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« Pour installer une culture de rejet de la corruption, il faut qu’il y ait sanction »
Publié le jeudi 23 juillet 2015  |  Le Quotidien




Nous avons rencontré Luc Marius Ibriga pour échanger avec lui sur la lutte contre la corruption au Burkina Faso. Il a bien voulu nous accorder cet entretien dans lequel, sans langue de bois, il fustige les corrupteurs et les corrompus. Pour lui, la corruption est un mal qui entache le décollage vers le développement véritable. « En 2013, la corruption a fait perdre 120 à 130 milliards de FCFA au Burkina ». Pour plus d’efficacité, ce chantre de la lutte contre la corruption préconise d’ériger l’ASCE comme une institution inscrite dans la Constitution avec plus d’autonomie et surtout des sanctions pour serrer l’étau contre la gangrène.

L’ASCE est dans une dynamique de relecture des textes dans le combat contre la corruption. A quoi répond cette initiative ?

Cette initiative répond à deux impératifs majeurs. Un impératif d’efficacité et un impératif d’indépendance. L’institution nationale de lutte contre la corruption doit répondre à un certain nombre d’exigences notamment pour être en phase avec les textes internationaux que le Burkina Faso a ratifié, la convention des Nations Unies contre la corruption, les textes africains à savoir la convention de l’Union africaine contre la corruption et les textes régionaux, la convention de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. En outre, depuis mars dernier, il y a la loi 2015 4 du 15 mars 2015 qui a donné de nouvelles prérogatives à l’ASCE. Aujourd’hui, ces prérogatives ne sont pas reflétées dans l’organisation et l’organigramme de l’ASCE. Les deux éléments pris, en considération, nous conduits à faire en sorte de revoir les textes constitutifs de l’ASCE en vue de faire d’elle une institution efficace de lutte contre la corruption. J’ai souvent entendu ce qui se dit dans l’opinion. Que des dossiers dorment dans les tiroirs de l’ASCE. Qu’il manque de résultats à l’ASCE. Dans cette situation, on oublie que la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a. L’ASCE a pour rôle de constater les manquements dans la gestion et les manquements en termes de dissipation des biens publics. Une fois que ce constat est fait, l’ASCE passe le relais à la justice. C’est dire donc que l’ASCE est tributaire des deux corps pour valoriser son travail. Il s’agit d’abord du pouvoir hiérarchique. Quand l’ASCE fait son rapport, elle émet des recommandations qui sont transmises à l’autorité hiérarchique. Parfois, il y a des recommandations de sanction. Il appartient au supérieur hiérarchique de l’exécuter mais si cela n’est pas fait, le travail reste en latence. Deuxièmement, l’efficacité du travail dépend de l’appareil judiciaire. C’est cet appareil qui prend le relais pour qualifier les faits pour condamner au besoin. Si cela n’est pas fait, le travail de l’ASCE reste parade. C’est pour cela que dans son rapport, chaque année, l’ASCE donne aux citoyens l’état d’avancement des dossiers qu’elle a transmis en justice. Les journalistes gagneraient à aller regarder ces dossiers pour constater que l’ASCE a transmis les dossiers à la justice. Il faut retenir que l’ASCE n’a aucun pouvoir d’injonction à la justice ni de poursuite. Elle ne peut pas obliger le supérieur hiérarchique à prendre les sanctions. C’est en raison de tout cela que pour se conformer aux exigences internationales et aux nouvelles attentes liées à l’évolution récente. Nous avons pensé qu’il était nécessaire de réfléchir sur une nouvelle architecture et sur une nouvelle organisation de l’ASCE pour être plus efficace.

Quelles sont les compétences voulues à travers cette relecture par l’ASCE pour être efficace ?

