à son problème. Cela s’effectue à travers des visites à domicile, des causeries en groupe, la recherche des parents ou le placement d’enfants abandonnés dans des centres d’accueil, temporaires ou définitifs, adaptés à l’état de santé du malade. Au CHU-Yalgado-Ouédraogo, le service social est assisté dans ce sacerdoce par l’aumônerie catholique des Caméliens. Les aumôniers de l’hôpital se présentent comme des serviteurs des malades, des hommes baptisés, qui vivent en communauté leur union en Christ par le témoignage de son amour miséricordieux pour les malades, les pauvres et les souffrants. Pour le Père Alexandre Bayala, aumônier dudit hôpital, l’Eglise joue le rôle d’assistant spirituel et social à Yalgado. « Prendre soin d’un malade avec amour, c’est s’acquitter d’une mission divine », dit le Père Bayala.
Les activités de l’aumônerie de l’hôpital témoignent de la foi chrétienne à apporter assistance aux nécessiteux. « Notre action est l’apport de l’Eglise dans son option préférentielle pour les pauvres », révèle le Père Alexandre Bayala.
CHL, le parent des malades non-accompagnés
Outre le service social et l’aumônerie catholique, l’association Contact hors limite (CHL), créée en 1997 par le personnel de l’hôpital Yalgado assiste, les malades démunis qui se retrouvent dans les hôpitaux sans accompagnants afin de pallier la gestion difficile du patient non accompagné. De nombreux patients arrivent seuls à l’hôpital, soit parce qu’ils ont subi un traumatisme et sont dans l’incapacité physique de prévenir un membre de leur entourage, soit parce qu’ils se trouvent dans une position de vulnérabilité permanente.
« L’aide-soignant est celui qui va régler les ordonnances, faire les examens, nettoyer le malade et son lit, l’aider à manger, lui donner ses produits, évacuer ses déchets, s’occuper de son confort, l’habiller, etc. », explique M. Bassolé. Le « parent des malades non-accompagnés » est à la fois un garant financier et un aide-soignant pour le malade durant son hospitalisation. Selon Joanny Bassolé, les actions de son association permettent aux différentes structures de santé d’avoir une certaine gestion complète du malade évacué non-accompagné. Pour l’aumônier catholique, les actions de l’association CHL sont plus que louables. « Tout malade a d’abord besoin d’une assistance humaine, spirituelle. Cette chaleur humaine lui permet, même démuni, de retrouver sa dignité d’homme », dit-il. Sans une structure comme CHL, la fatalité est au bout du chemin, confesse un médecin sous anonymat.
Sanata Bonkoungou est l’une des sept collaboratrices de l’association CHL. Garde-malade, la trentaine bien sonnée, elle travaille pour l’association, il y a 11 ans. « Je m’occupe du malade, comme si c’était mon enfant qui était malade. Je lave ses vêtements, règle ses ordonnances… », raconte-t-elle.
Le quotidien d’une garde-malade…
Elle consacre la majeure partie de son temps (du mardi au vendredi) à ce métier qu’elle dit exercer avec « fierté ». Sanata et ses collègues sont très sollicitées dans tous les services de l’hôpital, surtout aux urgences médicales. « C’est le service X…, vous êtes demandée, on a un malade qui vient d’arriver ! ». C’est la formule habituelle, indique Mme Bonkoungou. A peine à la porte, elle est accostée par un étudiant-stagiaire en médecine. « Un vieux vient d’arriver aux urgences médicales, le médecin dit de venir appeler CHL, c’est vous ? », lance-t-il timidement. « Oui, on arrive », répond Sanata Bonkoungou. C’est une salle des urgences médicales bondée de patients, de médecins et d’étudiants-stagiaires qui nous accueille avec des malades couchés par-ci, assis par-là, et dans les couloirs. Chaque jour, c’est le même scénario, apprend-on. Malgré leur bonne volonté, Mme Bonkoungou, nous confie que ses collègues et elle sont souvent victimes de menaces de la part de patients dont les besoins, en produits pharmaceutiques par exemple, ne sont pas satisfaits. « Un jour, un malade est venu avec une ordonnance, mais on n’avait pas les médicaments dont il avait besoin. Il s’est fâché et a commencé à taper la porte, en disant que c’est parce qu’il est pauvre qu’on ne veut pas l’aider », déplore-t-elle.
