Au Congo, il est interdit de se prononcer contre le président Denis Sassou Nguesso. La preuve, deux ministres ont été limogés lundi dernier, pour s’être ouvertement opposés à un éventuel changement de la Constitution en vue de lever le verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels pour lui permettre de briguer un autre mandat en 2016. Dans le même temps, le président congolais procédait à un jeu de chaises musicales au sein de son gouvernement dont trois autres ministres ont également été remerciés. En temps normal, il n’y aurait rien à redire sur un tel remaniement, car il n’y a rien de plus normal qu’un réajustement ministériel pour insuffler du sang neuf à une équipe gouvernementale. De ce point de vue, l’action du président congolais s’inscrit dans le cours normal des choses. Toutefois, dans le contexte actuel du Congo où le président est frappé par la limite d’âge et de mandats, entre autres, alors qu’il ne fait pas mystère de sa volonté de prolonger son bail à la tête de l’Etat, l’on peut se poser des questions. En effet, que comprendre de ces réajustements, dans ce contexte de consultations controversées organisées par le pouvoir? Quelle lecture faut-il en avoir, à seulement quelques encablures de la fin du dernier mandat constitutionnel du président Sassou?
L’acte de Sassou a une force de dissuasion
En tout cas, la concomitance de ce réaménagement gouvernemental avec la sortie fracassante du ministre Guy-Brice Parfait Kolelas contre un changement de Constitution en faveur du président, ne laisse pas beaucoup de place au doute que ce dernier a fait les frais de son « impertinence ». Sa position courageuse de dire haut et fort son opposition à un tripatouillage constitutionnel en faveur du maître de Brazzaville, a sans aucun doute été mal vécue par ce dernier, surtout venant de la part d’un de ses « sujets » ou supposé tel. Pour cela, Sassou ne voulant certainement pas lui laisser le loisir de rendre sa démission, ce qui serait un autre crime de lèse-majesté, a pris les devants pour le démettre sans autre forme de procès, pour atténuer un tant soit peu son courroux, mais aussi pour que cela serve d’exemple à tous ceux qui seraient tentés de lui emboîter le pas. Quand on sait que sous nos tropiques, peu de dirigeants ont le courage de renoncer à leurs avantages et autres privilèges personnels pour défendre des idées autrement plus nobles, l’acte de Sassou a une force de dissuasion. Du reste, par cet acte, le président congolais confirme une croyance assez répandue en Afrique selon laquelle les postes du gouvernement sont des récompenses « gracieusement » offertes par le prince régnant, et les privilégiés qui ont la chance d’en bénéficier, doivent seulement manger et se taire. Et surtout ne jamais avoir la mauvaise idée de se dresser en travers de son chemin. Et cette recette semble bien connue et même appréciée de certains chefs d’Etat africains qui ne s’en privent pas pour réduire au silence leurs opposants les plus gênants. Et quand cela ne marche pas, c’est la mise en quarantaine et une descente aux enfers assurée pour ces derniers.
Sassou donne le sentiment de mal s’adapter à la contestation qui semble sourdre de ses rangs
Mais Parfait Kolelas et Claudine Munari n’ont pas à rougir de leur éviction du gouvernement. Car, c’est peut-être le Ciel qui les met à l’abri du mauvais destin qui attend Sassou. Lui-même les aura affranchis des bourrasques qu’il pourrait être amené à affronter. Et quand viendra l’heure, ils pourront se féliciter de ne l’avoir pas suivi dans son entreprise périlleuse. Sous d’autres cieux comme au Burkina Faso, par exemple, l’on a vu des ministres tomber en disgrâce et se morfondre pratiquement d’avoir été évincés. Au finish, ils ne cachaient pas leur joie de n’avoir pas été aux affaires lors de la chute brutale de l’ex-homme fort du Faso, Blaise Compaoré, suite à sa tentative de tripatouillage de la Constitution. Le moins que l’on puisse dire, c’est que par ces limogeages, Sassou se dévoile un peu plus. Et l’on est au moins sûr que la sortie du ministre Parfait Kolelas contre un changement de la Constitution, n’était pas une mise en scène. Aussi, si ce n’est pas un aveu de sa volonté de violenter la loi fondamentale de son pays pour se maintenir au pouvoir, cela y ressemble fort. En tout état de cause, si le président Sassou est dans cette logique, il ne faudrait pas se faire d’illusions. Il ne reculera devant aucun obstacle pour parvenir à ses fins. Quitte à faire de plus en plus le vide autour de lui, en chassant de son enclos toutes les brebis effrontées, ou en semant la zizanie et la division au sein de l’opposition. Et le remplacement dans le gouvernement, du ministre frondeur Parfait Kolelas par son frère Euloge Landry Kolelas est une parfaite illustration de cette zizanie. Car, dans la logique des dictateurs, renoncer à leur projet, c’est perdre la face. En plus, le cas burundais est là, patent, pour le conforter dans son initiative, malgré les dangers qu’il ferait courir à son peuple, en termes d’instabilité et de violences.
Toutefois, Sassou doit se rendre à l’évidence que ce n’est pas en cassant le thermomètre ni en évinçant des ministres qui ont eu le courage de leurs idées, qu’il fera baisser la fièvre de la contestation. Bien au contraire, Parfait Kolelas et Claudine Munari s’en vont du gouvernement certes, mais ils iront grossir et renforcer les rangs de l’opposition. Et la faille ouverte par ces derniers dans la coalition au pouvoir, pourrait s’agrandir, car il n’est pas exclu que d’ici là, d’autres « brebis galeuses » et pas des moindres sortent du bois pour afficher leur opposition au changement de la Constitution. Et ce ne sont pas les flagorneries de ses laudateurs zélés qui y changeront quelque chose. Surtout que l’histoire a suffisamment démontré que ce sont des gens qui sont prompts à des retournements de veste, quand le vent vient à tourner.
En tout cas, il est des signes qui ne trompent pas. Et si l’on n’y prend garde, le Congo est en train de réunir petit à petit, les ingrédients d’une poudrière. La brèche ouverte par le ministre Parfait Kolelas est un mauvais signal pour Sassou. S’il avait le choix, il y a fort à parier qu’il aurait largement préféré qu’il n’y eût point de voix discordante à son projet de changement de Constitution. Toute chose qu’il aurait certainement brandie comme preuve de légitimité. Mais voilà, après avoir cumulé 31 ans au pouvoir (de 1979 à 1992 et de 1997 à nos jours), Sassou donne le sentiment de mal s’adapter à la contestation qui semble sourdre aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de ses rangs, à une prolongation de son bail à la tête de l’Etat. Il revient donc à la communauté internationale, l’Union africain (UA) en tête, de commencer à raisonner le maître de Brazzaville, pour qu’il n’entraîne pas son pays dans la tourmente. Car, comme le dit un adage africain, « quand on sent venir le vertige, il faut s’asseoir pour éviter de tomber ». Le Congo n’a pas besoin de ça.