Dans l’écriture de l’avant-projet de loi, il y a des points sur lesquels, il y a un acquis. L’atelier a mis en évidence le fait que l’ASCE doit être une institution de la république et qu’elle soit constitutionnalisée. Elle devrait être une autorité administrative indépendante, c’est dire une structure dotée de la personnalité morale, de l’autonomie administrative et financière. Elle devait garder son originalité en étant une structure de contrôle et également de lutte contre la corruption. Le contrôle est un moyen de lutte contre la corruption. En étant une structure publique, devrait s’ouvrir pour traquer la corruption dans tous les domaines. Pas seulement au niveau de l’administration mais dans les structures privées, notamment aux organisations non gouvernementales. La question de donner à l’ASCE un pouvoir de poursuite est en réflexion. Aujourd’hui, un premier pas est donné par la loi anti-corruption dont l’une des dispositions est que lorsque l’ASCE transmis son rapport au procureur, celui-ci est tenu de poursuite. Nous réfléchissons à ce que l’ASCE puisse se constituer en partie civile. Toute chose qui nous permettrait que nous puissions avoir pied pour pousser nos dossiers. En outre, par rapport à l’autorité hiérarchique, la réflexion va dans le sens de dire que quand l’ASCE fait son rapport, remarque qu’il y a des manquements et qu’il se passe un temps sans que ces sanctions ne soient, que l’ASCE puisse infliger ses sanctions à l’auteur. C’est autant de choses qui devraient permettre à l’ASCE, que le travail en amont, puisse aller jusqu’à la sanction. Pour installer une culture de rejet de la corruption, il faut qu’il y ait sanction. Depuis longtemps au Burkina Faso, nous avons perdu l’habitude de sanctionner. C’est le fait, je caresse ta tare et tu caresses ma tare. Une fois qu’on ne sanctionne pas le premier qui a commis des fautes, on ne peut plus sanctionner. Pour plus d’efficacité, il faut créer une chaîne pénale anti-corruption et de la délinquance financière spécialisée dans les questions de corruption qui permettent véritablement à des juges férus dans ce domaine, de pouvoir traiter les dossiers diligemment.

Laurent Bado avait proposé le délit d’apparence très prisé au Burkina. Des fonctionnaires avec un salaire de 150000 FCFA mensuel qui ont des étages par exemple. De quelle marge de manœuvre l’ASCE dispose-t-elle dans ce domaine pour combattre le mal ?

L’ASCE n’a pas à tenir compte de cela puisque cela est inscrit dans la loi anti corruption. Ce qui veut dire que l’ASCE aura la possibilité, dans le cadre de ses investigations de voir une disproportion entre ce que la personne possède et les biens qu’elle affiche, de demander à la personne de justifier le bien fondé de son patrimoine. C’est pour cela que la loi a donné à l’ASCE le droit de vérifier, pas simplement de recevoir les déclarations des patrimoines, mais de vérifier leurs véracités. L’ASCE ne se contentera pas de dire Monsieur X ou Y vient dire que je déclare, j’ai une maison valant tant. Il faudrait que chacun, en faisant sa déclaration atteste la véracité de sa délation. Si vous dites que vous avez une maison d’une valeur de 5 millions, il faut que nous prouvions en donnant à un expert immobilier qui fera un document pour le confirmer. Et même avec cela l’ASCE se réserve le droit de vérifier si l’expert n’a pas été corrompu. Tout cela fait partie des prérogatives de l’ASCE. Si vous n’avez pas fait la déclaration, l’ASCE constate et normalement la loi dit qu’il y a une résolution qui est prise contre la personne que refusent de faire des déclarations ou qui font de fausses déclarations ».

On a constaté que vous étiez l’une des personnalités de la Transition à déclarer vos biens, comme pour dire que le bon exemple commence par soi-même. Comment entendez-vous appliquer les nouveaux textes aux autorités de la Transition qui ont aussi déclaré leurs biens ?

Non ! l’ ASCE n’a pas encore la prérogative d’appliquer ce texte puisque nous sommes toujours dans la Transition et un texte supérieur, à savoir la Charte de la Transition dit que par rapport à la déclaration des biens, les membres du gouvernement, du CNT, et du président, c’est le Conseil constitutionnel en relation avec la Cour de justice qui assurent cela pendant la transition. Donc l’ASCE va prendre le relais après la transition. Pour l’instant je m’étonne que la presse dise que : Oui telle déclaration n’est pas une déclaration juste. Il faut lire tout simplement la Charte.

Il y a eu des personnalités qui ont déclaré des biens excessifs ?

