Enfin un ouf de soulagement pour les parents des victimes, les victimes survivantes du régime d’Hissène Habré ainsi que pour les organisations africaines et internationales des droits de l’homme qui auront ferraillé pour que celui-ci rende compte des crimes qu’on lui reproche : plus de 40 000 morts en détention ou par exécution sous son règne de 1982 à 1990 dont 4 000 nommément identifiés ; ce à quoi il faut ajouter que, selon l’avocat américain Redd Brody, principal enquêteur de Human Rights Watch dans cette affaire, l’ex-dictateur a pris la précaution de « vider » les coffres avant sa fuite à Dakar.
En effet, c’est en principe à partir d’aujourd’hui que s’ouvre au Sénégal le procès, historique, du 3e président du Tchad indépendant, pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture ».
Près de 200 journalistes et techniciens sont accrédités auprès des Chambres africaines extraordinaires (CAE), ce tribunal spécial créé par l’UA en vertu d’un accord avec le Sénégal, comprenant des magistrats du Sénégal et d’autres pays africains dont notre compatriote Gberdao Gustave Kam qui présidera les débats.
Les audiences sont prévues du 20 juillet au 22 octobre, le procès pourrait durer au moins 3 mois, le mandat de ces chambres expirant en février 2016, et si l’accusé est reconnu coupable, s’ouvrira une autre phase où seront examinées d’éventuelles demandes de réparations au civil.
Hissène Habré encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés ad vitam aeternam, pourrait purger sa peine dans tout pays membre de l’UA sans possibilité de grâce, d’amnistie ou d’assouplissement de la peine.
En jugeant un ancien chef d’Etat du continent, la justice africaine pourrait gagner en crédibilité.
Procès tant entendu aux nombreuses péripéties, le passage du Pinochet africain à la barre est historique : « c’est, dit Reed Brody, la première fois au monde-pas seulement en Afrique-que les tribunaux d’un pays, le Sénégal, juge un ancien président d’un autre pays, le Tchad, pour violations présumées des droits de l’homme ».
On se le rappelle, le président Abdoulaye Wade, incapable de la faire juger, ne serait-ce que parce qu’entre temps l’avocat de l’hôte encombrant était devenu son ministre de la Justice, avait finalement voulu extrader Hissène Habré à Ndjamena, et des habitants du quartier dakarois Ouakam s’y sont opposés en soulignant qu’Habré a une femme sénégalaise et des enfants de la même nationalité. En fin de compte l’ex-tortionnaire de Ndjamena a été arrêté le 30 juin à Dakar, puis inculpé des chefs d’accusation que l’on sait.
Notons que l’accusé, qui ne veut pas coopérer, a prévu de ne pas comparaître, a demandé à ses avocats de ne pas assister aux audiences, et un d’eux, Me Ibrahima Diawara, a enfoncé le clou en disant : « Comparaître à un procès est un droit, pas une obligation ». Ah bon ? En tout cas le procureur a précisé qu’en cas de refus de comparaître, la décision de l’y contraindre au non reviendrait au président.
Pour Alioune Tine, directeur d’Amnesty pour l’Afrique de l’Ouest, faire «juger un président de la République par un tribunal africain pour crimes de guerre, contre l’humanité» marquera « le début d’une longue marche » du continent vers sa « souveraineté judiciaire » ; cela, alors que les griefs s’y multiplient contre la CPI, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains.
Avec un peu de volonté politique du syndicat des chefs d’Etat qui nous gouvernent, on peut bien montrer, à partir de la jurisprudence Habré, que l’Afrique ne demeurera pas un continent d’impunité pour ex-dictateurs.
Ahl-Assane Rouamba