Le mouvement sunnite couramment appelé ‘’wahabia’’ et les musulmans dits ordinaires ou encore les malékites (Nldr. : plus répandus au Burkina) du village de Ouaregou dans la commune rurale de Garango dans le Boulgou sont à couteaux tirés depuis 2008. Résultat, les premiers sont interdits d’exercer leur pratique dans le village. Toutes les fois qu’ils ont tenté de construire leur mosquée, ils ont trouvé en face d’eux une résistance de la part de leurs coreligionnaires. 9 personnes interpellées et des biens matériels saccagés sont le lot de cette crise qui dure depuis 2008. Nous avons séjourné dans le village les 18 et 19 juillet 2015 où nous avons rencontré les principaux protagonistes.
En juin 1973, une crise intra confessionnelle avait endeuillé la ville de Bobo-Dioulasso. Les musulmans dits ‘’wahabias’’ et les musulmans dits ordinaires avaient poussé le bouchon de leurs querelles intestines jusqu’à aboutir à un affrontement sanglant. Ce genre de conflit a la peau dure car 42 ans après, quelques localités vivent la situation même si c’est avec moins d’horreur, reconnaissons-le. C’est le cas de Ouaregou, dans la commune rurale de Garango dans la province du Boulgou où les musulmans dits ordinaires et le mouvement sunnite se regardent en chien de faïence. Les divergences entre les deux communautés sont perceptibles déjà quant à la date de la célébration de l’ ‘’ Aïd el fitr ‘’. Le mouvement sunnite a célébré la fête du ramadan le vendredi 17 juillet 2015 alors que les autres l’ont célébré un jour plus tard.
A Ouaregou, la déchirure entre les coreligionnaires est si grande que les premiers responsables du mouvement sunnite passent le clair de leur temps à Béguédo, commune rurale située à 5 km du village. C’est dans cette commune où les immigrants bissa vivant en Italie ont fait de grands investissements infrastructurels que nous avons rencontré le mouvement sunnite de Ouaregou. C’est peu après la prière de ‘’ zouhr ’’ (Ndlr : prière débutant vers 12h 45 mn) que l’échange a eu lieu à l’ombre d’un hangar. Il ne faisait pas chaud malgré le fait qu’il était 13h passées. Le soleil dardait à peine ses rayons. C’est dire que le temps favorisait des échanges nourris avec les 6 représentants du mouvement religieux très contestés à Ouaregou. C’est Souleymane Bancé, propriétaire terrien qui nous a présenté les faits par l’entremise de son traducteur, Idrissa Darga. Voici la version qui nous a été servie : « Le problème a commencé depuis 2008. Il s’est intensifié notamment en 2013. Deux jeunes, Ousmane et Abdoul Aziz, sont venus me demander un terrain pour construire une mosquée parce qu’ils subissaient des menaces dans le village. C’est à cause de leur appartenance au mouvement sunnite. J’ai marqué mon accord en leur octroyant un lopin de terre , car selon moi, chacun est libre de pratiquer sa foi. Peu de temps après, à défaut d’une bâtisse, il a été érigé un hangar en guise de mosquée. Après cela des gens du village sont venus me demander des comptes. Selon eux, je participais en octroyant le terrain à la propagation du mouvement sunnite à Ouaregou. Aussi, ont-ils menacé de retirer le terrain aux sunnites. Bien entendu, j’ai opposé un refus catégorique parce que quand il s’est agi que je donne un de mes terrains pour la construction d’un forage personne ne s’y est opposé. Maintenant qu’il s’agit d’une mosquée, des gens s’excitent », a-t-il relaté sous le regard attentif des autres membres. Les explications étaient livrées dans une ambiance solennelle, les uns et les autres écoutant le vieux avec religiosité. Malgré la fraicheur, de l’eau fut servie à l’assistance. La suite de l’histoire montre à telle enseigne le bras de fer allait se durcir entre ceux que l’on appelle communément wahabias et les musulmans dits ordinaires ou encore malékites.