Très excessif en ce moment. ça suppose que nous ayons des compétences pour le faire. Hors, pour l’instant, les décrets d’application concernant la loi n’ont pas encore mis en œuvre et l’ASCE ne peut pas faire des contrôles dotant plus que nous n’avons pas reçu de déclarations. En ce moment, nous aurions pu nous appuyer sur les textes. Hors les textes applicables actuellement sont ceux de la Charte. Ce qui veut dire qu’il appartient au Conseil constitutionnel, en relation avec la Cour des comptes de vérifier, car il est dit que quand les gens quitteront la Transition, ils devront faire une déclaration pour une vérification de l’écart entre ce qu’ils avaient au départ et ce qu’ils ont à la sortie. Cela n’est donc pas du ressort de l’ASCE. Il s’occupe de l’après Transition. Nous nous attelons pour jouer le rôle qui nous est confié dans l’après Transition.


Combien la corruption fait perdre aux deniers publics au Burkina ?

Si nous prenons le rapport 2013, nous voyons que le Burkina Faso a perdu 120 à 130 milliards de FCFA. La technique la plus utilisée c’est la non justification des dépenses qui est moyen le plus efficace pour noyer le poisson. Quand on demande pourquoi, la dépense n’est pas justifiée, on dit que ce n’est pas sûre que qu’on a détourné de l’argent. La corruption va nous frapper chacun de nous à un moment donné de notre vie. Même les corrupteurs vont être victimes. Quand on dit que ce sont les pauvres qui sont victimes c’est parce qu’à un certain moment, vous ne pouvez plus entrer dans la scène de la corruption. Nous avons tous intérêt à lutter contre la corruption, car c’est le bien public qui est remis en cause et le bien de chacun. La lutte contre la corruption n’est pas une lutte contre des personnes mais une lutte pour l’intérêt général. On ne peut pas s’épanouir seul dans un océan de misère. Si vous prenez une société où la grande majorité est pauvre, vous allez au-devant des révoltes et situations violentes. Il faut donc que l’ASCE soit restructurée pour lui donner plus de moyens, plus de pouvoirs pour qu’elle puisse être en accord avec la justice et les autorités de la Transition. C’est ainsi qu’elle puisse véritablement mener une lutte efficace contre la corruption.

Le REN-LAC a rendu public les résultats de ses enquêtes qui font état de la douane, la santé et de l’éducation comme étant les secteurs les plus corrompus. On a l’impression qu’il n’y a pas de changement dans la lutte contre la corruption

La lutte contre la corruption n’est pas une lutte à court terme. C’est l’installation et l’enracinement d’une culture du refus de la corruption qui peut permettre, à long terme, de vaincre la corruption. Cela suppose un changement de mentalité. Il faut qu’un grand travail de prévention et de sensibilisation soit fait. Il faut demander aux éducateurs et aux parents de réintroduire les valeurs morales d’intégrité, le ‘’burkindi ‘’. L’éducation, la sensibilisation constituent des éléments importants à faire. Il y a aussi l’exemplarité des responsables. Selon un adage « Le poisson pourrit par la tête ». Ceux qui sont au-devant de la gestion de la chose publique doivent être vertueux et on doit avoir des lois qui sanctionnent. La répression est le 3eétage de la lutte contre la corruption. Tant que la corruption sera une opération sans risque ou rentable la lutte serra vaine.

L’un des dossiers qui a une forte odeur de corruption a été celui de Ousmane Guiro, ancien directeur général de la Douane dont l’affaire a eu un dénouement lors des assises criminelles. Quelle appréciation faîtes-vous du verdict rendu ?

Si je dis que je suis satisfait, c’est grave. Nous sommes dans une situation d’appel. Vous avez une personne qui a de par devers lui des sommes qui lui sont données alors qu’il est payé par L’Etat pour faire ce travail. Malgré tout, il n’écope que de 2 ans avec sursis. J’espère que la Cour de cassation va prospérer, sinon il y a lieu de désespérer de la lutte anti-corruption. Ce qui est déplorable est que le juge dans l’exécution n’ait pas pris un certain nombre de volets de cette affaire. De ce point de vue il y a une situation à laquelle il faut sévir. Les corrupteurs peuvent continuer d’opérer en se disant qu’ils n’ont pas à s’inquiéter d’un quelconque jugement.

