Depuis plusieurs années, l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) a pris la décision de mettre un certain nombre de ses prestations sous la coupe des prestataires externes placés sous la haute supervision de leurs techniciens. Mécontents de leur traitement, les ouvriers d’un des prestataires ont multiplié des sorties face aux médiasen exigeant de meilleures conditions de vie et de travail. Dans le but de mieux comprendre ce qui se passe dans ces tiraillements entre l’ONEA, le prestataire externe et les ouvriers, nous sommes allés à leur rencontre afin d’éclairer davantage l’opinion publique sur la situation.
« Maintenance de réseau, réparation de fuite d’eau, accompagnement des plombiers dans les agences pour des services, des prestations au niveau du magasin (chargement, rangement de matériels), pompage, branchement et production d’eau», ce sont, entre autres, les tâches dévolues aux prestataires externes, selon les contrats qui les lient à l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). En décembre 2014, lors d’une conférence de presse, la première d’ailleurs de leur sortie, les ouvriers de la Chaine de l’expérience et distribution du Burkina Faso (CED/B), l’entreprise incriminée, ont fait des déclarations faisant état de leur rôle, de leur traitement et exigé une amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Après plusieurs tentatives, nous avons pu rencontrer l’un des responsables des ouvriers qui nous a donné des explications sur les raisons de leur acharnement contre l’ONEA et leur employeur qui est la CED/B en ces termes : « Avant l’arrivée des prestataires externes, nous travaillions avec l’ONEA en tant que contractuels. Le traitement se faisait par pointage et chacun gagnait son compte. A la fin du mois, tu pouvais te retrouver avec au minimum 90 000FCFA et tu parvenais à joindre les deux bouts sans soucis. En 2007, les prestataires extérieurs (CED/B, GBI) sont arrivés. Lorsque ceux-ci sont arrivés, ils ont assisté les anciens ouvriers qu’ils ont trouvés sur place avec l’ONEA durant une année avant de signer un contrat avec l’institution. Ils ont pris le temps d’étudier le volume horaire et de travail des ouvriers. Une année après, nousavons été conviés par l’un des prestataires (CED/B) à signer des contrats dans lesquels les salaires y étaient déjà déterminés». A la question de savoir s’ils n’ont pas pris connaissance du montant qui leur revenait à la fin du mois avant de signer le contrat, celui-ci a répondu par l’affirmative et a justifié l’acte de la signature du contrat par le fait qu’ils espéraient avoir une amélioration plus tard. «Le prestataire nous paye 37500FCFA, un salaire qui n’atteint même pas le SMIG. Il n’y a pas d’indemnité ni d’ancienneté. Il n’y a aucun avantage lié à l’exercice de notre métier.En plus, au moment de la signature des contrats avec le prestataire, nous lui avons exigé 75000FCFA. En fin de compte, le patron nous fait savoir ce qu’il peut payer : 37500FCFA. Pourtant, nous savons ce que nous faisons sur le terrain. En décembre 2014, nous avons donc décidé de revendiquer ce qui devrait nous revenir de droit, car nous savions que ce que nous percevons, n’est pas notre revenu. Ainsi, nous avons demandé une augmentation de salaire à 80 000FCFA », explique François Valea,Délégué général des ouvriers de CED-B et GBI. Pour ce qui est des reproches faits à l’ONEA, le délégué général des ouvriers a déploré le non suivi de l’ONEA dans le cadre de leur traitement par le prestataire. «Là où l’ONEA a été fautif, il n’a pas veillé sur la question de nos salaires avec notre employeur. Si l’ONEA dit que nous ne sommes pas leurs contractuels, c’est à eux de demander au prestataire d’accomplir ses tâches avec ses propres matériels. Sinon, nous n’avons jamais vu une entreprise dans une entreprise», a-t-il précisé. Afin de trouver une solution au problème, ils disent avoir effectué des démarches de négociation auprès de l’ONEA, du prestataire et du ministère de tutelle. Au sortir de ces échanges, ils disent n’avoir jamais eu satisfaction. «Nous avons échangé avec le ministère, l’ONEA, le prestataire, mais rien de satisfaisant. C’est toujours la même chanson : « On va arranger ». Jusqu’à nos jours, rien n’a été fait. Pire, le prestataire libère 8 de nos camarades à la suite d’un sit-in que nous avions eu à organiser.A l’heure actuelle, nous revendiquons également leur retour», a confié François Valea. En revanche, ils ont regretté la conduite du ministère de tutelle qui a prolongé le contrat du prestataire incriminé du moment où des négociations sont en cours pour permettre aux ouvriers de bénéficier d’un certain avantage susceptible d’apporter un plus à leurs conditions de vie et de travail. Relativementaux modes de recrutement par le prestataire, le délégué général et ses collègues disent avoir été sélectionnés sur dossier à la suite d’un appel d’offres. Lorsqu’ils ont été interrogés sur les raisons de l’exécution de certaines tâches de l’ONEA par des prestataires extérieurs, voici la réponse que nous avons pu retenir de la part des ouvriers : «Le problème avec l’ONEA date de depuis 2006. Ce qui a causé le problème depuis cette période, il se trouvait qu’il y avait des ainés qui ont travaillé avec l’ONEA pendant plus de 10 ans sans opportunité d’embauche. Comme sur les papiers tout est ONEA, ces gens sont allés voir le médiateur. Le médiateur a dit que ce n’est pas normal que l’on traite des agents de la sorte. Ainsi, l’affaire a été traduite en justice. De là-bas, l’ONEA a perdu et a dédommagé les plaignants ».