Les concertations entre les protagonistes, le chef de Ouaregou et les autorités administratives du département de Garango et de la province du Boulgou n’ont pu résoudre le problème tant la scission était déjà si grande. Retour avec Souleymane Bancé qui a apporté des précisions. « Devant le chef de Ouaregou, j’ai dit que le terrain m’appartient et que je pouvais faire l’usage que je voulais, y compris l’octroie. Après la rencontre avec le chef du village, les choses ne se sont pas améliorées puisque des villageois perturbaient fréquemment la prière des adeptes du mouvement sunnite sur le terrain que j’avais octroyé. Ils ont d’ailleurs été copieusement molestés et le hangar qui tenait lieu de mosquée a été saccagé. Au regard de la tournure que prenait le problème, le chef de Ouaregou est monté au créneau pour apaiser la situation. Le préfet de Garango est, lui aussi, intervenu. Il ne comprenait pas la raison pour laquelle les sunnites étaient interdits de vivre leur foi dans le village. Les arguments de nos détracteurs étaient si bas que le préfet leur a dit que selon les textes en vigueur au Burkina, la liberté de croyance était reconnue. Il a, par conséquent, demandé que les sunnites puissent prier sans être perturbés. Mais, les autres musulmans n’entendaient pas cela de cette oreille, car selon eux, il est hors de question que le mouvement sunnite s’installe dans le village. Face à une telle témérité, le préfet s’est lavé les mains », a confié Souleymane Bancé. La solution fut alors la voie judiciaire. C’est ce qui fut fait selon toujours la version servie par le mouvement sunnite : « 3 instigateurs ont été arrêtés par la justice. Après les avoir arrêtés, leurs parents sont venus intercéder auprès du chef de Ouaregou pour qu’on les libère. Appelés pour la négociation, les sunnites ont dit qu’ils pouvaient retirer leur plainte, mais qu’ils voulaient pratiquer tranquillement leur foi dans le village. Cela a été accepté par les autres musulmans. A la justice, ils ont dit qu’ils avaient fumé le calumet de la paix. Effectivement, leurs trois compères ont été libérés. Mais, quand ils sont revenus au village, ils ont dit qu’ils avaient fait une fausse promesse pour avoir la libération des leurs. Aussi ont-ils de nouveau saccagé des mobylettes et des immeubles appartenant aux adeptes du mouvement sunnite. La mosquée, en construction, a été saccagée ». Face à un tel niveau de violence, il a fallu faire recours aux forces de sécurité, en l’occurrence à la Compagnie républicaine de sécurité ( CRS), qui ont établi leurs pénates dans le village pendant 3 jours. Après le départ des flics, les vieux démons ont refait surface, foi de Souleymane Bancé. « 9 personnes ont, de nouveau, été interpellées parce qu’elles ont martyrisé les adeptes du mouvement sunnite. Cela a créé l’ire des villageois qui nous accusent d’avoir enfermé leurs fils alors que nous sommes des victimes. Pour eux donc, il fallait que les 9 agitateurs soient libérés pour que nous ayons la paix au village. Nous avons dit que nous n’y voyions pas d’inconvénient, mais à condition que l’on nous empêche plus de prier. Nous avions aussi peur de retirer notre plainte après l’amère première expérience que nous avions vécue. Nous ne voulons pas faire libérer des gens qui vont nous brutaliser. Mais, en tout état de cause, nous sommes pour la cohésion sociale et la bonne entente dans le village. Tenez-vous bien qu’il y a des motos qui ont été saccagées, des gens qui ont été blessés et des pères de famille qui sont allés se réfugier à Béguégo, Tenkodogo et Ouagadougou », a-t-il regretté. Voici résumé selon l’aile sunnite la crise intra confessionnelle de Ouaregou.
En attendant que la justice tranche définitivement le problème qui les oppose aux autres membres de la communauté musulmane, les sunnites continuent de prier tous les vendredis à Béguédo. Pourtant, dans la recherche de la résolution de la crise, des alternatives ont été trouvées, mais elles ne sont pas du goût des adeptes du mouvement sunnite. « Actuellement, d’autres s’opposent toujours à ce que le mouvement sunnite s’installe à Ouaregou. Ils disent que les sunnites peuvent pratiquer leur religion, mais en dehors du village. Pour cela, ils ont trouvé un terrain en dehors du village pour que nous construisions notre mosquée. Les adeptes du mouvement sunnite n’ont pas été associés au choix du terrain. Cela a été fait de façon arbitraire. Pour les fidèles du mouvement sunnite, ce n’est pas la meilleure solution, parce que le nouveau lieu est très loin. Il est à 7 km du village. On ne peut pas aller dans un lieu lointain 5 fois par jour pour prier. Il y a des prières même la nuit. Il y a, en outre les femmes et les enfants, qui ne peuvent pas forcément faire de grande distance. Tout le monde ne dispose pas aussi de moyens de locomotion pour parcourir 7 km, 5 fois par jours. Nous avons notre terrain. Pourquoi ne pas nous laisser y construire notre mosquée ? Quand nous avons dit que c’était loin, ils ont trouvé un autre terrain situé à 300 m du premier. Nous avons, en outre, refusé le nouveau terrain parce qu’il y a une rivière qui nous sépare. En saison pluvieuse, nous ne pouvons pas nous déplacer pour aller prier. Leur intention, c’est de nous y amener pour que les fidèles se découragent et abandonnent la mosquée. Quand ils veulent choisir le terrain, nous ne sommes pas consultés », a laissé entendre le vieux Souleymane Bancé. Mais quel est le fond du problème ?