Plusieurs dignitaires de la 4e République sont soupçonnés de corruption. Qu’est-ce que l’ASCE peut faire concrètement ?

L’ASCE fait son programme. Elle a son programme d’investigations et livre le produit de ces investigations aux autorités qui doivent exploiter. Il est certain que les rapports de l’ASCE ont servi à des interpellations dans la mesure qu’il a été constaté des fautes de gestion évidente de certains dignitaires sur travail d’investigation sur pièces et sur place. Lorsque vous avez un marché et que ce marché n’a pas suivi les règles et qu’il y a eu surfacturation et autres, l’ASCE constate la situation. En ce moment, il y a des éléments que le juge peut trouver dans les rapports. L’ASCE elle-même ne peut poursuivre certaines situations. Actuellement nous venons de terminer les investigations en matière de lotissement à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Quand nous avons fini les faits étaient tellement calamiteux.

Y a-t-il des gros bonnets qui sont soupçonnés dans ces faits constatés ?

J’ai vu les premiers éléments qui sont tombés.

Voulez-vous parler de l’ex-maire de Ouagadougou ?

Que cela soit à Bobo-Dioulasso ou à Ouagadougou, nous nageons en pleine illégalité. Des réserves ont été déclassées sans suivre la procédure. Puisque pour déclasser une réserve, il faut une décision en Conseil des ministres. On a vendu des réserves à des particuliers sans suivre la procédure. On a fait des PV sans que ces PV ne soient paraphés ni paginés. Nous avons vu des PV dans lesquels il y a du Blanco avec des noms qui changent.

Qui sont ceux qui, véritablement, sont remis en cause dans ces dossiers dont vous parlez ?

L’ASCE a un devoir de discrétion. Il ne s’agit pas de dire que c’est un tel ou tel autre. L’ASCE ne fait que des constats. Nous ne qualifions pas. Nous n’avons pas ce pouvoir. Il appartient au juge de qualifier. Nous, nous fournissons les éléments de preuve. Ce qui est sûr, il y a des choses désastreuses constatées.

Que pensez-vous de la crise qui a secoué, notamment celle entre le PM et le RSP ?

Ne soyons pas dupes. Ce sont les chainons d’une même chaîne. Au départ, pour remettre en cause la Transition, on a commencé par une revendication corporatiste. On a quitté cela pour dire qu’on prend en otage le Conseil des ministres. Dans quel Etat démocratique des militaires viennent prendre en otage le Conseil des ministres sans qu’une sanction ne soit prise. On renouvelle cela et il y a une réaction des citoyens. Les militaires sont une partie prenante de la charte. Ils ont signé au nom de la hiérarchie militaire et non au nom du RSP. De ce point de vue, il n’appartient pas aux RSP de dire que les militaires doivent sortir. La conséquence aurait été que la Transition soit mise à mal et à cette allure, il n y aura pas d’élections. Ce qui est étonnant, c’est que pendant 27 ans, les gens ont installé les militaires dans les gouvernements et qu’ils viennent nous dire aujourd’hui que les militaires doivent rentrer dans les casernes. Si le ridicule devrait tuer, ces gens seraient déjà morts. Les militaires qui veulent être présidents où étaient-ils ? C’est un faux problème.

A qui faîtes-vous allusion ?

Il y a Djibrill Bassolé, Yacouba Ouédraogo. L’opération de la sortie des militaires est une opération pour mettre à mal la Transition. C’est une façon de mettre le bâton dans les roues de la Transition. Les gens de l’ex-majorité ne voient en réalité que leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont fait pour conduire Blaise Compaoré où il est, en étant des courtisans. Ils ne voient que leur bedaine et leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont conduit Blaise Compaoré dans le gouffre. Aujourd’hui, ils ne voient que leurs intérêts en oubliant le Burkina Faso. Il n y a pas de crise entre militaires, il y a seulement un plan machiavélique qui a été monté pour déstabiliser la Transition et faire ce qu’on appelle, une contre-insurrection. Il faut que les insurgés et le peuple se dressent pour éviter que les gens qui ont spoliés, pendant 27 ans, puissent remettre en place un système qui a été vomi, le 30 et 31 octobre 20141

Interview réalisée par Soumoubienkô Roland KI
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