« Je ne leur ai rien caché. Ils sont bien informés du fonctionnement de l’entreprise »
De l’avis du gérant de l’entreprise CED-B, Remi Kaboré, les ouvriers et eux travaillent ensemble pour certains depuis 2007. Parlant des échauffourées entre eux, le gérant a indiqué que c’est courant décembre 2014 qu’il a été saisi de l’existence d’un problème. « Les travailleurs ne nous ont rien dit. Ils ne nous avaient jamais posé de problème. C’est un jour que nous avons été saisis par les agents du ministère en charge de l’Eau qui nous a dit qu’il y a un écrit émanant des travailleurs qui nous incriminaient et qu’ils souhaiteraient nous rencontrer. Le même jour, nous avons été reçus par le Directeur des ressources humaines du ministère en charge de l’Eau le 19 décembre 2014. C’est là que l’écrit nous a été présenté avec un certain nombre de signataires dont certains d’entre eux travaillaient avec nous et nous avons donné au ministère les informations que nous pouvons leur donner au vu du contenu de l’écrit », a expliqué Rémi Kaboré. En outre, le gérant de CED-B a révélé qu’il existait deux contrats distincts entre eux et l’ONEA notamment un qui concerne le suivi des installations hydrauliques qui finissaient en fin février 2015 et qui prend en compte 52 agents. Le deuxième, quant à lui, concerne la fourniture de main d’œuvre occasionnelle pour les prestations externalisées qui venait à terme le 3 juillet 2015. Celui-ci touche 120 agents. Au terme du premier contrat, le gérant de CED-B, Rémi Kaboré a laissé entendre que celui-ci a été renouvelé et qu’il a procédé à un renouvellement des contrats de ces agents, soit 52 agents. Le contrat tirant vers son terme, en fin février et l’ONEA ayant notifié le renouvellement, il dit avoir donné aux agents concernés, des lettres de rappel de fin de contrat et les inviter à prendre attache avec le chargé du personnel de l’entreprise pour la reconduction des contrats. Chose qui a été faite par la majorité d’entre eux dont 8 personnes qui, à la période, ne se sont pas manifestées.« Quand l’ONEA nous a signifié, que notre contrat a été renouvelé, nous avons décidé de reconduire les contrats des agents. Il se trouvait qu’en fin février, à partir du 26, un certain nombre d’agents sont allés en grève. On nous a écrit le 25 février vers 16 heures pour nous dire que le 26, ils sont en grève. A l’issue de cette grève, beaucoup ont milité pour inciter certains agents à ne pas signer les contrats. De là,il y a eu huit personnes, dont les contrats, jusqu’au soir du 28 février, n’ont pas été signés. Et tant qu’eux(les ouvriers), ils ne signent pas, moi je ne peux pas valider. Et comme le 1er, les gens doivent travailler, j’ai validé ce que j’avais sous la main.Du fait que nous étions en période houleuse, j’ai relevé les huit noms et j’ai échangé avec certains responsables de l’ONEA notamment le juriste qui était intervenu pendant que nous étions en pourparlers. C’est de là, la question de licenciement dont parlent les agents est partie. Sinon à mon niveau, personne n’a été licencié, ce sont eux-mêmes qui ont refusé de signer les contrats », a-t-il soutenu. Mais, à l’heure où nous discutions, le gérant nous a informés que sur les 8 agents, seul trois n’ont pas renouvelé leur contrat sous prétexte que leurs sites d’intervention ne leurs convenaient pas, tandis que l’entreprise a procédé à une réorganisation au niveau deshoraires de travail, induisant du même coup une augmentation de salaire.
