L’éducation est un droit, dit-on, consacré par les conventions et les chartes internationales ratifiées par tous les pays dont le Burkina Faso. Ce droit est clairement consigné dans notre constitution et bien d’autres dispositions législatives. Mais certaines pratiques en cours depuis longtemps, et qui prennent aujourd’hui des proportions inquiétantes, risquent de rendre vains tous les efforts - aussi bien du gouvernement que de ses partenaires - pour faire de ce droit une réalité au Burkina Faso, à trois ans de l’échéance de 2015 fixée pour que tous les pays fassent des progrès significatifs, à défaut d’atteindre les objectifs de l’EPT (NDLR : Education pour tous) et ceux du millénaire pour le développement. Une de ces pratiques, c’est la spéculation sur les places dans nos établissements d’enseignement publics.
A tout seigneur tout honneur. Il faut d’abord reconnaître et saluer l’initiative du ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat d’effectuer, le 11 septembre dernier, un contrôle des prix des articles scolaires. Vivement que cette initiative soit généralisée et suivie d’effet pour enfin matérialiser « la ferme volonté du gouvernement à contrôler les prix des fournitures scolaires afin de permettre aux enfants de toutes les couches sociales du Burkina Faso de pouvoir aller à l’école, surtout dans un contexte marquée par une crise alimentaire aigüe ».
Pour revenir au sujet qui nous préoccupe, nous pensons que si dans le secteur de l’éducation il y a bien une question qui mérite aujourd’hui une attention très particulière du gouvernement et de bien d’autres acteurs pour que cette ferme volonté réaffirmée ci-haut ne soit pas une simple déclaration d’intention, c’est bien le triste spectacle de vente de places dans nos écoles, primaires comme secondaires. Nous qualifions cette pratique de racket organisé parce qu’elle implique plusieurs groupes d’acteurs, et non des moindres, de notre système éducatif. En effet, comment comprendre qu’à chaque rentrée des classes, et ceci depuis belle lurette, les pauvres parents se voient obligés de verser des sommes importantes à des acteurs clefs dans nos écoles, avant d’obtenir une place pour leur(s) enfant(s). Des sommes versées sans aucun reçu car elles n’ont rien à voir avec les droits d’inscription payables pour tout nouvel élève recruté ‘pour complément d’effectif’. Dans le jargon des ‘racketteurs’ de l’éducation et de leurs complices, ça s’appelle le ‘Mercato’, le ‘Ma viola’ ou encore le ‘Calcio’, termes utilisés dans le sport pour traduire les transactions entre clubs dans le cadre du transfert de joueurs lors des championnats européens. Selon les spécialistes du football, le Mercato est une « opportunité offerte aux clubs de recruter de nouveaux talents pour renforcer leurs effectifs ; talents qui se négocient à coup de centaines de millions ».
De fortes sommes en jeu
C’est une pratique en cours tant au primaire qu’au secondaire. Au primaire, la somme à payer indûment varie entre 10.000 et 25.000 francs CFA. Au secondaire, elle est généralement comprise entre 50.000 et 150.000 francs CFA et les victimes de ce racket sont généralement les pauvres parents d’enfants admis au CEP et non à l’entrée en sixième ou de ceux ayant le BEPC et non admis à l’entrée en seconde, tout comme les parents qui, pour une raison ou une autre, se trouvent dans le besoin d’inscrire leur(s) enfant(s) en classe intermédiaire. La somme à payer est fixée en fonction du type d’établissement (enseignement général ou enseignement technique) et de la classe (classe d’examen ou classe intermédiaire). A titre illustratif : 50. 000 à 75.000 francs CFA pour une place dans l’enseignement général et 75.000 à 150.000 francs CFA pour une place dans l’enseignement technique.