Des bagarres personnelles qui se déteignent sur la communauté
Nous avons cherché à savoir la raison profonde de la crise, car telles présentées, on se perd souvent dans son latin. Selon les sunnites, c’est par crainte de succès de leur mouvement que les autres musulmans s’opposent. « En réalité, nous ne savons pas pourquoi les Malékites ne veulent que nous priions dans le village. Ils disent que si nous nous installions, nous allons recruter leurs fidèles. Nous ne savons pas s’il y a d’autres raisons. Les sunnites sont des musulmans comme les autres. Dans la pratique, il y a des différences. Les gens trouvent que les sunnites sont beaucoup plus rigoureux. Sinon, c’est le même Dieu que nous prions. Nous utilisons le même Coran et doivent aller à la Mecque si les moyens nous permettent. Nous avons le même prophète et jeûnons ensemble », a expliqué Idrissa Darga. Nous sommes rentrés en contact avec l’imam de Ouaregou, Hamado Bancé, un acteur clé dans la crise entre le mouvement sunnite et les musulmans dits ordinaires. Voici sa version : « La crise que nous vivons est consécutive au manque de respect. En effet, nous étions traités de tous les noms d’oiseaux dans le village par les adeptes du mouvement sunnite. Nous prions dans la même mosquée quand ils ont commencé à se réunir pour aller prier dans un autre lieu », a-t-il dit avant de préciser ceci : « ils disaient que notre voie religieuse n’était pas la bonne ». A la question de savoir pourquoi on empêche les adeptes du mouvement sunnite de construire leur mosquée, l’imam de Ouaregou est formel : « Personne ne les empêche. Mais, on a exigé d’abord l’entente.» Qu’en est-il de cette histoire de femme présentée par certains comme la source de la crise ? L’imam du village a accepté de lever un coin du voile de l’histoire. « Le problème de la femme fait partie de la crise. Après le décès du mari de cette dernière, j’ai décidé de l’épouser. Chèba Bancé était aussi un prétendant mais elle n’a pas accepté. Il est, en réalité sur le plan traditionnel un enfant de la femme. Cela a duré une année. Un jour, j’ai demandé à la femme pourquoi elle était toujours au village sans mari après son veuvage. Elle m’a dit que personne n’était venu dire qu’il la voulait pour femme. J’ai demandé sa main. Elle a donné une réponse positive et nous nous sommes mariés. Après cela, Chèba dans le village disait que c’est lui qui voulait épouser cette dernière et que moi je l’ai détourné. Je ne pouvais plus laisser la femme parce que ce n’était pas bien. Mais depuis lors, il ne prie plus avec nous », a raconté l’iman du quartier. Lorsque nous avons rencontré les représentants du mouvement sunnite, ils n’ont pas pipé un seul mot par rapport à cette histoire d’idylle. C’est Moustapha Bancé, alias délégué du village, qui a abordé le point non sans revenir sur sa version de la crise que vit Ouaregou. Pour lui, le vœu du village est la paix. « Nous invitons les différents protagonistes à mettre de l’eau dans leur vin pour que la paix s’installe définitivement dans le village. En réalité, les gens n’ont pas refusé que les sunnites construisent la mosquée. C’est la manière de faire qui n’a pas été du goût des habitants du village. Je prends votre cas. Si vous venez pour travailler au village et que vous n’avisez pas les premiers responsables, je ne suis pas sûr que le travail se fasse dans les meilleures conditions. Celui qui est à la base du problème s’appelle Chèba Bancé. C’est lui qui mène la rivalité avec l’imam du village à cause d’une veuve. Chèba est allé voir le muezzin de la mosquée du village pour dire que l’iman a pris sa femme. Tous deux ont quitté la mosquée où ils priaient pour aller chez les sunnites. Les sunnites, en son temps, priaient à Béguédo. Un jour, ils ont dit qu’ils vont construire une mosquée à côté du marché. Les gens ont opposé un refus. C’est en ce moment que Souleymane Bancé a octroyé un terrain qu’il avait à Dissiam au mouvement sunnite. J’étais à la maison lorsqu’ on m’a informé qu’il y a des travaux de construction d’une mosquée dans le village. Les voisins ont dit qu’ils n’étaient pas d’accord parce qu’ils n’ont pas été informés auparavant. Je suis allé les voir et j’ai demandé ce qu’ils faisaient. Ils ont dit qu’ils étaient en train de construire