« Ils sont payés sur la base de ce que l’ONEA nous verse comme salaire pour nos prestations »
Il a, en outre,affirmé qu’avant l’avènement de cette réorganisation, les salaires avaient été négociés et que les agents n’avaient pas le même salaire,au regard de plusieurs facteurs qui étaient pris en compte à savoir l’ancienneté, le type de prestation avec l’ONEA et avec l’employé. «Lorsqu’ils disent qu’ils sont payés à 37500FCFA, c’est ce qu’ils perçoivent après la soustraction des différentes taxes telle la taxe patronale (3% du salaire), la cotisation patronale pour la CNSS (16%), les IUTS. En plus de ces charges, nous sommes obligés d’offrir du matériel de protection et des équipements à ces agents. Ce n’est pas la moindre tâche, Il faut savoir également que chaque agent a droit à un congé payé qui est deux jours et demi par mois », a-t-il dit. En marge de ces charges, le gérant Rémi Kaboré a laissé entendre que les agents n’ont pas le même salaire, car ceux-ci ne font pas le même travail et n’ont pas été négociés de la même façon. Aussi, il a mentionné qu’ils travaillent dans un contexte de contrat à durée déterminée et que chaque employé sait quand son contrat arrive à terme. Dans la même logique, le gérant de CED –B a confié qu’iltravaille sur la base de ce qu’offre l’ONEA comme prestation.Ainsi, il précise que pour faire une offre, un montantn’est pas défini à l’avance. « On part d’un certain nombre d’éléments de calcul pour aboutir à quelque chose. Pour notre cas, ce sont des prestations bien précises en direction d’un client bien précis. Et avec ce client nous avons un contrat qui définit ce que nous percevons pour telle ou telle tâche. C’est en fonction de ce que nous percevons, que nous proposons un salaire aux ouvriers », a décliné le gérant. Le second contrat, quant à lui, prenait fin le 3 juillet 2015 et ce faisant, le gérant soutient avoir procédé à un rappel de fin de contrat en attendant que celui-ci soit renouvelé par l’ONEA. A l’en croire, le contrat n’étant pas renouvelé par l’ONEA, les 120 agents aussi n’ont pas vu leur contrat renouvelé.Pour lever toute équivoque sur la crédibilité de son entreprise taxée de fictive par les employés, le gérant Remi Kaboré a tenté de démontrer, pièces à l’appui, son existence qui date de 1999. « L’entreprise m’appartient. J’ai arrêté d’être salarié depuis cette période pour faire de la consultation. C’est exactement en 2007 que j’ai commencé à travailler avec l’ONEA. Pour ce qui est de mon titre, vous n’êtes pas sans savoir, que dans le contexte d’une Société à responsabilité limité (SARL), elle est dirigée par un gérant », a répondu Rémi Kaboré. Selon le gérant de CED-B, les travailleurs souhaitent une annulation des entreprises externes pour faire place à l’ancien système de travail qu’appliquait l’ONEA à savoir le système de pointage.
Les syndicats jouent leur partition
Quant à la part de responsabilité du syndicat de l’ONEA, un membre nous a signalé qu’une commission a étémise en place pour servir de médiateur entre les différentes parties à savoir l’ONEA, le prestataire et les ouvriers. Du reste, il a ajouté que, même si les ouvriers n’ont pas de contrat direct avec l’ONEA, c’est quand même sur des sites ONEA que ceux-ci interviennent. « Dans les appels d’offres, je pense qu’il n’est pas indiqué de donner tel ou tel montant pour ce qui est des activités que le prestataire externe mène. Les gens sont libres de proposer des prix et c’est le plus offrant qui l’emporte. C’est vrai que les prestataires ont des obligations, mais ils font aussi des choses qui ne collent pas trop avec la vie de leurs employés. Nous essayons toujours de jouer les médiateurs », a-t-il déploré.