Qui sont les auteurs de ces rackets ? Ils se recrutent au sein de certains groupes d’acteurs de nos systèmes éducatifs : responsables d’établissement, enseignants, personnel administratif. Il y a quelques années, la pratique se faisait plus discrète, avec la complicité active de personnes extérieures au système : gardiens, gérants de parking … Aujourd’hui, la messe semble dite et la pratique ‘acceptée’ ; les racketteurs ne se donnent plus la peine de masquer leur pratique. Les affaires se traitent même par téléphone : « Je peux te trouver une place, mais tu as 50.000, 100.000, 150.000 francs … ? Tu sais, ce n’est pas facile hein ! »
Et ce sont nos pauvres parents (y compris nos sœurs et nos mères qui concassent le granit et qui vendent le sable entassé à coup de balai à longueur de journées) qui en sont les victimes résignées, car c’est après avoir garanti les places réservées aux ‘grands’ qui, très souvent, n’en ont pas besoin, que la spéculation commence. Ce qui est vraiment déplorable, c’est de constater que des places accordées gratuitement à des acteurs de l’éducation pour leurs enfants ou leurs protégés, sont transformées en objet de transaction, ces places revenant naturellement aux plus offrants.
Il est plus qu’impérieux pour les plus hautes autorités de l’éducation, avec l’appui du chef du gouvernement et des services habilités, d’ouvrir les yeux de ce côté aussi et d’œuvrer à mettre fin à cette pratique (que nous laissons le soin à nos éducateurs de qualifier) qui n’honore pas notre système éducatif et les personnes chargées de sa gestion, encore moins nos dirigeants soucieux de la bonne gouvernance et engagés résolument dans le combat contre la pauvreté à travers des initiatives visant à institutionnaliser des pratiques de solidarité avec nos populations démunies.
Tout le monde est coupable
Mais il n’y a pas que nos dirigeants et les personnes chargées de gérer le système éducatif. Il y a d’abord nous-mêmes. Que font nos associations de parents d’élèves, de mères éducatrices et nos syndicats de personnels de l’éducation face à cette pratique ? Que font-ils face à bien d’autres maux comme les diverses formes de violence à l’école, le nombre de grossesses non désirées qui croît à une vitesse vertigineuse dans nos établissements d’enseignement, les abandons scolaires pour des sites aurifères ? Des structures de cette nature qui se veulent crédibles doivent-elles / peuvent-elles fermer les yeux et la bouche devant de tels fléaux ?
Et nous, enseignants (surtout ceux d’entre nous qui s‘adonnent à cette forme de racket), quelle leçon d’éducation civique et morale dispensons-nous à nos enfants, à nos élèves, en un mot, aux futurs dirigeants de ce pays ?
Il est grand temps que le gouvernement, à travers les ministères en charge de l’éducation, mette en place un système d’alerte et de veille ou un mécanisme pour que toutes les pratiques de ce genre puissent être dénoncées et sanctionnées. Les syndicats d’enseignants pourraient faire autant, ce serait une preuve manifeste de leur souci du bon devenir de notre système éducatif, du respect des droits fondamentaux dont celui à l’éducation. Quant aux associations de parents d’élèves, ne devraient-elles pas se sentir interpellées au premier plan par ce genre de question ?
Faisons en sorte que le slogan que nous chérissons tant, « Etre Burkinabè, c’est être intègre » au pays des Hommes et Femmes intègres, ne soit pas un alliage de vains mots. Il nous faut le prouver aux jeunes âmes dont nous avons la responsabilité de ‘façonner’ en donnant l’exemple au quotidien à travers ce que nous disons et faisons.
Le Premier ministre, son Excellence Luc Adolphe Tiao, vient de ‘prendre le taureau par les cornes’ en posant les bases pour qu’une suite diligente soit donnée aux différents rapports sur la corruption rendus par l’ASCE et aux rapports des commissions parlementaires, et en instruisant « tous les ministères et institutions d’engager des actions fortes pour circonscrire la corruption et la mauvaise gouvernance ». Puisse-t-il bénéficier de l’accompagnement et de coudées franches de qui de droit, dans cette noble et gigantesque mais difficile entreprise de moralisation et de salubrité publique ! Que nous, citoyens, puissions l’aider en refusant d’être coresponsables ou complices de toute forme de corruption et de mal gouvernance, en faisant appel à notre ingéniosité et en utilisant tous les moyens que nous offre la technologie moderne pour sauvegarder des preuves pour étayer nos dénonciations.