On le sait, la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rendu sa décision sur l’affaire qui opposait le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et autres requérants à l’Etat burkinabè. Cette décision continue de défrayer la chronique et d’alimenter les débats. Pour les uns, le CDP sort vainqueur de cette affaire tandis que pour d’autres, l’Etat burkinabè n’est pas obligé de respecter la décision de la Cour et peut exclure ceux qui ont soutenu la modification de l’article 37 des élections prochaines. Pour donner sa lecture sur la décision des juges de la Cour de la CEDEAO, le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a organisé un dialogue démocratique le 18 juillet dernier. Animé par le Pr Séni Ouédraogo, ce dialogue a permis aux participants de donner leur point de vue sur la décision et de faire des propositions à l’Etat burkinabè.
D’entrée de jeu, Pr Séni Ouédraogo s’est félicité de la décision du chef de l’Etat, Michel Kafando, de respecter le verdict de la Cour de Justice de la CEDEAO. Il vous souviendra, en effet, que Michel Kafando avait annoncé au cours de son discours à la nation, le 16 juillet dernier, que l’Etat burkinabè se conformerait à la décision de la Cour. Le Professeur a, par contre, relevé une insuffisance notoire dans la décision de la Cour qui pourrait emmener l’Etat burkinabè à exécuter la décision après la
transition : celle de l’absence de délai d’exécution. « La Cour ne précise pas à quel moment la décision doit être appliquée. Elle s’est contentée seulement de demander à l’Etat burkinabè de lever les obstacles. Pour ce faire, si l’Etat burkinabè est de mauvaise foi, il peut l’appliquer après les élections et même après la transition. Il n’y a aucune disposition dans le verdict qui oblige l’Etat à le faire avant les élections », a relevé Pr Séni Ouédraogo. Mais, poursuit-t-il, «je voudrais rassurer les Burkinabè qu’il n’y a pas lieu de s’affoler ; une décision de justice a été rendue, donc il faut l’appliquer », a dit le conférencier qui insiste sur le fait que la Cour a demandé à l’Etat burkinabè de lever les obstacles. Lesquels obstacles, fait-il savoir, sont consécutifs à la modification de la Loi électorale, c'est-à-dire l’article 135.
La cour reconnaît le droit de restriction à l’Etat burkinabè
«A mon avis, ce qu’il convient de faire, c’est de prendre une loi pour supprimer cet article. C’est vrai qu’il y a des dispositions qui interdisent de réviser une loi à 6 mois des élections mais comme il y a consensus entre les deux parties, c'est-à-dire entre l’Etat et le CDP, l’article 135 peut être supprimé par le Conseil national de transition par une loi», a reconnu Pr Séni Ouédraogo. Par la suite, il précise que la suppression de l’article ne signifie pas que l’Etat burkinabè n’a pas le droit d’encadrer les droits politiques qui sont par définition des droits subjectifs. D’ailleurs, mentionne-t-il, l’article 25 alinéa 3 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance tend à exclure ceux qui ont participé à un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Il appartiendra donc au juge constitutionnel ou administratif qui viendrait à être saisi de donner la lecture qu’il fait de cette disposition au niveau interne. En outre, il indique que la Cour, dans sa décision, a reconnu le droit de restriction à l’Etat burkinabè. «Elle a dit que l’Etat a le droit de restreindre mais cette restriction doit être raisonnable, légale et proportionnelle. Je pense que cela veut dire que la restriction ne doit pas être brutale, de sorte à éliminer des citoyens qui n’ont rien à voir avec ceux qui ont soutenu la modification de l’article 37. La Cour a donc rappelé que la restriction doit s’appliquer aux dirigeants du CDP au moment des faits », a expliqué Pr Séni Ouédraogo. Sa communication a été suivie d’échanges et de commentaires des participants issus de différents partis politiques et de la société civile. Les professeurs Augustin Loada et Luc Marius Ibriga ont, tour à tour, invité la population à rester mobilisée pour qu’au soir du 11 octobre, le pouvoir ne retombe pas entre les mains des dirigeants du CDP. «Ce serait un retour à la case départ », a conclu Augustin Loada.
Yannick SANKARA