L’ONEA récuse toute implication dans la crise
Le Directeur régional de l’Office national de l’eau et de l’assainissement, Saïdou Kafando, estime, pour sa part, que ces agents qui se prétendent être des agents ou des contractuels de l’ONEA, ne le sont pas. « Ils ont plutôt un contrat avec un prestataire que l’ONEA a recruté pour pouvoir effectuer certains de ses travaux », a-t-il dévoilé. Réagissant sur les raisons qui ont prévalu à l’appel d’un prestataire extérieur, le directeur régional de l’ONEA a avancé que cela est dû au fait que l’ONEA n’arrivait pas à maîtriser la gestion des ouvriers qui y intervenaient et qui étaient rémunérés par un système de pointage journalier selon les services accomplis.« Depuis plusieurs années, l’ONEA a décidé de confier un certain nombre de ces activités à des prestataires externes. Ce qui a valu à l’élaboration d’un appel d’offres pour le recrutement de prestataires et nous a permis de retenir deux prestataires de service avec qui l’ONEA a signé un contrat et qui s’occupent des activités de l’exploitation. Ce contrat de prestation consiste à fournir de la main d’œuvre aux équipes de l’ONEA pour faire des travaux qui ne nécessitent pas une qualification particulière, rentrant dans les activités d’exploitation comme les travaux de fouille pour réparer les fuites, les branchements, etc. », a détaillé le directeur régional de l’ONEA.Outre ces motifs, il poursuit en ces termes : «C’est un choix stratégique, car nous nous sommes rendus compte que par le passé, c’est l’ONEA qui recrutait ses manœuvres. A l’analyse, nous avons constaté que cela posait beaucoup de problèmes. D’abord, il y a eu de nombreuses difficultés parce que l’on n’arrivait pas à maîtriser les effectifs. C’était difficile à maîtriser surtout en termes d’effectif et de coût. Il faut aussi noter que le recrutement de ces ouvriers était fait par nos agents. Et quand ce n’est pas maîtrisé, cela fait place à beaucoup d’abus. Alors que quand c’est contractualisé avec un prestataire, cela veut dire que nous savons ce que nous payons aux prestataires pour le travail abattu. Et nous avons la capacité de suivre la qualité de la prestation du service qui nous est offerte ».Par ailleurs, il a rappelé que les problèmes posés par les ouvriers en ce qui concerne leurs conditions de travail, de rémunération devraient être discutés avec leur employeur qui est l’entreprise recrutée par l’ONEA pour des prestations, mais pas avec l’ONEA qui, pour lui, a priori ne connait pas ces ouvriers. Par conséquent, Saïdou Kafando, dans le but de clarifier davantage ce qui a favorisé les tractations récentes, a rapporté que le prestataire en question était en fin de contrat avec l’ONEA. Et, à l’entendre, face à cette situation, celui-ci, qui avait signé des contrats avec ces ouvriers, a pris l’initiative de mettre un terme au contrat le 30 juin, date butoir desdits contrats, en attendant de voir quelle serait la suite de son contrat avec l’ONEA. « C’est cela qui a prévalu au mécontentement de ce personnel et qui a commencé à mener des actions que nous condamnons. Nous avons constaté qu’ils sont allés sur les différents sites de l’ONEA pour menacer ceux qui sont sur place, retirer les flottes que les travailleurs utilisent pour rentrer en communication avec les agents. Je trouve que cela n’est pas normal», a dénoncé le directeur régional. Il a, de ce fait, rassuré que des mesures ont été prises afin de pallier à toute éventualité. Au cours de l’entretien, il a assuré que l’ONEA est dans un processus de recrutement d’un nouveau prestataire qui pourrait être le même prestataire ou un autre.Il a rappelé que le rôle du prestataire est de fournir à l’ONEA de la main d’œuvre non qualifiée pour l’accomplissement de certaines de ses missions sous la supervision d’un agent de la boite. « Nous n’avons pas externalisé notre métier, mais plutôt la partie au caractère stratégique pour nous. Nous ne sommes pas au niveau où on externalise tout pour dire que c’est l’entreprise qui doit tout accomplir. Ailleurs cela existe. Mais dans notre cas, nous avançons progressivement et prudemment », a-t-il martelé. En somme, le directeur régional de l’ONEA a confirmé que l’Office national de l’eau et de l’assainissement n’a reversé aucun ouvrier à la charge du prestataire. « Dès que l’ONEA a signé le contrat avec le prestataire, c’est le prestataire, lui-même, qui s’est organisé à recruter son personnel et a essayé de signer des contrats à durée convenue avec eux. Il gère son personnel suivant ses règles et l’ONEA n’a fait aucune recommandation au prestataire. Par contre dans le contrat, il y a des clauses qui servent de base de suivi de travail du prestataire. C’est vrai que si le prestataire est dans des difficultés, cela impacte nos activités et c’est pourquoi l’ONEA et le ministère ont essayé de faciliter le dialogue entre les deux parties », a formulé Saïdou Kafando. Nous avons tenté, à plusieurs reprises, de rencontrer le Directeur général sortant et celui aux commandes de l’ONEA actuellement, mais ceux-ci ont refusé de s’exprimer1
Par Lawakila Rodrigue KABARI