C’est une situation récurrente dans plusieurs pays ouest-africains, mais ces derniers mois auront été particulièrement éprouvants pour les populations sur le plan de la fourniture en électricité. De Cotonou à Conakry, en passant par Ouagadougou, Niamey ou encore Lagos, on a dû composer avec des délestages sauvages, qui ont en outre entraîné des dégâts plus ou moins importants dans certains commerces. Et comme pour ne rien arranger, le Burkina Faso, notamment, a enregistré sa pire crise énergétique de ces dernières années, avec des privations de l’énergie électrique pouvant durer, certains jours, du lever au coucher du soleil.
Comment l’Afrique en est-elle arrivée là 55 ans après «les soleils des indépendances»? Et pourquoi nos chefs d’Etat, si prompts à tenir sommets et conférences pour théoriser sur le développement du continent, brillent-ils ainsi par leur silence assourdissant et leur inaction devant une situation aussi cruciale? Attendent-ils, les bras croisés, que l’ancien ministre français, Jean-Louis Borloo, qui s’est trouvé une nouvelle vocation dans l’électrification de notre continent, proclamant urbi et orbi qu’«il faut un plan Marshall pour électrifier l’Afrique», concrétise son projet? Dans leurs soutiens diplomatiquement corrects égrenés au sortir des audiences, nos têtes couronnées ont-ils vraiment compris que sur cette question-là, c’est, depuis longtemps et selon le mot d’Aimé Césaire, «le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme et de se mettre debout»?
Je me permets d’en douter dans la mesure où, au-delà des discours et des incantations claironnés ci et là pour se donner bonne conscience, je ne vois s’élever de nos palais présidentiels et s’exprimer concrètement ni volonté réelle de prendre ce taureau-là par les cornes, ni stratégie pertinente de résorption du mal, ni même une montée responsable et courageuse au filet pour indiquer au moins aux populations de réelles voies d’espérance.
Bien au contraire, la lumière d’espoir qui pointe actuellement à l’horizon vient du rappeur Akon qui, lui, porte si merveilleusement un projet d’électrification rurale par l’énergie solaire. Après avoir lancé son mouvement caritatif Akon Lightning Africa en 2014, le chanteur américano-sénégalais a ouvert, en mai dernier à Bamako, au Mali, une académie solaire, afin que «les centaines de millions de personnes qui vivent dans les communautés rurales de l’Afrique puissent avoir accès à l’électricité».Le chemin est certes encore long, mais ne voilà-t-il pas une initiative concrète?
J’applaudis cette initiative d’autant que les chiffres, publiés récemment par l’Africa Progress Panel, le think tank de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, se passent de commentaire. On apprend ainsi, entre autres, que 621 millions d’Africains, soit la moitié des habitants du continent, n’ont pas accès à l’électricité; qu’«une villageoise du nord du Nigeria, un pays où 93 millions d’habitants sont privés d’accès à l’électricité, paie le prix le plus cher au monde pour l’électricité, soit 60 à 80 fois plus qu’un New Yorkais»; et qu’au surplus «près de 600 000 Africains – dont la moitié sont des enfants de moins de 5 ans – meurent chaque année à cause de la pollution de l’air générée par les combustibles solides utilisés pour cuisiner»!
Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour trouver enfin les vraies solutions au gap énergétique qui ruine notre continent et qui tue, au propre comme au figuré, ses vaillantes populations? Jusqu’à quand devons-nous accepter la fatalité qui fait qu’«au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de 80% des écoles primaires n’ont pas accès à l’électricité», tandis que «ce chiffre s’élève à 98% au Burundi et en Guinée»?
En tout état de cause, les conclusions de l’étude publiée le 5 juin dernier par l’Africa Progress Panel sonttrès claires et devraient fonctionner désormais comme un puissant levier pour entamer, avec tous les acteurs, la révolution énergétique du continent. Intitulé «Énergie, planète: saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l’Afrique», cette étude convie les dirigeants africains et les institutions internationales à investir massivement dans l’électrification «pour faire jaillir la puissance énergétique du continent et réduire ainsi la pauvreté et les inégalités».
Vous avez dit «Inégalités»? En dehors de l’Afrique du Sud, précise encore l’étude, «un Africain ne consomme en moyenne que 162 kilowattheures (kWh) par an alors que les autres terriens en consomment 7 000». A vos compteurs…
Serge Mathias Tomondji