Rarement semaine aura été aussi intense en décisions politico-juridiques à même d’infléchir le cours du processus de normalisation que celle qui vient de s’achever. A quelque deux mois et demi de son échéance, la Transition en sortira-t-elle renforcée ou plutôt exposée, plus que jamais, à tous les dangers ?
Cette interrogation, que nous aurions souhaité ne pas avoir à formuler, s’impose hélas, tant nul ne peut prédire les effets conjugués de ces décisions-là sur la situation politique actuelle.
De quoi s’agit-il ici ?
Pour coller à la chronologie de ces décisions qui ont déboulé, la semaine dernière, sur la scène politique, nous voulons parler d’abord de l’arrêt, lundi 13 juillet 2015, de la Cour de justice de la CEDEAO qui a conclu à l’illégalité des articles 135, 166 et 242 du Code électoral portant inéligibilité « toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement ».
Ensuite du vote, jeudi 16 juillet 2015, par le Conseil national de la Transition (CNT) de résolutions mettant en accusation devant la Haute cour de justice l’ex-président Blaise Compaoré pour « faits de haute trahison et d’attentat à la Constitution » ; les membres de son gouvernement présents au Conseil des ministres du 21 octobre 2014 ayant adopté le projet de loi portant modification de la Constitution en son article limitant les mandats présidentiels, pour « faits de coups et blessures volontaires, complicité de coups et blessures, assassinats et complicité d’assassinat » ; et enfin de huit anciens ministres pour « faits de détournement de deniers publics et d’enrichissement illicite ».
Enfin de la publication, jeudi 16 juillet 2015 dans la nuit, par le président de la Transition, Michel Kafando, de ses décisions sur la crise qui oppose son Premier ministre à la haute hiérarchie de l’armée.
Sur le verdict de la juridiction communautaire, nous avons déjà fait part de notre lecture dans l’édition du mardi 14 juillet dernier en nous réjouissant de la convergence entre le délibéré de la CEDEAO et ce que nous avons toujours prôné, à savoir l’inclusion.
Au sujet de l’arbitrage du chef de l’Etat sur les « dissensions au sein de l’armée », nous y revenons dans le « Regard » du jour sous le titre : « Situation nationale : le compromis de M’Ba Michel » (page 8).
Il ne sera donc question dans ces lignes que des résolutions de l’Assemblée intérimaire portant, comme nous l’avons déjà écrit, mise en accusation devant la Haute cour de justice de Blaise Compaoré et de ses anciens ministres.
Cela dit, rendons d’abord au CNT ce qui est au CNT. L’on retiendra que c’est sous son éphémère « législature » que pour la première fois dans l’histoire de la quatrième République, la juridiction habilitée à juger le président et les membres du gouvernement a été saisie aux fins d’exercer sa compétence. Mise en place, en effet en 1995, cette cour est restée jusque-là une création cosmétique dans le paysage institutionnel. Au point qu’on en était arrivé même à oublier son existence.
Elle a enfin de quoi se dégourdir les mâchoires.
Mais il faut craindre que parmi les gros poissons qui viennent de lui être subitement jetés dans la gueule, il n’y ait certains qui soient difficiles à avaler. En tout cas, si on s’en tient aux conditions dans lesquelles ils ont été pêchés.
Pour tout dire, est-ce qu’après la précipitation sur fond d’amateurisme qui a accouché d’un Code électoral dont on connaît désormais le sort, nos députés, parés de leurs oripeaux « d’amis du peuple » ont, cette fois-ci, bien ficelé leur affaire ?
La question se pose en ce qui concerne la procédure de mise en accusation de Blaise Compaoré.
En effet, l’article 139 de la Constitution précise que la mise en accusation du président du Faso est votée à la majorité des quatre cinquièmes des voix des députés composant l’Assemblée nationale.
Eh bien, exerçons à un peu d’arithmétique élémentaire.
Le CNT, on le sait, est composé de 90 députés. Dans ce cas, il faudra pour respecter la procédure, au moins 72 voix favorables à la mise en accusation de l’ex-président.
Mais ce quantum a été loin d’être atteint. Puisque lors de la plénière de jeudi dernier, sur les 90 CNTistes, 63 seulement étaient présents dont 60 se sont prononcés pour l’assignation de Blaise Compaoré devant la juridiction compétente de le juger.
Certaines bonnes âmes soutiennent que du 90 il faut soustraire 12 qui représentent les députés membres de la Haute cour de justice qui n’auraient pas en l’espèce, droit au vote, sous peine d’être juges et parties à la fois.
Qu’à cela ne tienne, retour à nos calculettes : 90 moins 12 cela donne 78. Sur cette base, la majorité des quatre cinquièmes nécessaire à la mise en accusation du président est de 62,4. Or comme on le sait, seulement 60 ont voté pour la fameuse résolution. Donc là aussi on est en déca du quorum requis.
Dans un cas comme dans l’autre, on se rend aisément compte de l’amateurisme dans lequel besognent « nos honorables députés ».
Certes leur volonté de nettoyer les écuries de Blaise est louable. Si les anciens dignitaires ont commis des fautes voire des crimes dans l’exercice de leurs fonctions (et Dieu seul sait qu’il y en a) il est tout à fait légitime qu’ils en répondent devant les juridictions compétentes. Mais ce qui est navrant, ce sont ces tâtonnements affligeants dont nous gratifient les locataires de l’Hôtel du député.
Faut-il in fine, croire, comme le disent certains, que cette vague d’accusations procède davantage d’une volonté d’en découdre définitivement avec des adversaires politiques ?
En tout cas, il est loisible de constater que ces résolutions interviennent seulement trois jours après l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO demandant à l’Etat burkinabè de « lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification [Nouveau code électoral, NDLR] ».
Certes tant que la culpabilité des anciens membres du gouvernement n’aura pas été formellement établie devant les juridictions, ils jouissent toujours de leurs droits civiques. Mais on sait également qu’il reviendra au procureur général près la Cour de cassation, après saisine du président du CNT, de confier le dossier des accusations aux trois magistrats instructeurs de la Haute cour de justice. Ceux-ci, à leur tour, entendront les présumés coupables avec possibilité de mandat de dépôt. Autant dire de facto, une exclusion aux prochaines élections.
La Rédaction