une mosquée. Je leur ai dit que cela était une bonne chose, mais qu’ils devaient néanmoins aviser les voisins. Ils ont dit avoir informé les voisins alors que ceux-ci soutiennent le contraire. C’est après cela qu’il y a eu des affrontements et des gens ont été enfermés. Les sunnites ont été remboursés parce que leurs motos ont été saccagées. Malgré cela, les gens sont toujours en prison. Les chefs coutumiers et les habitants du village sont allés demander pardon. Ils ont accepté. Peu de temps après, les sunnites ont dit que leur hangar qui servait de mosquée a été brûlée. Je ne peux pas confirmer cela parce que je n’ai jamais vu cela. Les sunnites sont allés prendre une deuxième convocation et 9 personnes ont été interpellées. C’est leur enfermement qui a provoqué l’ire des femmes qui ont dit qu’elles n’étaient pas d’accord », a raconté le délégué du village. Il a par ailleurs soutenu que toutes les démarches ont été entreprises pour l’apaisement de la situation, même si pour le moment c’est le statu quo. Aussi a-t-il poursuivi : « Un autre jour, nous avons appris qu’il y a un véhicule qui est venu déposer du sable. Nous avons tout de suite informé le chef de Ouaregou et le préfet de Garango pour qu’ils interviennent parce que nous savions que cela pouvait être source de tension dans le village. C’est le lendemain que les sunnites sont venus avec des cordes pour faire le traçage. Quand nous sommes allés voir le préfet, il a dit qu’il n’était pas au courant. Je suis allé leur demander ce qu’ils voulaient faire. Ils ont dit qu’ils voulaient construire une mosquée pendant qu’il y a des personnes incarcérées. Ils m’ont dit de les laisser parce qu’il s’agissait d’un bras de fer entre eux et les habitants du village. Par la suite, la situation s’est dégradée. Il y a eu des affrontements. Les concertations ont été reprises dans le sens de l’apaisement et dans celui de la libération des détenus. C’est ainsi que les chefs coutumiers du village se sont réunis pour leur trouver un espace afin de construire ladite mosquée. Personne ne voulait octroyer son terrain pour la construction d’une mosquée. C’est le chef de Nangargou qui a accepté donner son lopin de terre. Ils ont dit que le lieu était loin parce qu’il n’y a pas de puits. Mais, ils auraient accepté aller prier et aménager progressivement le lieu. Nous avons refait une rencontre et le chef de Dissiam a donné un terrain, encore plus proche. Nous avons appris par la suite qu’ils ont dit que le lieu était encore loin et qu’ils voulaient forcément que ce soit dans le village. La situation était tellement délétère qu’ils ont été contraints de fuir le village laissant leurs femmes et leurs enfants. Ils ont été invités à revenir au village pour une réconciliation. Quand ils sont revenus, ils sont restés sur leur position. Nous les médiateurs, nous avons lavé nos mains, parce que l’on croyait qu’ils voulaient entendre raison. J’ai l’impression qu’ils veulent que la situation s’envenime dans le village », a raconté le délégué du village. Le chef de Nagargou, le Naaba Togré, nous a montré les différents lieux qui ont été octroyés aux adeptes du mouvement sunnite. Ils sont situés, en effet en dehors du village et il faut, effectivement traverser un cours d’eau pour y accéder. Pour le chef de Nangargou, son seul souhait est la paix dans le village : « Nous avons toujours voulu la paix dans le village. C’est pour cela que nous avons initié des médiations pour apaiser la situation. Nous avons mené la médiation avec Moustapha Bancé et Henri Bancé. Nous sommes allés voir tous les chefs coutumiers qui ont accepté de concéder un terrain aux sunnites à Bonsonro. Ceux-ci ont dit que le lieu était éloigné. Nous n’avons pas voulu trop discuter avec eux. Aussi, nous avons trouvé un autre lieu, notamment à Lepèzanga. Le chef de Dissiam a accepté de donner le terrain à cause de la cohésion sociale. Nous ne savons pas s’ils sont d’accord ou pas », a-t-il dit. Avec plus de 1 000 adeptes à Ouaregou, le mouvement sunnite souhaite pratiquer dans la paix sa foi. En attendant, l’affaire est à la justice de Tenkodogo. Gageons qu’elle fera un traitement diligent non seulement pour la paix dans le village mais aussi pour la consécration du droit à la croyance1
LUC MARIUS IBRIGA