L’accès aux services des structures intervenant dans le social à Yalgado n’est pas systématique. A l’Action sociale, l’entretien individuel demeure un préalable avant toute intervention. A entendre, Marceline Nanéma, si une personne qui n’est ni handicapée ni abandonnée s’adresse à l’Action sociale, elle doit impérativement passer par un entretien. « Quelqu’un peut venir vous peindre un tableau totalement noir de sa vie. Alors que c’est faux. Vous courez, tapez à toutes les portes pour elle. Après, vous vous rendez compte qu’elle vous ment littéralement », raconte l’assistante sociale Nanéma. Les agents sociaux s’efforcent à satisfaire toutes les doléances, mais d’autres demeurent insolubles. A.O, a la quarantaine. Le visage ridé, elle vient de sortir bredouille de son entrevue avec le chef de service, Mme Nana. « Mes jumelles sont à Yalgado depuis des mois, on ne veut pas m’aider. Mon mari m’a abandonnée, parce qu’il n’avait plus rien. Quand je suis venue voir l’action sociale, ils m’ont dit d’attendre, car ils n’ont pas les moyens. Cela fait déjà deux mois. Je ne sais pas ce que je leur ai fait », fulmine-t-elle.
3 142 personnes prises en charge en 2013
L’association CHL n’a qu’un seul critère de sélection des patients: le non-accompagnement. « Nous n’avons pas un type spécifique de malades. Nous nous occupons de toute personne qui arrive à l’hôpital sans accompagnant», affirme le coordonnateur de l’association CHL, M. Bassolé. Le service social reçoit 15 à 30 visites par jour. De janvier à décembre 2013, 3 142 personnes ont bénéficié de l’aide du service social. Les gardes-malades de CHL s’occupent en moyenne de 5 malades non accompagnés au quotidien. « Au mois de mars 2015, 45 personnes ont été reçues par l’association dans le seul hôpital Yalgado. Ce qui fait que par an, on a quelques 400 à 450 personnes », avance le psychologue Bassolé. Pour une meilleure assistance des malades indigents, le service social et l’Eglise catholique ont mis en place un processus de suivi en fonction des cas. « Peu importe, le mode de prise en charge, le volet suivi existe toujours », indique l’agent de l’Action sociale, Marceline Nanéma.
Solidarité endogène oblige
Le service social du CHU-YO fonctionne grâce aux fonds du gouvernement, contrairement à l’aumônerie catholique et à l’association CHL. L’hôpital octroie à l’Action sociale des produits pharmaceutiques d’une valeur de 200 000 F CFA, par mois. Les exonérations, les réductions de coûts, les vivres, les produits d’hygiène sont également subventionnés par l’hôpital, via le service social. Outre les actions du service social, le Directeur de l’hospitalisation et de la qualité des soins (DHQS) de l’hôpital, Pr Adama Lengani, affirme que toutes les activités de l’hôpital sont d’ordre social, étant donné qu’il subventionne toutes ses prestations. « L’Etat, à travers le ministère en charge de l’action sociale, nous appuie financièrement pour la prise en charge des malades », précise Marceline Nanéma. Le Fonds national de solidarité (FNS) vient en aide aux malades avec une subvention de 5 000 000 de F CFA par an, destinée à la prise en charge médicale. La mairie de Ouagadougou apporte également son appui à l’hôpital Yalgado. « On a aussi ce que nous appelons les aides ponctuelles que nous recevons de personnes physiques et morales de bonne volonté », confie le chef du service social et de l’humanisation, Isabelle Nana. Pour l’aumônier, le Père Alexandre Bayala, l’Eglise compte sur l’aide des « frères et sœurs ». C’est aussi cette solidarité endogène qui est la « mine d’or » de l’association CHL. Aux dires du coordonnateur, Joanny Bassolé, cela a pour avantage de traiter des malades non accompagnés dans les hôpitaux « avec dignité et une certaine qualité ».
Des difficultés demeurent
De l’avis de l’agent social, Marceline Nanéma, aucune structure ne peut prendre entièrement en charge les malades. Les services intervenant dans le social à l’hôpital Yalgado rencontrent au quotidien d’énormes difficultés dans la prise en charge des indigents. Selon l’association CHL, pour une prise en charge de qualité, il faut avoir suffisamment de ressources financières. « Payer les médicaments et les consommables, les mettre à la disposition des médecins pour que leur travail soit de qualité, est souvent un fardeau pour nous», avoue le coordonnateur de l’association CHL. « La grande difficulté, c’est la question des moyens financiers», renchérit le Père Alexandre Bayala. Pourtant, nombreuses sont les personnes démunies qui pensent que le don de l’Eglise vient de l’Etat et que celle-ci est chargée de le redistribuer. La conséquence de la limite des moyens est sans nul doute l’insuffisance de l’aide apportée aux malades indigents, fait remarquer Marceline Nanéma. Seulement sept bénévoles travaillent pour l’association CHL. Ceux-ci doivent assurer la permanence et la garde des malades non accompagnés, 24h sur 24. Pour le coordonnateur, peu de jeunes manifestent un intérêt pour ce métier non lucratif. Alors qu’il faut, « coût-que-coûte », trouver des gens qui ont envie de donner de leur temps aux malades. Pour l’aumônier Bayala, la solidarité doit se manifester pour une meilleure prise en charge des malades nécessiteux.
Djakaridia SIRIBIE